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  De l’art de gouverner par des temps incertains

lundi 1er octobre 2012, par François Saint Pierre

Gouverner n’a jamais été facile et les peuples ont très souvent exprimé, avec plus ou moins de violence, de vives critiques envers les gouvernants. Choisir le Président de la République, après une longue campagne électorale, induit naturellement une période qualifiée "d’état de grâce". Dans nos démocraties où les médias jouent un rôle important le temps est accéléré et l’opinion publique peut rapidement évoluer. Sans faire apparemment de fautes majeures la popularité de François Hollande et de son gouvernement a baissé très fortement en quelques mois. De nombreuses explications circulent.

- Hollande est confronté à une récession économique importante dans un contexte européen difficile, mais cette excuse fondamentale lui est difficilement accordée, car lui-même l’avait refusée pour son prédécesseur.

- Les réformes ne seraient pas assez rapides. L’attentisme a semblé prédominer lors de la rentrée de septembre, alors que la dégradation de l’économie est toujours présente.

- Les français n’aiment pas les impôts.

- Manque d’efforts dans la réduction des dépenses alors que l’on annonce des dépenses nouvelles (important recrutement dans l’enseignement, création d’emplois d’avenir, retour pour certaines catégories à la retraite à 60 ans...)

- Dissension sur la ratification du traité budgétaire européenne qui donne l’impression d’un manque de cohésion de la gauche, d’un manque d’autorité du gouvernement et d’un manque de cohérence idéologique en raison des multiples déclarations critiques de la gauche sur ce traité avant l’élection.
- Des doutes sur le poids de François Hollande dans la diplomatie mondiale.

- "Le changement c’est maintenant" s’est avéré être un slogan boomerang... et une fois la victoire sur Sarkozy obtenue, le concept de présidence normale est plutôt un fardeau qu’un atout.

- Suppression des avantages liés aux heures supplémentaires. Alors que paraît-il, il suffisait de faire payer les riches une des premières mesures gouvernementale pénalise le pouvoir d’achat d’une partie de la classe moyenne.

- Des promesses déjà en sourdine : cumul des mandats, récépissé en cas de contrôle policier…

- Fortes tensions entre la politique menée par le Ministre de l’intérieur et les objectifs affichés par la Garde des sceaux.

Rien de grave au premier abord qui pourrait compromettre l’avenir, plutôt l’impression que l’équipe de François Hollande a fait quelques grossières erreurs de communication, certaines compréhensibles, d’autres qui sont symptômes de la faiblesse de la gauche.

La campagne électorale de François Hollande s’est construite autour d’une critique radicale de l’ère Sarkozy. Suivant la logique classique de nos démocraties modernes : il faut d’abord chercher à faire perdre l’adversaire plutôt que de chercher à convaincre sur sa propre capacité à gouverner. L’élection présidentielle a pris en France une place démesurée, toutes les forces politiques sont tournées vers cet objectif, le programme des partis est construit pour gagner cette élection et non pas dans la perspective de la responsabilité du pouvoir. Même si François Hollande a évité en partie le piège de l’excès des promesses, son programme était inadapté à la crise actuelle. Faire croire que Nicolas Sarkozy portait par ses excès et son incompétence la responsabilité de l’affaiblissement économique de la France était habile électoralement parlant, mais totalement erroné sur le fond. De même laisser croire qu’une fois élu il pourrait imposer une nouvelle politique à l’Europe s’est avéré contre productif. Le léger virage, qu’il a réussi à faire amorcer, est apparu dérisoire par rapport aux attentes qu’il avait imprudemment suscitées. Les peuples du sud ont pointé les avancées provoquées par François Hollande sur ce point, mais il n’arrive pas à convaincre une bonne partie de son propre électorat qui comprend bien que la ratification du pacte budgétaire européen est plus un renoncement obligé qu’un acte de foi dans la solidarité européenne. Sur le plan économique il a réussi à convaincre les marchés financiers et en conséquence les taux d’intérêt payés par la France ont baissé, mais la droite qui a creusé pendant 5 ans des déficits colossaux et qui a fait passer pendant le dernier quinquennat la dette publique de 64% du PIB à 90%, arrive, par médias interposés, à faire croire qu’il faut réduire encore plus drastiquement les dépenses publiques. Alors que tous les économistes pointent le risque d’une rigueur excessive, le gouvernement semble incapable de bien justifier sa politique pourtant relativement équilibrée entre augmentation des recettes et réduction des dépenses.

