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  L’Afrique, le G20 et l’économie de marché.

lundi 6 avril 2009, par François Saint Pierre


- Extrait de la "Déclaration du G20" du 02/04/2009 : "Nous estimons que la seule base solide pour assurer la pérennité de la mondialisation et l’accroissement de la prospérité pour tous consiste en une économie mondiale ouverte reposant sur les principes du marché..."

- La question n’est pas tant d’apprendre aux hommes à pêcher -plutôt que de leur donner du poisson- mais de s’assurer qu’il y a bien une mer ou une rivière à côté, avec du poisson en quantité dedans, avec des bateaux sécurisés et des filets robustes et de s’assurer auparavant qu’ils aiment bien le poisson. Mais on peut aussi se demander si on est bien là pour leur apprendre à pêcher ou pour prélever notre part de plus value sur les profits de la pêche.

L’Afrique est multiple, difficile de résumer en quelques mots sa diversité et sa complexité, mais avec 14% de la population mondiale elle ne représente que 2% des richesses produites et elle semble être restée à la périphérie de la globalisation. L’optimisme peut passer pour une grossière sous-évaluation des difficultés, à l’inverse le pessimisme peut être interprété comme un manque de confiance dans la capacité des africains à résoudre leurs problèmes. Le risque principal est celui de l’indifférence, l’Occident "regarde ailleurs" et même les visites de Nicolas Sarkozy en Afrique n’arrivent pas à motiver les médias. La crise financière et économique actuelle qui dans un premier temps a semblée ne pas trop concerner l’Afrique commence après quelques mois à se faire durement sentir. Le néo-libéralisme des années 80/90 est passé de mode, la volonté affichée est de revenir aux vieilles recettes keynésiennes pour sauver la finance mondiale et relancer la croissance. Avec en arrière décor une crise énergétique qui ne demande qu’à repartir, et des menaces environnementales extrêmement inquiétantes, c’est tout l’idéal moderne d’une société de consommation qui est en cause. Devant le péril, les dirigeants du G20 sont unanimes pour prendre des mesures d’exceptions draconiennes. Pourtant à l’heure ou les plans de relance se chiffrent en centaines de milliards d’euros, le FMI à des difficultés à trouver les 25 milliards de dollars nécessaires pour limiter les conséquences néfastes de la crise sur les populations africaines.

Même ceux qui chantaient il y a peu les louanges de la mondialisation heureuse critiquent vertement à présent les excès de l’ultralibéralisme et le manque de morale des dirigeants des grandes entreprises, des financiers ou des traders. Après quelques nouvelles régulations plus marginales que ne le laissent croire les déclarations triomphales des dirigeants de la planète et des plans de relance financés par la dette publique, nous n’avons paraît-il qu’à attendre patiemment la reprise. Les principaux représentants du monde occidental se contentent de rappeler que la main invisible du marché est encore le meilleur moyen d’accroitre la prospérité du monde, si possible avec un régime démocratique chargé de contrôler les excès du système. La verte démocratie sociale de marché est l’utopie moderne qui permet à l’Occident d’avoir bonne conscience, mais qui malgré quelques bémols sociaux et environnementaux ne remet pas en question le primat du marché sur la démocratie. Difficile de renoncer à un algorithme de régulation qui a fait ses preuves pour enrichir une partie non négligeable de l’humanité. La justice sociale tant au niveau local que mondial, l’intérêt de la planète et des générations futures, ainsi que le respect des droits de l’homme sont laissés à la marge. Il est normal que le système économique ait une certaine autonomie par rapport au système politique, cela permet d’éviter les dérives étatiques totalitaires et limite l’emprise du politique sur la vie des citoyens. La répartition des richesses dont une partie doit être redistribuée par la puissance publique ne doit pas dépendre uniquement du système électoral et elle doit pouvoir s’appuyer sur le marché mais aussi sur le mérite ou sur les l’économie sociale et solidaire. Par contre il est scandaleux que la gouvernance donne de plus en plus l’impression d’être basé sur le principe de l’économie capitaliste : un euro égale une voix. Au FMI dont le rôle est de plus en plus important la Chine ne représente que 3,6% des voix, l’Inde 1,9 et l’Afrique 0,85% (4,86% pour la France). De même la récente réunion du G20 à Londres ou le sommet de l’OTAN à Strasbourg a bien montré que le poids de chaque chef d’État est pondéré par le PIB de son pays et non par le nombre d’habitants qu’ils représentent. Les gouvernants sont de moins en moins les porte-paroles responsables des peuples qui les ont choisis, ils ne sont que les chargés d’affaires des grands groupes financiers et industriels basés sur leur territoire. Affirmer avec force que notre société est basée sur les principes du marché c’est entériner l’impuissance du politique sur les grandes questions sociales et environnementales et ne lui laisser que la gestion des infrastructures et de la sécurité.

