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  Radiographie d’un début de campagne

mardi 13 mars 2012, par François-Xavier Barandiaran

A un peu plus de cinq semaines du premier tour, des surprises pourraient advenir à cause d’un événement international ou des dernières cartouches gardées sécrètes par tel ou tel candidat. Mais, dans l’ensemble, on connaît déjà les linéaments et les failles de la campagne pour les présidentielles. Elle sera polémique, parfois violente du fait des attaques de Sarkozy et, tout compte fait, superficielle, provoquant lassitude et agacement chez pas mal des futurs électeurs.

Il est convenu d’affirmer que dans la Constitution, cinquième du nom, que De Gaule a laissée à la France, il s’agit de l’événement central de la vie politique. Tout tourne autour de l’homme – peut-être un jour de la femme – qui aura presque les pleins pouvoirs dans notre système de « national-présidentialisme » selon la définition de Cohn-Bendit. Si bien que pour ne pas passer à la trappe de l’oubli tous les courants politiques cherchent à exister à travers la présentation d’un candidat. Certains ont déjà été obligés de jeter l’éponge par peur d’un résultat dérisoire, par manque de finances (seulement ceux qui obtiendront plus de 5% des suffrages seront remboursés par l’argent public) ou par la difficulté à obtenir les cinq cents parrainages nécessaires. Nous ne connaîtrons les noms de ceux qui resteront en lice que le 19 mars où le Conseil Constitutionnel publiera la liste des homologués.

Dans la période si critique que nous vivons, comparable à celle de 1929, et devant les questions posées à notre système économique et à nos modes de vie, on pourra se demander avec la revue Esprit (numéro passionnant de février 2012) : « La campagne pour l’élection présidentielle…sera-t-elle à la hauteur des enjeux du prochain quinquennat ? ». Sans risque de se tromper on peut avancer une réponse négative : le débat de fond n’aura pas lieu. Dans la bipolarisation qui se dessine de plus en plus, les deux concurrents de tête se comportent davantage comme des tacticiens que comme des stratèges. Les français n’auront pas droit au débat sur les vraies questions qui conditionnent notre avenir : le pourquoi de la crise, le diagnostic sur la désindustrialisation de la France, l’échec de l’Europe à faire face à la dette, la place de la France dans la mondialisation, les années de récession ou de faible croissance qui nous attendent, l’oubli et la déshérence des banlieues (il est symptomatique qu’une seule des 60 propositions de Hollande y fait référence) , le type de croissance dont nous avons besoin ou, encore, comment lutter contre le changement climatique…

Depuis que le Président s’est déclaré candidat, on assiste tous les jours à des escarmouches : tu vas à Rungis, je vais à Florange ou, alors, on se traite de menteur. Comme si l’essentiel était de déstabiliser l’adversaire ! Pourtant, Hollande avait bien démarré avec le meeting du Bourget et sa déclaration de guerre à la finance. Toujours donné gagnant au premier et surtout au deuxième tour, il apparaît comme un candidat calme et serein, maître de son rythme et marchant sur les traces de Mitterrand. Voulant raviver le « rêve français », il avait démarré très haut dans les sondages, mais le tassement relatif actuel (autour de 30% des voix) ne traduit-il pas sa difficulté à donner espoir à un pays qui doute ? Pour prouver que son ennemi est « la finance folle » il ne suffit pas d’annoncer la séparation entre les banques de dépôt et les banques d’affaires, ce qui est sans doute une bonne chose. Pour parvenir à une France juste, il avait annoncé une grande réforme fiscale, véritable levier de redistribution de la richesse, en fusionnant les revenus du travail et du capital : l’impôt sur les revenus et la CSG. Depuis, pour ne pas effaroucher les classes moyennes, il annonce la création d’une tranche à 45% au-dessus de 150 000 euros par an et d’une autre à 75% pour ceux qui gagnent plus d’un million d’euros par an. C’est bien, mais il en faudra davantage pour attirer majoritairement l’électorat ouvrier, dont une partie lui reste tout de même fidèle !

