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  Comment habiter notre planète ?

vendredi 18 septembre 2009, par François Saint Pierre

Notre espèce a pendant longtemps considéré notre planète comme un espace infini, qu’il fallait investir et maîtriser pour survivre. Était un progrès tout ce qui augmentait la capacité des hommes à se structurer en communauté puissante et dominatrice. Le langage nous a permis de collaborer et l’écriture a facilité l’accumulation d’un énorme stock de connaissances technoscientifiques. Les hommes modernes (sapiens-sapiens) ont réussi en 150 000 ans à conquérir la planète et à dominer toutes les autres espèces. Les questions de pollution, d’énergie, de climat, de recyclage des ordures, etc. ne se posaient pas et la justice sociale était subordonnée à l’impératif vital. Depuis la fin du vingtième siècle cette période touche à sa fin. Les premières photos de la terre vue du ciel, les signes d’épuisement des ressources naturelles et les premiers indices du réchauffement climatique ont amorcé le changement de paradigme. Nous habitons une terre finie aux ressources limitées et si nous avons dominé les autres espèces animales, la biodiversité est indispensable. La justification habituelle des inégalités par l’efficience économique, argument de fond du libéralisme productiviste, est de la même manière globalement obsolète.

Chez les romantiques, l’inquiétude de la vitesse excessive des premières locomotives prête à sourire et sert encore à disqualifier les techno-catastrophistes, qui ont une crainte plus ou moins irraisonnée des nouvelles techniques. Les cassandres ont dans l’histoire souvent eu tort, mais dans l’Iliade, celle qui avait annoncé la chute de Troie, et qui n’a pas été entendue, avait pourtant bien raison. Ce qui pose question en ce moment, ce n’est pas une technique particulière mais les fondements de notre organisation sociale. Peut-on continuer à valoriser la production et la consommation de biens en tout genre, comme le montre l’exemple du sacro-saint PIB qui augmente quand il y a des bouchons sur les routes ? Peut-on continuer à estimer que la croissance de cet indicateur est la seule manière de résoudre les problèmes du moment ? Le rapport Stiglitz indique des pistes pour mesurer différemment notre économie, en tenant compte de la qualité de vie induite par les conditions économiques, mais aussi de l’aspect durable du développement. Les réactions sceptiques des partis politiques et des médias montrent bien la difficulté à penser en simultané l’écologie et le social. La force du modèle libéral productiviste a été d’arriver à persuader la population que la croissance de la production, même si elle était associée à une répartition inégalitaire des profits, était la meilleure solution pour améliorer notre qualité de vie, conformément à la théorie de la justice de John Rawls.

"Comment habiter la planète ?" implique de se poser la question de l’organisation sociale et d’éliminer en grande partie l’aspect inégalitaire, qui n’a plus la justification de l’efficacité productiviste, mais aussi de modifier profondément le rapport à la nature. Les progrès techniques peuvent améliorer le rendement dans l’usage des ressources naturelles et même nous permettre d’utiliser de nouvelles ressources. Pour autant, il va falloir apprendre à gérer le stock avec une certaine parcimonie et fonctionner sur des ressources renouvelables pour que la planète puisse garder un équilibre favorable à la survie de l’humanité. L’aspect biodiversité est tout aussi indispensable à prendre en compte. Si dans un premier temps l’homme a dû s’imposer par rapport aux autres espèces, il faut apprendre, tout en considérant notre intérêt prioritaire devant celui des autres espèces, à gérer une cohabitation intelligente. Ces objectifs devraient être la base d’un fort consensus politique pour tous ceux qui acceptent de se projeter un tant soit peu dans l’avenir.

Nous sommes actuellement très loin de pouvoir reconstruire l’axe politique gauche/droite, en ajoutant aux enjeux politiques classiques la prise en compte de la durabilité de notre économie ou l’importance de la biodiversité. Pour l’instant on a plutôt l’impression d’avoir affaire à trois pôles attractifs. Un premier qui pense que s’il y a quelques difficultés écologiques, la réglementation et la technoscience réussiront à nous faire vivre comme avant et que notre système économique et social peut être fier d’avoir amélioré substantiellement le bonheur de tous y compris celui des plus pauvres. Le deuxième pôle est constitué de ceux qui mettent une priorité absolue à l’équité sociale, ils pensent qu’une organisation de la société correcte résoudra naturellement les difficultés énergétiques et climatiques. Le troisième pôle est celui de ceux qui pensent que l’urgence est écologique et qu’il est impératif de prendre des mesures tous azimuts sans attendre une société plus juste sur le plan social.

Le déplacement d’une partie de la droite vers le pôle écologique a empêché la redéfinition d’un nouvel axe politique, avec d’un côté une droite conservatrice et productiviste, qui s’accrocherait au modèle traditionnel, et en face un bloc social-écologique plus moderniste sur le plan sociétal et moral. La situation américaine semble bien plus limpide de ce côté. Les républicains assument leur individualisme réactionnaire et restent les défenseurs du traditionnel "american way of life", face à Obama qui essaye de transformer en profondeur la société américaine. La situation dans la mosaïque européenne est complexe et il est difficile de trouver une cohérence entre les discours officiels de la bureaucratie européenne et les décisions concrètes prises dans les divers pays. La manière dont la Chine et l’Inde vont conduire leur développement va être déterminante pour l’avenir, mais dans cette problématique ces pays ont une responsabilité historique faible et nous ne pouvons pas nous contenter de faire obstacle à leur croissance économique. C’est à l’Occident démocratique et riche à chercher les solutions et à les proposer le plus rapidement possible aux pays qui ont moins de capacités techniques et financières, cela étant particulièrement vrai pour l’Afrique.