Les rapports déjà anciens entre l’Afrique et l’Europe ont commencés par un fort différentiel au niveau de la puissance économique et technique. Cela s’est traduit par des rapports dissymétriques basés en partie sur des échanges commerciaux, mais aussi en bonne part sur des rapports de domination et d’exploitation, totalement contraires aux valeurs que l’on a toujours prétendu défendre. La colonisation de l’Afrique au dix-neuvième siècle et au début du vingtième, inacceptable sur la forme et sur le fond, a été paradoxalement soutenue par la conviction de beaucoup d’humanistes d’apporter aux autochtones la civilisation. L’instituteur ou le missionnaire au fin fond de la brousse croyaient au devoir d’ingérence et étaient convaincus de faire le bien ! Après les déclarations d’indépendances une période officiellement basée sur la coopération a commencée. Belle époque pour la "Françafrique", mais trompeuse pour l’Afrique, qui est tombée dans les pièges d’une dépendance économique. Cette période s’est traduite par l’autonomisation des sociétés d’exploitation des ressources du sous-sol ou de l’agriculture de rente, mais la mise en place de techniques de production industrielle ne s’est pas faite. Quelques propriétaires ont su collaborer avec les grandes entreprises et une élite peu nombreuse, mais habile, a pris le relais des anciens pouvoirs coloniaux. Le système éducatif, laissé en place par la colonisation, totalement inadapté aux besoins du développement économique, n’a pas su fournir des ingénieurs et des cadres pour amorcer un essor industriel. Les rares étudiants qui poursuivaient des études scientifiques à l’étranger avaient des difficultés à se réinsérer dans leur pays d’origine et préféraient souvent, pour avoir des salaires corrects, continuer leur expatriation.

La première crise pétrolière et la montée de l’idéologie néolibérale se sont traduites par une évolution ambiguë des rapports entre l’occident et l’Afrique. Robert Mac Namara, ancien conseiller de JF Kennedy et directeur de la banque Mondiale, en est le principal théoricien. D’un côté on a affirmé clairement la volonté de satisfaire les besoins fondamentaux des africains (eau, nourriture, hygiène, école primaire, vaccins,....) de l’autre on a mis en place la politique des "prêts d’ajustement structurel". Ces prêts encouragés par le FMI et la Banque Mondiale étaient un véritable miroir aux alouettes. Pour les obtenir il fallait s’interdire toute mesure de protection de l’économie, notamment le contrôle des changes, et minimiser les interventions de l’État, cela revenait à faire croire qu’ils pouvaient rentrer à armes égales dans la mondialisation libérale. La chute des prix des matières premières liée à l’inévitable surproduction, provoqué par l’absence totale de régulation et de planification, a entraîné une faillite quasi généralisée des pays pauvres. En alourdissant de manière considérable la dette de presque tous les pays du tiers monde cette politique a été un échec historique flagrant, qui pèse encore lourdement sur l’ensemble des pays africains.

