Le Café Politique

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  De quels outils et pouvoirs démocratiques doit-on se doter ?

dimanche 13 juillet 2014, par Equipe d’animation d’Horizons De Civilisation Toulouse

Compte rendu de l’atelier du 31 mai 2014 : " "de quels outils et pouvoirs démocratiques doit-on se doter pour instituer plus de citoyenneté dans les espaces public et privé et dans nos confrontations avec les élus"."

Poser la question de la démocratie dans les locaux d’une Maison de la Citoyenneté qui nous accueille, constitue une gageure car cette Maison est loin de constituer un lieu de vie ouvert sur le quartier. Ceci montre les limites très restrictives de la démocratie "participative" conçue par les anciennes municipalités …

Pourtant, l’objectif de réaliser au niveau de chaque quartier, une démocratie citoyenne (pour et avec les citoyens) devrait être une tache exaltante pour les élus en vue de réaliser des désirs de chaque être humain, d’être reconnu et valorisé par les autres (A. Caillé) ! Ceci est d’autant plus urgent que nous vivons une crise de civilisation qui n’est pas que financière, économique, environnementale, sociale, idéologique et culturelle : c’est aussi une grave crise démocratique comme viennent de le montrer le taux d’abstention et le score du FN aux dernières élections européennes.

Or pour Alberto Burgio dans son "Per Gramsci", "la démocratie c’est le processus de conquête par les corps sociaux de leur capacité d’autogouvernement", même si ce processus de conquête de l’autonomie est battu en brèche par la réappropriation privée de ressources publiques qui avaient été conquises par les luttes du démos.

On peut néanmoins constater que ce processus tend à se réaliser dans les expériences de démocratie de proximité, dite "protagonique" (imbriquant étroitement élus et citoyens) au niveau de quartiers ou de régions de certains pays d’Amérique Latine (J. Ortiz) : cela se manifeste aussi par la socialisation de certaines firmes étrangères ou nationales qui avaient accaparé la terre et ses richesses. Cette socialisation des principaux moyens de production et d’échange (notamment médiatiques) se traduit par le développement de coopératives de production et de consommation et par de nouvelles formes de propriété sociale où la terre et ses richesses sont confiées aux communautés indiennes qui en ont l’usufruit et à un Etat pluriculturel et plurinational comme en Bolivie (ce qui ne va pas sans contradictions).

Ce concept d’Etat plurinational ne s’oppose-t-il pas aux propositions de Monique Chemillier-Gendreau ? Selon celle-ci, l’Etat comme garant des intérêts privés masqués derrière la souveraineté nationale est largement responsable des guerres passées (et présentes). Aussi, devrait-il s’émanciper de son mariage malsain avec le concept passéiste de nation au profit d’une association de citoyens libres et ce à tous les échelons (du local au régional jusqu’à l’international). Ce d’autant que le Droit international, même paralysé par les droits de véto au Conseil de Sécurité de l’ONU, est structuré autour de la souveraineté d’Etats nations : même si les économies de ces Etats sont de plus en plus transnationales, ce sont encore ces Etats qui continuent de définir les normes concurrentielles avec les grandes multinationales (Areva au Niger, Benetton au Chili, etc.) ou de vendre des terres que s’accaparent l’Inde ou la Chine (en Ethiopie, etc.). Ce danger de dépossession plane aussi sur l’Europe avec le traité de libre-échange (TAFTA) s’il est signé par les USA et l’UE (en toute opacité). Il est donc urgent pour P. Dardot de faire reconnaître et d’introduire dans le Droit public le droit d’usage de communs in-appropriables : réorganiser la société autour de l’in-appropriable, c’est affirmer que la propriété n’est plus le centre de gravité des relations sociales. Pour ce faire, il faut instituer le Commun par des règles via une praxis instituante (cf. le statut des entreprises autogérées en Argentine ou du théâtre Valle à Rome), coproduire le Droit en dehors de l’Etat (cf. la banque citoyenne et transnationale de semences). Ce Commun, qui constitue le prolongement logique des services publics (communaux ou nationaux) et des biens communs mondiaux, ne dérive ni de la nature des choses ni de l’essence des hommes mais de leur activité matérielle : seule une pratique collective de mise en commun peut décider de ce qui est commun et l’instituer ! Cette démarche rejoint la conception que se fait J. Rancière de la démocratie, qui ne doit pas être conçue comme le moyen d’une fin mais doit reposer sur une pratique généralisée d’une égalité considérée comme un présupposé : la démocratie doit être un pouvoir d’agir et de faire ensemble, détaché de la prise du pouvoir : c’est une création continue, le lieu des dissensus, des confrontations d’idées et des conflits (A. Caillé), tout comme l’espace public qui n’a pas à être neutre (cf. l’iranienne Abnousse Shalmani qui dans son désir d’y montrer son visage et ses cheveux, demande au nom de quoi ils devraient être interdits dans l’espace public). A l’heure où les néolibéraux demandent à l’Etat (qu’ils voudraient réduire à n’être que régalien) d’être tolérant vis-à-vis des religions et neutre vis-à-vis des marchés, J. Baubérot demande à l’inverse que l’Etat (qui devrait être dépositaire de l’intérêt général) soit mieux séparé des intérêts privés (lobbies financiers, économiques, médiatiques et religieux).

