Le Café Politique

Parce que le citoyen doit penser pour être libre !
  • Article

  Retraites : des chiffres et de l’idéologie.

lundi 26 avril 2010, par François Saint Pierre

Le fait de percevoir une retraite après quelques années de travail est un acquis relativement récent (en 1910 le travailleur qui avait droit à une pension était l’exception), et nous sommes bien loin d’un standard social au niveau mondial, qui pourrait servir de référence. Les évolutions normales de la société impliquent nécessairement des ajustements. depuis quelques années l’augmentation de l’espérance de vie et la tendance baissière de la natalité entraînent des difficultés pour équilibrer notre système de retraite par répartition.

Le paramètre clé : l’espérance de vie

Le Conseil d’Orientation des Retraites évalue que d’ici à 2050 l’espérance de vie sera de 89 ans pour les femmes et de 83,8 pour les hommes, soit environ 6 ans de plus que maintenant, et que cela entrainera un fort déséquilibre entre la population active et les retraités. Les données démographiques de l’INSEE devraient être publiées fin 2010, pour construire ses projections le COR, n’a donc fait que reprendre les hypothèses choisies en 2007 sans tenir compte des récentes évolutions. A ce paramètre fondamental d’autres variables sont intégrées dans le modèle. Le taux d’immigration, l’évolution de la fécondité par femme, le taux d’emploi et l’évolution de la productivité. Pour des prévisions à quarante ans la marge d’incertitude devient phénoménale. Trois scénarios, qui dépendent uniquement de l’évaluation de la progression de la productivité et du taux de chômage, sont proposés par le COR. Le plus positif est jugé délirant d’optimisme par le MEDEF et pas assez volontariste par les syndicats, qui parient une fois la crise passée sur une redynamisation de notre économie. Difficile d’analyser la crédibilité de ces divers scénarios, pour autant l’évaluation de l’espérance de vie en 2050 me paraît avoir été faite à partir d’un prolongement assez naïf de la courbe de l’espérance de vie de ces dernières années, sans voir que l’infléchissement récent pouvait conduire assez rapidement à une quasi stabilisation de cet indicateur. L’espérance de vie est un indicateur qui, en mesurant le taux de mortalité d’une année donnée à chaque âge, traduit les conditions de vie du passé pour chacune des générations au moment où on fait le calcul. Les gains de l’espérance de vie ne sont plus en ce moment sur la baisse de la mortalité infantile mais sur les générations les plus âgées qui ont affronté dans leurs jeunes années des conditions de vie difficiles. On peut très raisonnablement envisager un fort ralentissement de la croissance de cet indicateur vers 2030. En effet à cette époque les générations qui interviendront dans le calcul de l’espérance de vie auront presque toutes pleinement profité des grands progrès de l’hygiène et des progrès sociaux liés aux "trente glorieuses". Il est à noter que l’indicateur optimal pour évaluer le nombre de retraités aurait plutôt été l’espérance de vie à 60 ans, mais vu les imprécisions du modèle inutile de pinailler sur ce détail.

Quelle urgence ?

Invoquer les mathématiques pour justifier ses décisions politiques fait sérieux, mais les données qui sont utilisées pour construire les modèles n’ont pas la fiabilité que l’ont fait semblant de leur accorder. Quand on voit l’incapacité des modèles à prévoir une crise économique, l’évolution d’une épidémie ou l’intensité d’un nuage de poussière, commencer un débat en affichant des certitudes sur une aussi longue période n’est pas très rationnel. Si les scénarios à long terme sont très incertains, les prévisions à court terme sont beaucoup plus plausibles, mais aussi nettement moins inquiétantes. Les dernières reformes sont en train de faire évoluer les pratiques, l’âge réel de la liquidation de la pension est de plus en plus retardé. Pour avoir une retraite correcte de plus en plus de travailleurs envisagent, dans la mesure du possible, de prolonger leur activité. Il aurait suffit d’une reprise économique un peu plus énergique pour que cette question des retraites ne se pose pas. La poser maintenant, en dramatisant au maximum, a surtout une fonction politique : faire croire que le Président de la République est un grand réformateur, en évitant les risques politiques d’une trop grande proximité avec l’élection présidentielle de 2012.