Après quelques légers reports de la dette pour les pays les plus pauvres, mais aussi après la reprise du cours des matières premières, le discours des organisations internationales a fini par évoluer. Le développement durable est rentré dans la panoplie des justifications idéologiques et maintenant sert de caution à l’octroi de prêts ou d’aides. Mais si l’Agenda de Rio paraît bien plus sympathique que le néo-colonialisme des années 70/80 il ne remet pas en cause le principe du marché soit disant "libre et non faussé", qui pour des raisons historiques profondes laisse toute l’Afrique en situation de faiblesse dans les négociations et dans la capacité de produire de manière concurrentielle (lire : CNUCED : l’économie de marché défavorise l’Afrique http://www.syfia.info/index.php5?vi...).

Avec des frontières qui ne correspondent pas toujours avec leur histoire, empêchant le développement d’un sentiment d’appartenance à un espace de solidarité, sans classe moyenne capable de dynamiser l’économie locale et de créer les conditions favorables à un fonctionnement normal de la démocratie, l’Afrique ne semble toujours pas prête à affronter le vingt et unième siècle. L’avenir proposé à l’Afrique est toujours celui du réservoir de matières premières minières ou agricoles, terrain de jeu pour les aventuriers ou base de villégiature pour les touristes. Depuis quelques années de nouvelles pratiques apparaissent. Inquiètes des risques de tension sur l’énergie et conscientes de l’intérêt à moyen terme de la biomasse, que cela soit pour l’énergie ou pour la nourriture, quelques grandes entreprises, plus ou moins étatiques, ont décidé sur le modèle de la concession minière, d’investir dans l’achat ou la location longue durée de terres arables. Les pays pauvres qui n’ont ni pétrole, ni uranium se laissent facilement tenter, ainsi Hadco (Hail Agricultural Development Co.) a donné 95 millions de dollars au Soudan pour exploiter 10 000 ha sur les berges du Nil pendant 99 ans. http://www.commodafrica.com/fr/actu...

Que ce soit pour des raisons de développement durable ou pour des raisons qui s’appuient sur le respect des droits de l’homme, comme pour le travail des enfants, l’occident impose ses normes au monde entier et à l’Afrique en particulier. Si nous défendons avec énergie le principe de la concurrence, nous savons aussi établir les règles du jeu qui nous favorisent et empêcher toutes les mesures protectionnistes qui pourraient limiter le développement de nos entreprises ou limiter nos profits. Les nombreuses subventions que nous accordons à nos agricultures, seul secteur ou les pays pauvres peuvent actuellement être concurrentiels, déséquilibrent totalement le marché. Nous émettons des règles, mais nous ne les respectons que quand cela nous arrange. Total, Bolloré ou Areva ne se soucient pas de savoir si elles causent des nuisances aux populations locales, elles sont là pour faire des affaires, renvoyant systématiquement la gestion des problèmes aux pouvoirs locaux. Ces grandes multinationales qui ont des budgets largement supérieurs aux États africains, n’ont aucune difficulté pour obtenir à peu de frais la bienveillance des autorités locales. "Au service d’une élite étroite, les régimes politiques des États rentiers se déconnectent de la population. Ils n’ont pas besoin de légitimité démocratique pour rester au pouvoir et garder le contrôle de la ressource" Christine Rosellini dans « Afrique contemporaine » (No 216).

L’Occident a justifié ses pratiques géostratégiques, par la nécessité de répandre la vérité religieuse, puis par l’obligation morale de répandre la civilisation. Après les indépendances la volonté de réaliser une coopération profitable à tous a été affirmée. Maintenant notre discours idéologique est un mélange de références aux droits de l’homme, à la démocratie et au développement durable. Même si au sein des ONG, ou des organisations internationales, beaucoup de personnes sont de bonne volonté, la philosophie des rapports qui lient l’occident et l’Afrique reste cependant basée sur une volonté de rester maître du jeu. La solution actuelle n’est plus militaire, elle passe par l’imposition, avec la complicité des élites locales, d’une économie de marché à géométrie variable qui désavantage l’Afrique. La verte démocratie sociale de marché que nous proposons au monde n’est que le support idéologique à notre domination.