C’est justement à propos de cet électorat que le combat fait rage entre le Front de gauche et le Front national. Marine le Pen cherche à apparaître comme la candidate des « invisibles » (agriculteurs, chômeurs, ouvriers, retraités…). S’il est vrai que beaucoup d’ouvriers, orphelins et dépités devant tant de promesses non tenues, votent FN, la majorité des électeurs de le Pen ne sont pas des ouvriers. Dé-diabolisée, selon les médias, - mais, peut-être, pas tant que ça si on en juge par sa difficulté à réunir les cinq cents promesses de parrainage – et ayant renoncé à certains thèmes chers à son père, elle fédère les colères et surfe sur la crise économique pour demander la sortie de l’UE et l’abandon de l’euro. La priorité nationale, l’immigration, l’insécurité et l’islamophobie sont toujours des thèmes récurrents. En revanche, la nouveauté dans sa campagne vient du virage à 180° pris pour se rapprocher de la communauté juive et de la politique de l’Etat d’Israël, ainsi que de la drague auprès des électeurs homosexuels, qui, à l’instar des mouvements gays européens, deviennent de plus en plus xénophobes et antimusulmans. Mais, même si spectaculairement Mélenchon et Marine le Pen s’invectivent vertement à travers les médias, le principal objectif de celle-ci est de récupérer les voix que Sarkozy avait réussi à lui siphonner lors de la campagne de 2007. Pour cela elle est dans la surenchère permanente, comme à propos des abattoirs de l’Isle-de- France et la viande hallal, un exemple parmi d’autres. Les sondages la situent depuis des semaines entre 16% et 18%, ne laissant pas augurer de la voir au deuxième tour. Il est vrai que les instituts d’opinion ont toujours du mal à trouver les bons critères de redressement des données brutes quand il s’agit des électeurs du Front National.

Venons-en à ausculter le candidat Sarkozy. Il avait souhaité rester Président le plus longtemps possible et faire valoir son rôle international dans la solution de la crise de l’Europe. Mais les événements n’ont pas pesé du bon côté de la balance : les cafouillages de l’Europe, son incapacité à trouver une solution fédérale, l’angoissant spectacle de la Grèce qu’on asphyxie et, comble de tout pour le Président sortant, la perte par la France du triple A ! Tout cela ajouté au fait que Hollande caracolait en tête des sondages l’a obligé à se lancer dans la bataille avec toute l’impétuosité qu’on lui connaît. Et son envie de gagner qui décuple ses forces. On se souvient de cette phrase prononcée lors de la campagne de 2007 : « La France se donne à celui qui la désire le plus ! ». Mais, n’ayant pas de bilant reluisant (le nombre de chômeurs en augmentation constante, le système éducatif en capilotade, le service de la santé qu’on démantèle…) ni de projet nouveau, il reprend celui de 2007 : « Travail, responsabilité, autorité ». Et il le fait avec le « vibrionnisme » qui le caractérise, après avoir fait tant d’efforts pour apparaître comme un Président calme et digne ! C’est la tactique du tourbillon pour occuper au maximum l’espace médiatique, un véritable feu d’artifice lançant une nouvelle idée, une nouvelle réforme par jour. Sans peur des invectives ni du durcissement de ton, comme après les manifestations hostiles lors de sa visite à Bayonne, qui risquent de polluer la suite des événements. Cette entrée en campagne guerrière et clivante - pour employer ce mot à la mode qui signifie la séparation de la société en couches antagonistes - ainsi que le retrait en sa faveur de quelques prétendus candidats ( Borloo, Boutin, Morin, Nihous) ont fait diminuer, fin février, quelque peu l’écart entre les deux impétrants à la charge suprême pour ce qui est du premier tour (entre deux et cinq points selon les sondages), la victoire de Hollande au deuxième, de façon éclatante, faisant l’unanimité de tous les instituts. Mais, même si les courbes du premier tour venaient à se croiser (ce qu’un premier sondage réalisé après le meeting de Villepinte vient d’annoncer), les journalistes politiques insistent sur le manque de réserves de voix et sur les reports qui ne s’annoncent pas bons, quand on prend en compte d’autres sondages qui montrent que deux français sur trois ne le jugent pas « sincère » ou qu’une majorité de nos concitoyens ne souhaite pas qu’il soit réélu. Cet antisarkozysme bien ancré est une difficulté qu’il aura beaucoup de mal à surmonter !