Quels choix ?

S’il n’y a pas urgence, la question mérite toutefois d’être traitée par un grand débat national. L’équation semble simple : face à l’augmentation du nombre de retraités, pour maintenir le niveau des pensions au niveau actuel, il faut augmenter les ressources. Ce choix est assez consensuel, tellement il semble normal de ne pas mettre en cause la solidarité inter-générationnelle, qui est à la base du système par répartition. Augmenter les ressources peut se faire en augmentant le montant des cotisations ou en allant chercher des ressources nouvelles du côté de ceux qui ont bénéficié des récentes évolutions économiques (La masse salariale ne représente que 60% de la valeur ajoutée, le projecteur mis récemment sur les profits financiers ou sur les avantages des dirigeants montre qu’il y a de ce côté d’importantes possibilités). La première solution a été écartée par le gouvernement, la deuxième ne devrait être utilisée que de manière homéopathique pour ne pas déplaire à l’électorat de droite. Refusant ces solutions le pouvoir propose de rallonger pour chacun la durée de cotisation. La seule marge importante de négociation serait sur l’âge légal de départ à la retraite, sur le nombre de trimestres nécessaires à une retraite à taux plein et sur les aménagements particuliers pour ceux qui ont effectué des travaux pénibles. Modifier l’âge légal de départ à la retraite est une mesure qui a un effet presque immédiat sur l’équilibre des comptes. Pour éviter les troubles sociaux, cet âge sera probablement maintenu mais, comme en Allemagne, un système de décote qui pénalisera ceux qui voudront partir avant 62 ou 63 ans sera certainement proposé. La contre partie sociale sera d’exonérer de cette décote ceux qui auront exercé une "activité pénible".

Les conséquences

Ce choix serait acceptable dans une économie fortement en expansion, qui permettrait d’augmenter les possibilités de travailler pour tous. Dans un système en équilibre précaire, comme est actuellement notre économie, il est illusoire de faire comme si la création d’emploi se décrétait par la loi. Si certains pourront prolonger leur durée de travail, et maintenir constant leur droit à pension, cela rendra l’accès au travail bien plus concurrentiel et devrait augmenter le taux de chômage ou retarder pour les jeunes l’âge du premier emploi. Globalement ces mesures n’augmenteront pas les ressources et n’amélioreront pas le fonctionnement de notre économie, elles se traduiront par une baisse du montant des pensions pour ceux qui n’auront pas la possibilité d’avoir une très longue carrière. Prétendre conserver le niveau des pensions par les mesures proposées est un mensonge économique. Certains pourront se réfugier derrière des retraites complémentaires obtenues par capitalisation, porte ouverte aux fonds d’investissements privés. Malgré les démentis, cela est bien, dans la logique néolibérale actuelle, qui n’apprécie guère le principe de la retraite par répartition.

Bilan

Le financement des pensions renvoie à la santé de notre modèle économique, aux évolutions démographiques et au partage des richesses. Nous pouvons nous féliciter d’avoir de plus en plus de personnes âgées, car cela n’est pas lié à l’effondrement de la natalité comme dans certains pays, et il est normal de leur consacrer une part plus importante de la richesse produite. Notre modèle économique, considéré comme archaïque, s’est avéré relativement robuste pendant la crise, il est pour autant illusoire de croire à une très forte reprise de la croissance. Les pays occidentaux confrontés à la concurrence asiatique, à la pénurie d’énergie et aux difficultés environnementales auront beaucoup de mal à maintenir leur niveau de vie. Ce qui est la variable principale, c’est les choix faits pour répartir les richesses produites entre les générations mais aussi entre les riches et les pauvres. C’est ce dernier point que semble vouloir oublier le gouvernement dans ses propositions.