Toujours selon Rancière, la démocratie ne peut se réduire à un système de représentation délégataire où le TINA décrète que ce que l’on doit faire n’est que ce que l’on peut faire. La démocratie, c’est aussi cet égal pouvoir de n’importe qui, de tous ceux qui n’ont pas plus de titres (de naissance, de fortune ou académiques) à gouverner qu’à être gouvernés. Aussi devrait-on nous libérer de la représentation oligarchique (basé sur le choix entre de multiples programmes électoraux) pour une démocratie véritable fondée sur le tirage au sort de citoyens volontaires pour participer aux décisions délibératives.

Enfin, comment réaliser une démocratie "sociale", c.à.d. démocratiser l’entreprise (privée comme publique) pour que l’homme ne perde pas ses qualités de citoyen dès qu’il pénètre dans le monde du travail (cf. l’oxymore des Droits de l’Homme et du Citoyen) ? Et aussi, à l’époque de la "libre" circulation (des seuls capitaux et marchandises ?), cette quête d’une égale liberté (selon Rousseau) pour tous justifierait de reconnaître le droit d’immigrer (accordé aux plus riches) à l’instar du droit personnel d’émigrer qui a été finalement reconnu pour tous par la DUDH de 1948. Cela devrait conduire à reconnaître un nouveau rapport d’altérité citoyenne comme référence démocratique, universelle et incompatible avec la concurrence capitaliste, selon M. Chemiller-Gendreau.

Cette introduction visait à définir le propos de l’atelier et à cerner les moyens à mettre en œuvre pour asseoir une démocratie. On peut se poser la question : pourquoi un tel parti-pris de départ ? Il peut sembler qu’un tel départ témoignait du souci de remettre la réflexion sur ses pieds, en la plaçant au plus près de nos préoccupations quotidiennes. Cela a donc donné des prises de paroles citoyennes, ancrées dans la vie associative et soutenues par des parcours de vie militante. Il était à partir de là, assez compliqué de prendre des notes pour dégager les idées qui naissaient ainsi, mais qui s’enracinaient dans des voix fortes. Une seconde intervention a porté sur les places respectives de l’exécutif et du législatif qui jadis étaient bien distincts (le gouvernement exécutant les lois votées par l’Assemblée qui est maintenant privée de toute initiative législative) : loin de nous contenter d’une pseudo démocratie participative, notre exigence d’une démocratie délibérative est légitime. Il faudrait donc bien distinguer les deux niveaux et seul ce niveau d’une intervention permanente des citoyens pourrait redonner une vie politique authentique aux citoyens.

L’intervention suivante a insisté sur la nécessité de ne pas disjoindre culture et social afin de rompre avec les clivages schizophrènes imposés par le néolibéralisme à la française, qui s’appuie sur un centralisme autoritaire et impérial, créateurs de points aveugles et producteurs d’analyses manichéennes et d’oppositions indépassables entre traditions et ruptures, faisant du progrès à tout prix l’unique horizon d’attente "progressiste", dût-il marcher sur des constructions collectives fondatrices d’un vivre ensemble ! Aussi, dans un contexte de montée des obscurantismes, est-il urgent de réunir le mouvement social, en fin de cycle actuellement, les aspirations culturelles - notamment des régions historiques et des DOM-TOM - et les désirs d’émancipation des jeunes des banlieues (mis au ban).

Une autre intervention a insisté sur le fait que lorsqu’on pense citoyenneté, on pense restreint. Un penser pluriel est beaucoup plus riche, car il existe alors une pluralité des espaces de penser !!! Il faudrait aller vers des conseils d’habitants, de jeunes, de travailleurs afin d’enrichir la citoyenneté et qu’elle ne soit pas seulement "politique". Cela nécessite d’envisager trois temps : Prendre en main sa vie, Penser que le collectif fera avancer les choses, et en dernier lieu Tenir à ce que ce soit public, condition absolument nécessaire !

Afin de lutter contre les féodalités, il a été aussi suggéré de se former dans des ateliers du citoyen, d’instituer des universités citoyennes, afin d’identifier les problèmes, de se former en liaison et au rythme de la délibération et de la prise collective de responsabilités. Puis nous avons réfléchi à comment développer la citoyenneté à une époque où l’exécutif (le Prince) s’est éloigné des valeurs rousseauistes de la Révolution française au point d’être un despote depuis la Vème République et où la verticalité décisionnelle (top/down) s’est imposée dans toutes les structures (ministères entre autres) : puisqu’il s’agit d’émanciper l’individu, il lui faut donc une formation citoyenne, alors que cette émancipation est impossible pendant le temps de travail. Que ce travail soit contraint ou non aliénant, comment dépasser la contradiction entre d’une part des travailleurs hyperspécialisés dans leurs professions, soumis au stress, à l’angoisse de la performance ou de la productivité, au regard de leur hiérarchie (et des autres), non reconnus dans les solidarités et coopérations qu’ils peuvent développer au sein du travail et d’autre part des citoyens qui, hors du lieu de travail, vivent la culture comme une soupape consumériste (que ce soit TF1 pour les uns ou le théâtre pour d’autres) ? En bref, comment faire pour que les travailleurs soient citoyens ?