La nette droitisation de la campagne de Sarkozy aurait pu ouvrir un espace à celle de F.Bayrou, qui n’avait pas réussi à réunir autour de lui les divers petits partis centristes. Apparemment il n’en est rien. Après avoir fait un saut spectaculaire, courant janvier, à environ 14%, les résultats escomptés pour le béarnais stagnent. Avec quelques idées-force, comme « produire français » ou la revendication d’avoir été le premier à s’insurger contre la dette, mais sans troupes ni véritable programme, F. Bayrou, sage homme du terroir croyant à son destin présidentiel – nouvel homme providentiel ? - mène campagne se réclamant de l’intégrité républicaine et appelle inlassablement au dépassement du clivage droite-gauche. Avec une allure gaullienne il annonce la création d’une troisième voie qui rassemblerait les meilleurs éléments d’un camp et de l’autre. Il n’a de cesse de railler la bipolarisation de la campagne (ils ne sont plus quatre au coude à coude, mais deux qui distancent largement les autres) et parle de la « sarkhollandisation » des médias et des deux candidats qui se comportent comme si on était déjà au deuxième tour. Son appel aux humanistes : « Nous sommes depuis 2000 ans la civilisation qui refuse de faire du faible (l’étranger et le chômeur) les responsables des mauvais choix des forts » lui a valu le compliment de Mélenchon qui félicite « les chrétiens de Saint Martin » (qui partage son manteau) versus les « chrétiens des croisades » ! Mais il en faudra davantage pour le voir figurer au deuxième tour, même après le ralliement à sa candidature d’une vingtaine de sénateurs centristes. Ceux qui dans le Front de gauche avaient hésité à faire de Mélenchon leur candidat doivent se féliciter, aujourd’hui, de leur choix. Sa campagne est une véritable réussite, confirmée par sa montée progressive dans les sondages des intentions de vote qui frôlent les 10%. Bien que, quand on considère que le PC n’a pas présenté de candidat et que ceux des partis trotskystes n’arrivent pas à décoller, si on additionne toutes les voix de la gauche de gauche et de l’extrême gauche, on ne dépasse pas les résultats obtenus par Laguiller, Besancenot et Buffet, il y a cinq ans. Avec sa voix de stentor et ses qualités de tribun, il enflamme les salles et s’attire l’attention des médias télévisuels. Son programme se situe dans la droite ligne de beaucoup de revendications syndicales et de la défense des services publics. Tout dans son discours est fait pour raviver la conscience de classe ! Par ailleurs la sensibilité écologique s’y fait petit à petit une place (ce n’est qu’un début ?). L’autre pilier de sa campagne est l’héritage du « non » au référendum sur la constitution européenne en 2005 (Une partie du « non », l’autre étant âprement revendiquée par Marine le Pen !). Encore elle, si bien que certains, à tort, cherchent à les mettre dans le même panier du populisme, comme ce malheureux titre du Monde, le 8 février : « Le match des populismes ». Ce mot est polysémique et chacun cherche à l’employer dans le sens qui lui convient. Il est vrai que Mélenchon, en s’adressant au peuple : « prenez le pouvoir » et parlant d’une Assemblée Constituante qui instaurerait la VIe république, joue des effets de la rhétorique d’estrade. Mais, le vrai populisme, qui gratte dans le sens du poil pour séduire l’électorat, qui flatte les « bas instincts » de l’auditoire, c’est celui de la xénophobie, du nationalisme étroit, de l’islamophobie et de l’instrumentalisation des peurs de toute nature. Ou celui, démagogique, qui s’adresse aux électeurs par-dessus toutes les instances constituées de la société, en fustigeant « l’entre soi des élites administratives, politiques, économiques et syndicales ». Tout le monde aura reconnu Marine le Pen et Nicolas Sarkozy !