Au-delà de la clarification des enjeux et de la hiérarchisation des choix se pose la question de la justesse de nos analyses. Par exemple, les français pensent que le nucléaire est la solution au problème énergétique. L’électricité produite permettant de faire des nouvelles voitures électriques qui ne produiraient pas de CO2 ou de chauffer écologiquement les maisons. Il suffirait que l’État donne une prime de 5000€ à chaque français pour se payer une voiture verte et le climat serait sauvé. Les problèmes de batterie au lithium ou de pollution par les métaux lourds sont à peine évoqués, la réflexion sur l’avantage donné aux plus riches qui pourront grâce à l’argent public se donner une bonne conscience écologique n’est pas abordée et les difficultés non résolues du nucléaire sont carrément sorties du débat public. Au bilan la plupart des politiques de gauche et de droite défendent une voiture pour bobos fortunés et urbains sans réflexions sérieuses. De la même manière tout le monde est convaincu, qu’il faut se déplacer le plus possible en transport en commun et en mode doux, mais quand il s’agit de prendre des décisions il n’y a plus d’argent pour financer les infrastructures car le consensus s’est fait au préalable sur la baisse des impôts. L’urbanisme qui est adapté à une société économe en énergie tant du côté des déplacements que du côté du chauffage se heurte de plein fouet au désir forcené du français un peu aisé qui veut habiter une villa avec un grand jardin et si possible une piscine. Faire les bons choix nécessite une capacité d’évaluation, que nos sociétés ne se donnent pas les moyens d’avoir, préférant laisser un maximum de liberté au monde de l’entreprise.

Changer de société est possible. Cela ne nécessite pas seulement du courage politique de la part des dirigeants, comme en fait preuve en ce moment Obama, mais aussi une mutation profonde des mentalités citoyennes. La taxe carbone, qui n’a pas été pensée dans une logique "redistributive" et qui exclut à partir d’arguments fallacieux l’électricité, a pourtant l’avantage d’être un petit début à la prise en compte dans l’économie du climat. Le climat, la qualité de l’air ou de l’eau, les réserves de glace, la biodiversité, la couverture forestière, etc. sont des biens publics dont l’humanité a l’usufruit et qui doivent être pris en compte dans le fonctionnement de l’économie. Défendre les biens publics est plutôt une position de gauche, critiquer les ambiguïtés de la taxe mise en place par le gouvernement est normal, mais laisser croire que ce n’est que l’occasion de pomper de l’argent dans les poches des classes populaires me semble une attitude démagogique dangereuse. L’argument de l’impuissance d’une taxe qui n’est appliquée que par quelques pays montre la nécessité d’améliorer sur ces grandes questions la gouvernance mondiale et de ne pas laisser à l’OMC, avec sa logique productiviste libérale, le soin de réguler l’économie mondiale. Les bonus/malus sont aussi un moyen de "fausser la concurrence" de base et de contraindre la loi de l’offre et de la demande à respecter l’intérêt collectif. Pour créer un consensus politique entre la gauche traditionnelle et les courants écologiques Il faut redéfinir l’espace concurrentiel, l’espace de l’économie solidaire et celui qui est sous la responsabilité directe de l’État en élargissant le concept de biens publics. Il est urgent de mettre en place des mécanismes de régulation du système de production mondial, qui ne peut se contenter de quelques normes sanitaires minimales et d’un acte de foi dans la concurrence libre et non faussée garantie par l’OMC.

Face à la crise financière et économique l’État a pris des mesures d’urgence très onéreuses comme la prime à la casse. Il est légitime d’aider les travailleurs en difficulté, mais faut-il encourager le renouvellement du parc automobile en se servant de l’alibi du progrès des moteurs dans la consommation de CO2 ? La crise n’est pas terminée et on peut espérer qu’elle favorisera une transformation profonde de la société, cependant il semble que du côté des privilégiés, beaucoup ne souhaitent qu’une chose : revenir à la situation antérieure. Réguler le système est un des mots d’ordre des puissants lors des rencontres internationales comme le G20 mais il ne faut pas sous estimer la volonté de la majorité des élites à conserver un système qui produit beaucoup d’argent et qui leur est profitable. Certes, orienter légèrement le système par des bonus/malus ou par quelques investissements structurels financés par un emprunt national leur paraît acceptable, mais ils ne veulent en aucune façon remettre en cause par des mesures conséquentes le modèle libéral productiviste. Si on veut demain habiter correctement notre planète il est urgent de repenser le rôle et la responsabilité des politiques dans le fonctionnement de l’économie. Le "ponce-pilatisme" actuel, masqué par de belles déclarations, doit laisser la place à une réelle prise en compte de la finitude de la planète dans nos choix collectifs et individuels.