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  Semences, OGM et biens communs

jeudi 22 novembre 2012, par Michel Metz

Un bref épisode de la longue histoire des semences

L’industrialisation de l’agriculture et la spécialisation de la sélection variétale conduisent dès le début du 20ème siècle, et de manière accélérée après la 2nde guerre mondiale, à une érosion de la biodiversité cultivée dans les champs : le nombre des espèces cultivées chute drastiquement et les variétés « populations » (de base génétique large), sont peu à peu remplacées par des variétés fixées, stables et homogènes (lignées pures et hybrides F1). L’adaptation locale, l’élargissement et le renouvellement de la biodiversité dans chaque champ par la pratique traditionnelle consistant à ressemer (et échanger) une partie du grain récolté, est peu à peu abandonnée par les paysan(ne)s. La FAO estime que depuis le début du siècle, 75% de la diversité génétique des plantes cultivées a été perdue.

Le mouvement des semences paysannes

Dans les années 90, l’émergence des OGM fait prendre conscience à certains paysans de leur perte d’autonomie vis à vis des semences et du risque de ne plus pouvoir avoir accès à des variétés adaptées à leurs pratiques (agriculture biologique, transformation artisanale ou fermière, filière de proximité). Des paysans, souvent isolés, recherchent alors des variétés historiquement cultivées dans leur région, pour les recultiver et les adapter sans intrants chimiques à leur terroir et aux conditions actuelles. Ils trouvent ces variétés parfois chez les « anciens » et souvent dans les banques de graines gérées par l’INRA (1). Petit à petit des groupes se structurent, des liens se créent parfois avec des chercheurs de l’INRA (généticiens, sélectionneurs) pour mettre en oeuvre des actions de sélection participative à partir de variétés populations. Ce mouvement très divers se formalise en 2003 avec la création du Réseau des Semences Paysannes (RSP) (2).

Le mouvement anti-OGM

Mais parallèlement à cet important mouvement, des paysans de la Confédération Paysanne (souvent les mêmes) s’engagent dans une bataille frontale contre les firmes semencières notamment par des actions de fauchage. Alors que les OGM déferlent pratiquement sans résistance sur le continent américain, ils rencontrent de ce côté-ci de l’Atlantique une forte résistance qui conduit à un 1er moratoire européen (de 1999 à 2004 ). Avec la création en 2003 du collectif des Faucheurs Volontaires, de nombreux acteurs souvent issus du milieu associatif rejoignent le mouvement anti-OGM. Fauchages et procès se succèdent et font de plus en plus rentrer les OGM dans le débat public. La forte mobilisation de nombreuses organisations conduit alors en France comme dans d’autres pays européens à un moratoire sur la culture du maïs OGM. Effectif depuis 2008, il a subi de violentes attaques en 2012 et reste très fragile.

Les stratégies des firmes

Surpris par cette résistance, les firmes semencières intensifient leur lobbying pour que certaines techniques de génie génétique soient exclues de la réglementation européenne. Ainsi la directive 2001/18 " relative à la dissémination volontaire d’OGM dans l’environnement", précise que les OGM obtenus par "mutagénèse" ou "fusion cellulaire" (3) , ne font pas partie de leur champ d’application. Ils peuvent être ainsi diffusés sans la moindre obligation d’évaluation sanitaire et environnementale, d’affichage ni de demande d’autorisation, ce qui de fait les transforme en OGM cachés. C’est le cas en particulier des nouvelles Variétés Tolérantes aux Herbicides (VTH) dont les tournesols mutés sont déjà largement présents dans les champs et sans doute bientôt les colzas mutés. Et ce lobbying se prolonge au niveau européen pour faire sortir des techniques nouvelles de génie génétique (4) de la réglementation. Ce sujet plus politique que scientifique, est particulièrement sensible : confié à un groupe d’experts issus des Etats Membres fin 2008 puis renvoyé à la Direction Générale Santé Consommateurs (DG SanCo), il n’a pratiquement pas avancé !

Ces grandes manœuvres s’inscrivent en fait dans une stratégie globale de privatisation des semences, avec la confiscation juridique par les brevets et les COV (5) et la confiscation biologique par la mise sur le marché d’hybrides F1 non reproductibles. C’est ainsi qu’une poignée de firmes (6) tentent de maîtriser la production et la distribution des principales ressources génétiques de la planète pour l’alimentation et l’agriculture alors que ces semences ont toujours été considérées comme des « communs », régies par des droits d’usage collectif.