A l’heure où la défiance des gens à l’égard des hommes politiques qui « ne s’occupent pas des vrais problèmes » atteint des niveaux inquiétants pour le fonctionnement de notre démocratie représentative, il y a des modes qui apparaissent : lors de la campagne de 2007 c’était « la démocratie participative », cette fois-ci c’est le référendum. Donner la parole au peuple ! Sarkozy promet des référendums sur les droits des immigrés ou l’assistanat aux chômeurs. Bayrou, aussitôt élu, organiserait un référendum sur la moralisation de la vie publique. Mélenchon verrait bien un référendum sur le nucléaire ou sur « la règle d’or » budgétaire que Mme Merkel est en train d’imposer aux autres pays de l’UE. Quant à Marine le Pen, elle parle carrément d’une république référendaire ! Bien sûr que le référendum peut être un outil de la démocratie, surtout quand on touche à des questions capitales, mais c’est un outil délicat à manier pour que le peuple se manifeste en connaissance de cause et que sa décision soit respectée. En attendant, on peut constater que, lors de la réforme de la Constitution en 2008, on y a introduit le concept de « référendum d’initiative populaire » et que les décrets d’application n’ont jamais été pris ! Il nous reste à parler de la campagne des « petits » candidats. On appelle ainsi ceux qui n’arrivent pas à décoller dans les sondages. La démocratie médiatique – et surtout télévisuelle – est impitoyable avec eux, qu’ils s’appellent Dupont-Aignan, Lepage, de Villepin, Arthaud ou Poutou. S’ils restent en lice le 19 mars, il leur restera le lot de consolation, pendant le temps de la campagne officielle du 9 au 20 avril, du temps d’antenne qui est réservé à chaque candidat sur la radio comme à la télévision. C’est, en partie aussi, la situation d’Eva Joly à qui les sondages accordent depuis des semaines autour de 3%. Sa candidature est le fruit de moult débats au sein d’EE-Les Verts et des primaires où elle fut préférée à N.Hulot. A cause de l’absence de proportionnelle et pour avoir du poids dans la prochaine législature, le parti EE-Les Verts a fait le pari de concilier la présentation d’une candidate aux présidentielles avec l’accord de mandature avec les socialistes, moyennant la réservation de 60 circonscriptions aux législatives. Cet accord passa avec le soutien d’une grande majorité des dirigeants et les réticences de pas mal des militants et n’a pas, sûrement, cessé d’alimenter le débat, surtout en cas de mauvais résultat pour Eva Joly. C’est, pourtant, ce qui risque bien de se produire ! Lancée dans une campagne qui n’a jamais été favorable pour un parti qui se dit anti-présidentialiste, Eva Joly, mal épaulée par son parti, est une femme non formatée politiquement et n’ayant pas le bénéfice de la maîtrise du verbe. Malgré ses débuts décevants, les doutes de certains dans son camp et les critiques de beaucoup de journalistes, elle affirme vouloir continuer avec courage pour faire entendre le message des écologistes politiques. Alors que le Président vient de supprimer le ministère de l’écologie, indiquant de la sorte le peu d’importance qu’il lui attribue, qui d’autre que Joly dira à la société que le nucléaire n’est pas l’énergie de l’avenir, que nous devons aller vers plus de sobriété, que la lutte contre le réchauffement climatique exige qu’on diminue la production de CO2 et autres gaz à effet de serre et qu’avant que le prix des énergies ne devienne insupportable pour les strates inférieures et moyennes de la société et ne soit à l’origine de conflits sociaux délétères, il faudra mettre en place une fiscalité socio-écologique, garante de la démocratie et du vivre-ensemble ?

Un dernier mot sur la participation, dont le taux au soir du 22 avril et du 6 mai sera un des thermomètres de la réussite de la campagne. Un tiers de nos concitoyens « galèrent dur » : quand on additionne les cinq millions de chômeurs, le million des rayés des listes ou en stage de reconversion ainsi que les « découragés » qui n’attendent plus rien, les trois millions des « travailleurs pauvres », etc., on arrive bien à un français sur trois vivant dans la pauvreté et la précarité sociale. Pourquoi tous ces exclus attendraient encore quelque chose des institutions politiques du pays, dès lors que, selon l’expression d’ATD Quart Monde, « ils ont le sentiment que l’on n’attend plus rien d’eux ? »