La logique de l’économie de marché est de maximiser la production et le commerce donc les profits. Dans les pays riches, qui ont une longue histoire scolaire et universitaire, la concurrence est possible et elle peut avoir quelques effets de rééquilibrage, mais surtout les luttes sociales peuvent obliger les gouvernants à freiner la tendance naturelle du système à fabriquer des inégalités. L’Afrique par contre est sans moyen pour se défendre, elle ne peut compter que sur le soutien de quelques fonctionnaires internationaux du PNUD ou de la FAO ou de l’aide des ONG qui ne pèsent pas beaucoup face aux énormes intérêts en jeu. En 2008 l’aide alimentaire internationale est tombée à son plus bas niveau depuis 40 ans, alors que les dernières spéculations sur les prix alimentaires ont provoqué l’augmentation de 10% du nombre de personnes qui souffrent de la faim. Oubliés les objectifs du Millénium, engagements pour le développement pris par l’ONU en 2000, et les belles promesses des récents G8.

Le dernier argument pour malgré tout se donner bonne conscience est de dire que les États émergents comme la Chine font bien pire, quand ils le peuvent. Si la Chine est très présente en Afrique ce n’est certainement pas pour aider l’Afrique. Nos critiques acerbes sont certainement révélatrices de notre désappointement face à un concurrent dynamique. Si beaucoup de pays africains se sont tournés vers la Chine pour demander des crédits et demander de l’aide pour leur développement économique, c’est que, peut-être, les conditions proposées pour faire de la coopération sont tout simplement plus correctes que les marchés de dupes proposés jusque là par la Banque Mondiale et le FMI. Il est fort possible que très rapidement certains pays déchantent de cette nouvelle coopération, mais en attendant c’est peut-être l’occasion pour l’Afrique de renégocier ses rapports avec l’Occident dans des conditions nouvelles.

Machiavel a montré que le Prince n’avait pas à être guidé par les règles de la morale usuelle mais qu’il devait pour guider ses actions avoir pour principe éthique de tenir compte de l’intérêt général de son peuple, ce qui passait par une compréhension profonde des situations. Aujourd’hui tout est devenu bien plus complexe, pour évaluer l’intérêt général, il faut tenir compte de ses appartenances, qui imposent des solidarités de proximité mais aussi prendre du recul et tenir compte des conséquences de ses décisions sur l’avenir de l’ensemble de la planète. L’humanité dans son histoire a toujours balancé entre deux tendances. La première affirme le primat de la société, la deuxième le primat de l’individu. Le libéralisme économique, qui s’est développé dans des régions où les modèles familiaux anthropologiques étaient traditionnellement inégalitaires et libéraux, a favorisé le développement de l’individualisme et de la concurrence. Peut-être que les difficultés qui guettent l’humanité nous obligeront à privilégier un modèle plus basé sur l’interdépendance. Notre société, assez fière de ses valeurs et assez condescendante pour les autres cultures, condamne fortement le racisme et la xénophobie, mais elle oublie un peu trop d’assumer les responsabilités qui nous lient aux autres êtres humains qui peuplent et peupleront la planète. La réflexion sur les responsabilités générées par nos appartenances locales mais aussi par notre appartenance à l’humanité est au cœur de la réflexion éthique, c’est au regard de nos valeurs profondes que l’on doit interroger le choix actuel fait par notre société, hypnotisée par les profits et la croissance, de survaloriser le rôle du marché. Supachai Panitchpakdi secrétaire général de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement vient pour sa part de donner son avis "La crise financière mondiale qui a ébranlé les fondements économiques du Nord menace à présent d´anéantir les espoirs de croissance et de développement du Sud.......Il faut abandonner le dogme du laisser-faire le marché", qui a échoué de manière spectaculaire, et éliminer systématiquement les pratiques financières complexes dépourvues de rendement social"