Les maladresses de certains ministres, liées en partie à des égos surdimensionnés et au manque d’expérience ont permis aux partisans de l’autoritarisme d’étaler dans les médias leur nostalgie du temps où Sarkozy décidait de tout. La présidence normale, bon slogan anti-Sarkozy aurait mérité un accompagnement linguistique pour ne pas être associée au manque d’autorité. La crise est grave et donc les raisons en sont profondes, rectifier la trajectoire sera un travail de longue haleine et non une conséquence du changement de style présidentiel, " Le changement c’est maintenant" était bien plus qu’une proposition, c’était une super promesse ambiguë que la gauche aurait du relativiser dès le soir de l’élection. Gouverner n’a hélas pas grand-chose à voir avec gagner des élections, les marges de manœuvres dans le réel de l’économie mondiale ne sont pas à la hauteur des envolées lyriques des candidats, que les médias dans leur logique d’audience savent très bien mettre en scène.

Erreurs de communication et maladresses techniques ont vite été repérées par les analystes politiques et le gouvernement a déjà commencé à corriger ses défauts de jeunesse. Pourtant la critique de fond perdure, la gauche a-t-elle un cap ? La victoire de François Hollande n’est elle pas une victoire à contre courant, plus provoqué par les nombreuses erreurs accumulées pendant les 5 ans de la présidence de Nicolas Sarkozy que par sa force de conviction ? La social-démocratie française n’est-elle pas comme ce voyageur qui aurait un but très lointain et qui ferait bien attention à l’endroit où il pose les pieds, mais qui n’aurait ni cartes ni itinéraires ? Depuis trop longtemps la gauche se positionne par rapport à la droite en se contentant au jour le jour de pointer les méfaits du néo-libéralisme et le conservatisme social de l’UMP, sans proposer un grand projet politique alternatif. Critiquer le cynisme des patrons d’ArcelorMittal est facile quand on est dans l’opposition, une fois au pouvoir relancer les hauts-fourneaux de Florange est bien plus difficile. Critiquer la mondialisation est normal, mais la gauche se doit aussi de proposer des solutions viables pour arrêter la désindustrialisation de la France et faire en sorte que l’on puisse encore dans quelques années acheter des voitures fabriquées en France. La perte de compétitivité de nos entreprises est une vraie question. Quand les patrons invoquent le coût du travail et la fuite des capitaux, il faut pour relativiser leurs arguments, proposer une politique industrielle crédible. La qualité de notre système productif tient à des facteurs immédiats comme la capacité d’investissement ou à des enjeux de concurrence qui font intervenir le prix de la main-d’œuvre, mais aussi et surtout à la compétence des travailleurs, notamment des techniciens et des ingénieurs dont la qualité de formation est un des atouts essentiels. Améliorer la formation de la jeunesse est de ce point de vue une responsabilité cruciale du gouvernement dans l’intérêt des jeunes et de toute la société. Sur ce point, suivant l’air du temps très individualiste, la gauche a trop souvent mis l’accent sur l’aspect bénéfice individuel qu’apportait l’Education Nationale, plutôt que sur l’intérêt à long terme pour la société.

La gauche s’est toujours définie comme étant dans le "sens de l’histoire", la droite affichant plutôt sa volonté de freiner les évolutions. Depuis que les hominidés ont évolué en se séparant des autres grands singes, les innovations techniques et sociales ont accompagnés les mutations génétiques pour faire de nous des homo-sapiens. Depuis 100 000 ans les sociétés humaines se sont complexifiées, les savoirs culturels et techniques ont énormément augmentés et l’emprise des hommes sur la terre n’a fait que s’accentuer. Axe du progrès qui définit implicitement une morale de gauche : autonomie du sujet et solidarité collective pour aller vers une humanité plus prospère grâce à la culture, aux sciences et à la maîtrise des techniques.

L’utopie d’un monde où règnent la justice sociale et la prospérité sert toujours de justification lointaine, mais les grandes idées et les forces sociales qui ont accompagnées l’histoire du socialisme sont en déshérence. La gauche croit au progrès scientifique, technique, économique et social... mais c’est quoi le progrès aujourd’hui ? Dans le temps le peuple hésitait devant les innovations qui engendraient un peu trop de bouleversements sociétaux ou qui semblaient présenter trop de risques. Maintenant que la planète est conquise nous nous rendons compte que les effets des actions de l’homme peuvent induire des conséquences redoutables. Pollutions gigantesques comme à Tchernobyl ou Fukushima, changement climatique, mise en péril de la biodiversité comme on peut le voir à propos des abeilles. Les scientifiques qui étaient auparavant plutôt partisan des avancées techniques deviennent sur des sujets comme les nanotechnologies, les gaz de schistes ou les OGM de plus en plus précautionneux, voire carrément alarmistes comme sur la question climatique. C’est maintenant les grands lobbies industriels pressés de faire du profit qui poussent à accélérer les processus d’innovation et qui refusent de prendre le temps de prendre les précautions nécessaires. Les tensions récurrentes entre EELV et les partis de gauche tiennent à ces ambigüités. La gauche peut-elle continuer à défendre sans états d’âme la société de production/consommation, alors que pour produire et vendre la droite libérale est actuellement largement plus compétente. Défendre une société de la connaissance passe-t-il par la croyance naïve aux vertus des nouvelles technologies ?