Le travail est certes culture, mais en raison de son hyperspécialisation (manque d’ouverture, difficulté de mise à distance, etc.), le pas à franchir pour devenir citoyen est d’autant plus grand ! Il conviendrait de multiplier les lieux d’immersion citoyenne et d’instituer (faire admettre) une reconnaissance sociale de ces lieux d’activités non contraintes, ne serait-ce que quelques heures par mois. Comme "la société" a peur de ces expérimentations et qu’elle fonctionne beaucoup sur le "surveiller et punir" (M. Foucault), il faudrait instituer un Droit à l’expérimentation afin de faire sauter les blocages qui freinent les initiatives à l’échelle locale. Peut-être est-ce là la réponse à la question "que faire quand on a le sentiment qu’on ne peut rien faire" (sinon entrer en "résistance"). Puis un intervenant a souligné le problème du consumérisme dans les associations, attitude qui aliène les citoyens (on l’a bien vu dans "Horizons de Civilisation" où, si beaucoup se sont inscrits pour travailler en atelier, bien peu s’y sont retrouvés) : comment passer du désir de participer à participer sans devenir consommateur ? Cela soulève le distinguo entre éducation "populaire" (où le maitre apporte un savoir irréfutable au peuple) et éducation émancipatrice, où la médiation se joue dans un rapport dialectique entre le savoir, l’élève et le maitre que J. Rancière appelle ignorant (si ces trois pôles sont utiles pour le temps d’un modèle théorique, ils sont dépassables et seront dépassés dans des constructions de savoir ultérieures). Mais cela montre aussi à quel point les citoyens sont aliénés : les désirs des citoyens (c’est encore plus vrai pour les jeunes qui, au sortir d’une école qui "instructionne" au lieu d’éduquer, sont soumis aux modèles de l’idéologie dominante des pubs et de TF1) sont dévoyés par le consumérisme et le fétichisme des marchandises : celles-ci sont d’autant plus désirées qu’on ne peut se les procurer. Etant à ce point investies par le désir d’être acquises, les marchandises finissent par être dotées d’une pulsion de vie qui finit par chosifier le consommateur (cf. le peintre donnant vie à son modèle).

Une autre intervention insiste sur la reconnaissance collective des singularités : on ne peut s’affirmer que collectivement ! A l’heure de la promotion effrénée de l’individu, voilà une affirmation qui fait peur ! Mais c’est la citoyenneté qui libère des peurs et il faut le dire et le redire : c’est par le collectif que les singularités peuvent émerger.

Cela nécessiterait de décloisonner les mondes culturels et sociaux (les classes ?). Comment ? Par l’interculturel et la prise de contrôle des médias (quel pouvoir démocratique sur les programmes qui font partie d’un espace public qui est loin d’être neutre ?). Mais cette formulation du (dé)cloisonnement ne permet pas de percevoir la dialectique qui joue de l’un à l’autre et les dépassements possibles qui sont autres qu’un décloisonnement.

La singularité pose la question de la différence : nous sommes tous différents donc tous égaux et notre commun c’est d’être égaux parce que différents ! C’est l’argument décisif opposable à toutes les formes de racisme et de haine de l’Autre, de l’Etranger. Mais encore faut-il accepter de vivre ensemble et d’assumer les différences, les parités -notamment entre femmes et hommes- donc aussi les conflits, dans une démocratie davantage inclusive, pour reprendre une formule latino-américaine. ! C’est ce qui caractérise la démocratie citoyenne (Caillé, Rancière), même si les questions d’identité et de différence demandent à être creusées (cf. Félix Castan, dont la pensée reste d’une brûlante actualité, et les poètes d’Outre-mer comme Glissant, Chamoiseau, Confiant, Metellus…).

Pour tous les conférenciers invités par "Horizons de civilisation", le désir de plus de démocratie est ce qui motive. Des germes de ce désir apparaissent qui permettront de rétablir l’hégémonie de l’humain sur les idées nauséabondes du FN. Mais il faut pour cela de nouveaux acteurs, de nouveaux droits. La remise en question des espaces privés et publics est nécessaire, tant ils constituent un impensé dans notre société. Ainsi, pour échapper aux lois délétères de la marchandisation néo-libérale, pour reconstruire l’Etat social et de droit, les services publics, notamment de recherche et d’enseignement, ont vocation et nécessité à devenir des instances davantage autogérées ou pour le moins co-gérées. Ces espaces (dont les notions reposent sur une dimension idéologique) ne sont pas des espaces immuables et J. Rancière a d’ailleurs pointé l’histoire de passages du privé vers le public dans le temps.