Qu’elles cherchent à détenir un pouvoir aussi exorbitant (l’arme alimentaire !) est inacceptable et terrifiant. Mais à travers cette appropriation du vivant, c’est aussi la biodiversité cultivée qui est gravement menacée car il n’y a aucune commune mesure entre la diversité produite spontanément par des millions de paysan(ne)s et celle produite industriellement par quelques firmes dont le mode de fonctionnement est basé sur l’économie d’échelle et la standardisation (voir encadré ci-dessous).

« Comme Darwin l’a fait remarquer, la sélection s’exerçant à chaque instant sur des milliards de plantes possède une puissance créatrice immense. Elle trie les variations favorables partout où elle agit. En limitant la reproduction aux seuls champs des semenciers, l’agriculture a commencé à mettre la poule aux œufs d’or en danger. Les semenciers ont beau savoir, et proclamer, que la diversité est leur matériau de base, qu’elle leur est nécessaire, ils ne peuvent pas réaliser à eux seuls le formidable travail qu’effectuait l’ensemble sélection-mutation-recombinaison sur des milliards de plantes. Ceux qui imaginent qu’avec quelques opérations de transgénèse (même des centaines), on peut en faire autant, n’ont pas la notion quantitative du phénomène et se bercent de rêves technologiques sans fondement scientifique. (7)

Droits des paysans et biodiversité cultivée

Ainsi, il apparaît que la préservation et le développement de la biodiversité cultivée ne peuvent être assurées par l’industrie semencière mais sont au contraire directement liés aux possibilités qu’ont ou auront les paysans de produire eux-mêmes leurs semences, c’est à dire à leurs droits de produire, de conserver, d’utiliser, d’échanger et de vendre leurs semences. D’autre part les semences étant le premier maillon de la chaîne alimentaire, ces droits constitituent aussi la base de l’autonomie des paysans et de la souveraineté alimentaire. Or ces droits des paysans sont reconnus dans le TIRPAA (8), que la France ainsi que l’Europe ont ratifié. Mais la traduction en droit national ou européen ne suit pas, comme le montre bien une évolution de la réglementation très en faveur des firmes. Appel à mobilisation : « semons la biodiversité »

L’appropriation des semences par ces quelques majors de l’agrochimie constitue donc une réelle menace pour notre alimentation et celle de nos enfants. Elles bénéficient d’une grande complicité de la part des autorités politiques qui semblent fascinées par leur puissance et les biotechs qu’elles mettent en œuvre. Que ces autorités politiques accompagnent ainsi ces majors dans leur expansion perpétuelle n’est certainement pas une bonne chose. Mais qu’en plus, malgré leurs engagements internationaux, elles refusent de prendre en compte les droits des paysans sur leurs semences, est à la fois scandaleux et irresponsable. La société civile doit donc peser sur le pouvoir politique pour que ces droits ne soient pas seulement reconnus mais aussi inscrits dans la loi.

C’est pourquoi a été lancée la Campagne pour une loi de reconnaissance positive des droits des agriculteurs par la libération des semences paysannes et fermières.

Soutenez cette campagne :

http://www.semonslabiodiversite.com/

Retrouver beaucoup d’infos sur les semences paysannes :

http://www.semencespaysannes.org/

Pour devenir semeurs et semeuses de biodiversité : association Pétanielle :

http://semeursmip.org/


1) Institut National de la Recherche Agronomique

2) http://www.semencespaysannes.org/

3) Ces techniques sont déjà anciennes (50ans), et sont même officiellement considérées comme « traditionnelles » par leurs promoteurs.

4) Voir « nouvelles techniques de manipulation du vivant. Pour qui ? Pour quoi ? » Publication Inf’OGM

5) Certificat d’Obtention Végétale

6) Monsanto, Syngenta, Pioneer, Vilmorin, Bayer, BASF...

7) « Une autre recherche est possible » Christophe Bonneuil, Isabelle Goldringer et Pierre-Henri Gouyon

8) Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Alimentation et l’Agriculture