Le Café Politique

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  L’ennemi intérieur

mardi 2 avril 2013, par Stuart Walker

Malgré des tentatives de lui donner ses lettres de noblesse, il ne faudrait pas s’y méprendre ; le populisme, quelle que soit la définition qu’on lui donne, reste un danger insidieux, qu’il est impératif de combattre avec un maximum de vigilance. Nos démocraties sont récentes et fragiles ; ce serait étonnant que les impulsions qui ont donné lieu à ce que Ken Follet appelle l’Hiver du Monde, aient disparu dans l’espace d’une soixantaine d’années.

L’expression "Le peuple" en français a une connotation prolétaire, comme s’il était une entité homogène, dépositaire des valeurs appelées à s’imposer par la force. Sa traduction anglais "people" est le pluriel de "person", et signifie l’ensemble de la population dans toute sa diversité. Le slogan d’Al Gore était "the people versus the powerful", mais il ne soulevait pas le poing en le disant. La Monarchie anglaise doit sa survie en partie au fait qu’elle est, historiquement, une alliance entre la population et un chef d’état apolitique contre les dérives absolutistes.

La question posée est : Comment préserver les avancées démocratiques contre la montée des différents avatars populistes qui gagnent du terrain sur fond de crise, et dont la récente élection dans l’Oise était sans doute un signe avant coureur ?

Ma première réponse me ramène à mon pays d’origine, ou le système à 2 partis a fait ses preuves. Aller trop loin dans la proportionnelle risquerait de le compromettre en France. La politique est l’art du possible. Une multiplicité de petits partis transformerait l’hémicycle en un panier de crabes, ou une série de coalitions instables créerait un blocage de l’action politique, avec une désaffection encore plus grande de la population pour ses élus. L’existence d’un cabinet fantôme, des alternances ordonnées, et de hauts fonctionnaires permanents, sont autant de parades contre d’éventuels coups d’état.

Un deuxième axe de progression serait de développer une plus grande maturité politique. Je suis toujours étonné de lire, dans les statuts d’associations, une clause interdisant de parler politique pendant l’activité de l’association. En tant que formateur en anglais j’ai souvent été confronté par des groupes de discussion dont les membres avaient la plus grande réticence à aborder ce domaine de peur de se mouiller. Une telle neutralité, proche de l’abstention, ouvre la porte aux extrêmes, qui savent occuper un vide.

Il est clair qu’il faut plus d’Europe. On a sans doute mis la charrette devant les bœufs en créant une monnaie unique sans gouvernance économique. Mais l’Europe n’est pas impuissante. Quand elle veut, elle peut. Ou seraient aujourd’hui les pays stressés du sud, si le troïka ne leur était pas venu en aide en effaçant, ou en rééchelonnant, une partie de leurs dettes ? Le Parlement a récemment exercé ses prérogatives en refusant le budget. Les fondements de l’Europe sont humanistes. Elle est la première entité politique de sa taille à être crée sur une base de consentement mutuel. Ceux qui veulent la détricoter jouent avec le feu.

Comment considérer comme populiste un chef d’état aussi pragmatique et consensuel que le notre ? S’il l’était, il n’aurait pas une cote d’impopularité qui frôle les 60% ; ce serait plutôt le contraire. Juppé paraissait plus ambitieux et déterminé qu’Ayrault, mais n’a réussi qu’à provoquer une dissolution. Des comptes déficitaires depuis les années ’70 ne peuvent pas être redressés en un an. Peu d’autres seraient capables de tenir la barre entre le mur de la finance et les récifs des troubles sociaux ; Il est souvent taxé d’indécision, mais ne vaut-il pas mieux lancer dans l’arène publique des propositions, à des fins de discussion et consultation, que d’essayer de gagner du temps en passant en force ?

Le bilan aujourd’hui est loin d’être négatif. Le système de retraites a été réaménagé pour le rendre plus juste par rapport aux carrières longues. Des postes ont été crées dans la fonction publique. La refondation de l’école semble être en bonne voie. Un accord quasi-historique a été trouvé entre les partenaires sociaux. Un début de réglementation des activités bancaires a été réalisé. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, que la taxe à 75% a été reportée. On ne peut pas renégocier un traité transnational chaque fois qu’il y a une élection locale, mais l’intransigeance allemande a été considérablement assouplie. L’administration française continue à pouvoir emprunter à 1 ou 2%, sans quoi elle ne pourrait maintenir les salaires des fonctionnaires. Je rappelle que la largesse des gouvernements Wilson en Angleterre, à partir de 1964, a eu comme conséquence une inflation à double chiffres. Ceux qui n’aiment pas la médecine douce du Dr. Hollande peuvent toujours essayer les traitements plus rudes de Margaret Thatcher.

Il est vrai que le pouvoir n’est plus ce qu’il était. Les Présidents français sont moins assurés d’un double mandat que ne l’étaient Mitterrand et Chirac. La domination mondiale des États-Unis s’effrite. En 2012 seuls 4 des 34 gouvernements de l’OCDE avaient une majorité absolue. Les libertés civiles ne peuvent être défendues que par un gouvernement fort. L’incertitude conduit à un certain "court-termisme" Par contre la globalisation a permis à des centaines de millions de percevoir d’autres horizons et de dégager le temps de réfléchir et d’exercer un jugement individuel. La diversité d’informations et d’opinions disponibles en ligne barre le chemin à l’installation de la pensée unique.

Ces évolutions sont peut être la meilleure chance pour tous ceux qui veulent résister à la concentration du pouvoir et de l’argent entre les mains d’une petite minorité.