Le Café Politique

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  LA REPUBLIQUE DES IDIOTS

mercredi 2 avril 2014, par Didier Kouino

La démocratie, c’est lorsque, certains aimant le bleu, d’autres le rose et d’autres encore le vert, des élections sont organisées... Au final, il y a certes des gagnants et des perdants, mais cela n’empêche pas les perdants de conserver leur quant-à-soi et d’être en capacité de tenter de convaincre à nouveau la fois suivante.

Un sondage, c’est lorsque 51% des sondés prétendant que la terre est plate, les marchands de sondages, considérant que le client est roi, saturent tellement l’espace sonore de cette vérité... révélée, que tout autre forme de réflexion sur le sujet devient inutile. Elle n’a plus aucune chance d’être entendue.

C’est cela le problème central de nos démocraties. Nous sommes des êtres de plus en plus anonymes au sein d’une société de plus en plus éclatée et indéchiffrable. On peut y dire n’importe quoi, mais qui ne possède pas un amplificateur de micro n’a aucune chance de se faire entendre. Conclusion, nous ne savons plus voir ceux qui ont quelque chose à dire, mais nous sommes par contre de plus en plus envahis par tous ceux qui savent... se faire voir. Quant à celui qui possède le pouvoir de distribuer la parole... il est le roi du monde !

Au lendemain d’élections municipales déprimantes, mais qui sont un reflet fidèle de la France d’aujourd’hui, il devient urgent de s’interroger sur le fonctionnement de nos démocraties.

“Si tu cliques, tu votes” ? Non bien sûr. Nous sommes attachés à notre libre-arbitre et nous ne pouvons admettre cette idée réductrice. Ce n’est pas parce que, par simple curiosité... ou disons plus crûment les choses... par légèreté, nous lisons un article politique égrillard sur une personnalité ou exprimons un sentiment fugace sur la même personne à l’occasion d’un sondage que nous adhérons à son programme ou à son idéologie. Pourtant, le journaliste qui est de l’autre côté du micro, prétendra, lui, le contraire. “Les français pensent que” conclura-t-il de cette interaction avec quelques uns d’entre nous. Ce journaliste y a tout intérêt : plus il parle au nom des français, plus sa visibilité propre s’en trouve augmentée. Le système médiatique fonctionne à l’instar du système capitaliste. Il y a le capital (le micro), que l’on fait fructifier (la part d’audience), mais il y a surtout ce qui fait que le système capitaliste, malgré ses excès, perdure : les intérêts des individus et du système s’additionnent : à la voracité de l’individu répond l’absence de limite à l’expansion du système (quitte à ce que tout cela se transforme un jour en un cancer généralisé, mais ce n’est pas le sujet de cet article). L’industrie médiatique est devenue au cours des 30 dernières années la plus grosse et la plus puissante des multinationales. De New-York à Tokyo, de Vladivostok jusque à Kinshasa, en passant par Pékin l’on fabrique un peu plus chaque jour la même information formatée, insignifiante et manipulatrice. Personnellement ce qui m’inquiète le plus pour l’avenir du monde et de la démocratie, ce ne sont pas les écoutes de la NSA, mais l’hyper puissance de la “World Company Médias § CO”.

A bien des égards les médias jouent un rôle qui s’apparente de plus en plus à celui que jouait l’église au moyen-âge. Elle était à la fois le fédérateur d’une société violente et morcelée, mais elle était aussi un filtre étanche entre le pouvoir et le peuple, empêchant ainsi toute évolution du système. Pour décrire cette époque, on parle de stagnation et d’obscurantisme. D’une certaine manière, nous y sommes à nouveau plongé aujourd’hui. Disant cela, je ne suis pas en train de pointer du doigt d’obscurs Ayatollahs du bout du monde, je parle du pays des droits de l’homme, où nous vivons, et des autres grandes démocraties qui nous ressemblent. Nos démons sont en nous et non à l’extérieur. Le fascisme des années 30 ne s’est pas développé dans un ailleurs invertébré mais au cœur d’une des sociétés les plus évoluées de son temps. Nous n’en sommes pas là ? Peut-être, mais pas grâce à nous-même. La vraie différence entre les années 30 et aujourd’hui, est qu’il existe aujourd’hui un ailleurs et que cet ailleurs est en mouvement. Le monde continue d’avancer... sans nous ! Pour conjurer la crise, Georges Bush a essayé en son temps, de s’imposer comme maître du monde en créant un état de guerre permanente entre le Nord et le Sud au prétexte du terrorisme. Cela n’a pas marché. Il a finit par s’enliser (en Irak). L’Amérique en est sortie affaiblie et le terrorisme a reflué... comme par enchantement ! Tant mieux, mais les esprits ne sont pas guéris pour autant. La France, elle, vit de plus en plus autour de son nombril et cela finira aussi par avoir aussi des conséquences.