Le bilan de la gauche concernant la justice sociale est en demi-teinte. Droit du travail et sécurité sociale sont des acquis majeurs, mais difficile pour la gauche de revendiquer seule les progrès sociaux du vingtième siècle. Progrès qui ont accompagné les périodes de prospérité et qui se détricotent lentement sous les coups de boutoir de la crise et de la concurrence internationale. Détricotage que les patrons appellent pudiquement : « abaissement des charges ». Mais là aussi, alors que la gauche à toujours pensé que le cadre normal de la démocratie était la nation et qu’elle a toujours freiné toute gouvernance mondiale, peut-on espérer vivre en autarcie pour éviter la concurrence ? La gauche française n’a pas encore réussi à penser la globalisation des échanges et l’isolationnisme version Corée du Nord est objectivement impossible. Cela n’empêche pas de reposer les questions de l’appartenance nationale et européenne dans un contexte mondial. La mondialisation a été une réussite pour le capital, mais s’est avérée redoutable pour la classe ouvrière. La démocratie pour l’instant ne fonctionne réellement qu’au niveau national, le politique est structurellement impuissant face à la puissance des grands groupes industriels qui peuvent choisir l’endroit où les ouvriers sont les moins combatifs et où les avantages fiscaux sont les plus intéressants. La gauche n’a pas su jusqu’à présent traduire dans les faits son universalisme théorique.

Le "monstre doux", mélange d’idéologie consommatrice et de pseudo culture de masse, décrit par Raffaele Simone n’est-il pas en train de gagner la partie ? Peut-on continuer à croire à notre capacité à faire un monde meilleur alors que notre société addict à la consommation, hypnotisée par les écrans évolue vers un individualisme tout juste contrôlé par des états qui n’assurent bien que la fonction répressive et la levée des impôts ? Localement des groupes sociaux, qui n’arrivent même pas à se structurer en classe sociale, essayent de réagir, en vain généralement car la majorité ne se préoccupe pas des minorités en souffrance. La démocratie face à la crise actuelle montre ses limites, même teintée de socialisme elle semble essoufflée. Les totalitarismes plus ou moins religieux, qui se nourrissent de nos échecs, ne font pas mieux que les vieilles démocraties, mais ce n’est pas une raison pour être optimiste.

Tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne et certaines politiques sont plus efficaces pour les finances publiques que d’autres. Certains pays ont su résister à la facilité de la dette et ont fait des efforts pour produire au moins autant qu’ils consomment. Mais aucun pays ne semble totalement à l’abri des remous que semble promettre le vingt-et-unième siècle. L’Allemagne actuellement donneuse de leçons risque fort d’avoir un choc démographique redoutable dans quelques années, tout comme la Chine d’ailleurs. Même si certains ont amorcé la transition énergétique aucun ne sera totalement en dehors des conséquences du changement climatique. Gouverner c’est prévoir, la gauche mondiale épuisée dans des conflits locaux contre les multinationales n’est plus en état de proposer un projet de long terme aux peuples du monde ni de défendre une position diplomatique claire.

Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault n’a pas vocation à théoriser à l’échelle mondiale ce qu’est une politique de gauche. Par contre il doit proposer des réformes cohérentes avec les grands principes de la gauche et expliquer en quoi les options qu’il propose répondent aux besoins et à l’intérêt des citoyens. Réformes territoriale et fiscale, amélioration du fonctionnement de la justice et du système éducatif et amorce d’une stratégie industrielle sont des enjeux qui ne doivent pas attendre. Dans cette période difficile pour l’Union Européenne, la France doit retrouver l’initiative et ne peut continuer d’accepter par inertie des traités inspirés par une logique libérale. Pactes divers qui ne sont pas des avancées vers le fédéralisme, mais qui ont pour objectifs essentiel, en sacralisant la dette, de défendre les intérêts de la finance. Gouverner c’est prévoir, pour cela il est impératif de tenir compte des analyses prospectives économiques et environnementales, même quand elles sont pessimistes comme c’est le cas actuellement. Dire la vérité est une condition nécessaire pour mener une politique pragmatique et ambitieuse.

Les temps sont incertains, pour beaucoup il faudrait un homme providentiel. Vu d’un point de vue de gauche, c’est à la société de réagir et de prendre conscience de l’importance des enjeux actuels. Plus que d’un sauveur nous avons besoin de citoyens lucides et engagés capable de soutenir des politiques courageuses. Dans l’histoire les peuples ont souvent montré leur capacité de réaction face à l’adversité. Ce sont les peuples déterminés qui font les grands hommes, à nous de faire en sorte que nos dirigeants actuels rentrent positivement dans l’Histoire. A eux d’assumer, c’est à dire de gouverner dans l’intérêt à long terme du peuple et non dans une logique essentiellement électoraliste.