Nous ne sommes plus le centre du monde. Il y a un basculement complet de l’épicentre économique (et donc à terme politique) de l’occident vers l’orient. Pour ne prendre que l’actualité du moment, Il y a quelques années à peine (2007), un président de la République française, un visionnaire, si l’on se réfère à ce que la presse française disait de lui alors, est allé en Afrique, à Dakar plus précisément, pour insulter un continent entier, « l’Homme africain n’est pas entré dans l’histoire »disait alors Nicolas Sarkozy. http://www.huffingtonpost.fr/marie-..., 7 ans plus tard, nos journaux sont remplis ces jours-ci d’articles nos journaux sont remplis ces jours-ci d’articles indiquant que le rythme de croissance africain, à l’échelle du continent entier est de 5% par an et que ce continent de 1,1 milliard d’habitants, de 2,5 milliards en 2050, est en train de suivre le même chemin de développement que la Chine http://www.wedemain.fr/Et-le-contin.... L’avenir de la France et de l’Europe sera probablement africain. Mais les actes d’hier et d’aujourd’hui auront des conséquences demain. Parmi tant d’autres exemples, on peut citer, en référence à ce qui est décrit précédemment, le refus d’intégration de la Turquie dans l’Europe par ce même Président, refus totalement gratuit et basé uniquement sur des préjugés relevant de la suffisance... des idiots ! Un visionnaire ce Président là ? Non, un grand médiocre.

La montée en puissance des médias au cours des trente dernières années, s’est faite parallèlement à celle de forces politiques opportunistes, obscurantistes et réactionnaires. Les médias ont fait objectivement la courte-échelle à ces forces. Elles parlent le même langage, celui de la démagogie.

L’église “Cathodique” est dorénavant au centre de la vie publique. Elle est à la fois le reflet de la société et l’inspirateur des tenants du pouvoir. Il y a les opportunistes... à droite surtout, il y a aussi les faibles... à gauche pour l’essentiel. Les erreurs de casting successives à gauche mettent en évidence que les partis politiques ne choisissent plus leurs leaders. Ils s’imposent ou sont imposés de l’extérieur. Pour ma part, homme de gauche, je suis catastrophé de voir le discours de la gauche se vider année après année de sa substance, car un monde sans idéal est un monde sans projet, voué uniquement aux forces brutes qui l’habite.

Qui détient l’information, détient le pouvoir, est-il commun de dire, mais cette caractérisation est insuffisante pour décrire les réalités d’aujourd’hui, car face à la masse d’information qui existe, ce qui est important, ce n’est pas tant ce qui est montré à voir, que ce qui est caché. Et ce qui est caché est toujours l’essentiel.

A chacun son essentiel, nous avons tous un avis différent sur le sujet, mais pour illustrer mon propre propos, je ne résiste pas à l’envie de raconter une anecdote prise dans l’actualité du jour. Surfant sur internet, j’ai... « cliqué »... sur un article de l’Express, intitulé : « Remaniement : les ministres qui traînent des boulets », illustré par une photo de Nicole Bricq, Ministre du commerce extérieur, qui a commis l’immense faute d’avoir déclaré la semaine dernière qu’on mangeait mieux à Matignon qu’à l’Élysée. Elle a même osé dire “... la nourriture dégueulasse de l’Élysée...” C’est le genre de... crime de lèse Majesté dont les médias font leur miel ! J’ai pris la peine de vérifier sur Google : j’ai trouvé 186.000 occurrences de Google (en une semaine !) en tapant la simple expression : “la nourriture dégueulasse de l’Élysée https://www.google.fr/search?q=la+n... . Faut-il en conclure pour autant que la vision politique de La Ministre représente « un boulet » qui a de graves conséquences pour le futur de la nation française ? Je ne le crois pas. C’est pourtant le raccourci que les journalistes de l’Express s’autorisent. Par contre, le fait que Madame Bric participe depuis près d’un an à des négociations Europe / États-Unis qui remettent à plat l’ensemble des règles qui régissent les relations économiques entre les deux rives de l’Atlantique ne semble pas représenter pour les médias un quelconque enjeu puisque on ne trouve que 73000 occurrences Google, sur le sujet (cela fait près d’un an que ces négociations sont en cours) et si l’on regarde plus précisément le détail de ces occurrences, l’on remarque que dès la première page, dans le cas de l’occurrence « la nourriture... », il s’agit de médias de masse (Libération, Le Point, France-TV-info...) et dans le deuxième cas (« négociations... »), il s’agit pour la plupart de sites spécialisés et confidentiels. https://www.google.fr/search?q=Trai...

Bien sûr, le citoyen ne peut espérer être capable d’appréhender seul la complexité du monde d’aujourd’hui. Il y a besoin d’intermédiaires entre le citoyen et l’action publique. Soit, mais il est alors nécessaire qu’il y est en même temps un questionnement sur la manière dont la démocratie s’inscrit dans cette complexité. Qui décide de ce qui est important où pas ? Qu’est-ce qui autorise un journaliste à parler en mon nom ? Faute de nous être posé suffisamment ces questions aux cours des trente dernières années nous vivons aujourd’hui dans un état de distorsion de l’espace public qui oscille en permanence entre hystérie et manipulation.

Une ânerie répétée un milliard de fois finit-elle par devenir une réalité. Non, sauf à considérer que nous soyons individuellement tous des idiots, ce que je ne me permettrai pas de dire. Non... mais... oui, effectivement, une ânerie répétée un milliard de fois peut finir par devenir une réalité, justement parce que nous ne sommes pas des idiots, et que nous tenons compte de l’environnement politique. Si 51% de français prétendaient que la terre est plate, les 49% restants se débrouilleraient comme ils pourraient pour essayer de garder la tête froide... en attendant des jours meilleurs, mais si 51% des français disaient que tel leader est capable de marcher sur l’eau, lesdits 49% pourraient considérer qu’il s’agit là certes d’un délire affligeant, mais considéreraient aussi qu’ils doivent en tenir compte, car la problématique de la gouvernabilité étant devenu un sujet central, il n’y a pas d’autre issue que de faire en sorte que nos chefs soient le plus consensuel possible.

Les instituts de sondage savent cette problématique est centrale et en jouent. Il suffit de faire en sorte qu’en un instant une tête dépasse de la masse des invisibles pour qu’il soit dès lors possible de... « fabriquer » un destin. Si vous avez donc pour ambition de vous fabriquer un destin national, il vous suffit d’être riche et de vous acheter un institut de sondage ! Qu’en conclure ? Tous pourris ? Ce n’est pas le sujet. Ce qu’il est urgent de dire aujourd’hui, c’est que la marchandisation de l’espace public a corrompue la société toute entière. Nous ne sommes pas des clients, mais des citoyens redevables. Nous avons la démocratie que nous méritons.

« Moi ou le chaos » disait De Gaulle en son temps. Il avait quelques bonnes raisons de le dire. Certains de ses héritiers ont depuis lors réinterprété l’héritage. « Si tu veux régner, suscite le chaos et ramasse ensuite la mise ». La droite française porte une immense responsabilité dans cette dégradation du climat politique et dans l’émergence d’un populisme délétère qui ne nous conduira nulle part.