Le Café Politique

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  « Une société se juge à l’état de ses prisons » (A.Camus)

dimanche 30 novembre 2008, par François-Xavier Barandiaran

Nos médias parlent souvent des questions qui ont trait à la justice. Ils montent en épingle certains faits divers odieux, qui provoquent en générale une réaction immédiate de notre Président, ou les démêlés de son Ministre de la Justice tantôt avec les magistrats, tantôt avec le personnel pénitentiaire. Ces temps derniers ils se sont fait l’écho des nombreux cas de suicide survenus en prison et qui concernaient, parfois, des mineurs.

La dernière mode, c’est de s’interroger sur les chances pour Rachida Dati de rester encore longtemps à la tête de son ministère. Elle, qui défraie souvent la chronique par son tempérament cassant, son arrogance ou son goût pour la haute couture. Elle, qui, issue des banlieues a été et reste la figure emblématique de la « rupture » opérée par N.Sarkozy et qui, tel un moine-soldat, a mis en application à pas de course la nouvelle carte judiciaire et le renforcement sans cesse de la répression contre la délinquance. C’est, en effet, une constante de la volonté de notre Président, et sûrement l’une des raisons qui ont fait que les électeurs l’ont placé au sommet de l’Etat. Oui, l’opinion publique est demandeuse de châtiment. D’ailleurs, on constate la même évolution dans d’autres pays d’Europe. Obsédée par la question sécuritaire, elle prêtait déjà une oreille attentive aux paroles de celui qui était alors Ministre de l’Intérieur : « la sanction est le premier outil de la prévention ! ». Punir d’abord, prévenir ensuite.

Confondant souvent la justice avec la vengeance, l’opinion publique a entériné sans barguigner la dizaine de lois en matière sécuritaire promulguées depuis 2002. La cohérence dans l’attitude du Ministre de l’intérieur d’abord, du candidat à la présidentielle ensuite, et du Président enfin, a été totale : d’où la mise en place des peines planchers ou peines automatiques, la loi sur « la rétention de sécurité » et la volonté de modifier l’ordonnance de 1945 concernant la justice des mineurs. On régule les peurs collectives au moyen de lois de plus en plus répressives et de discours démagogiques après chaque crime commis par un récidiviste : au nom de la souffrance des victimes, on ne garde de la Justice que le côté protection de la société, au risque de muter la Justice en vengeance collective. Les médias –et la TV en particulier- s’en servent à satiété, qui se précipitent pour recueillir les réactions de la famille de la victime après chaque jugement, abondant ainsi dans le sens de la vague émotionnelle. Le signe de la focalisation de la justice sur la compassion pour la victime est donné par le Président qui se hâte de recevoir la famille à l’Elysée !

Un autre indice de la bataille idéologique menée contre la Justice, c’est de porter à la vindicte populaire ses erreurs, notamment après l’affaire d’Outreau, ou d’abonder dans le sens de l’opinion pour qui les juges sont laxistes, laissent libérer des récidivistes dangereux et vivent dans leur tour d’ivoire comme des membres appartenant à une caste supérieure.

Depuis quelques lustres, l’une des caractéristiques de notre vie sociale c’est l’accroissement des atteintes aux biens et, parfois, aux personnes, accomplies par des « jeunes ». Il ne s’agit pas de nier angéliquement le problème de la délinquance des mineurs. Mais, est-ce une raison pour mettre en question l’Ordonnance de 1945 ? Cette norme juridique considère le mineur comme une personne qui n’est pas finie, un être à éduquer, qui ne peut être jugé responsable de ses actes comme le serait un adulte. De là découle que la société doit accorder une priorité absolue à l’éducatif sur le répressif, et se donner les moyens de mettre en place le système éducatif adéquat. De telle sorte que, quand le mineur s’écarte de la norme sociale et commet un délit, on ne cherche pas de solution prioritairement dans l’enfermement.

Il est patent que, depuis longtemps, les moyens mis en œuvre et les effectifs dédiés à seconder la justice des mineurs sont largement insuffisants. Mais la rupture opérée par le gouvernement actuel, c’est d’en finir avec les circonstances atténuantes de « minorité » et d’abaisser l’âge de la responsabilité pénale à 12 ans. On prétend que cela mettra fin au sentiment d’impunité qui expliquerait les délits des mineurs, parfois récidivistes.

Réprimons, réprimons, l’éducatif attendra ! C’est –doit-on reconnaître- le souhait pressant d’une bonne partie de la société de plus en plus demandeuse d’enfermement. A quoi répond la loi de 2007 sur la récidive des majeurs et des mineurs, instaurant des peines planchers. Concernant ces derniers, ce n’est, pourtant, pas l’avis des travailleurs sociaux. Mais l’éducation demande beaucoup de moyens pour des résultats à moyen ou long terme. Contre la mise en prison ils défendent l’action « en milieu ouvert » et la prise en charge individuelle beaucoup plus efficaces pour l’insertion dans le comportement social des jeunes délinquants.

Malheureusement le vent ne souffle pas dans ce sens : le gouvernement prenant appui sur l’opinion publique affirme qu’il n’y a pas de punition s’il n’y a pas d’enfermement.

Allons, donc, voir ce qui se passe du côté des prisons : la situation est littéralement lamentable ! Maintes voix autorisées l’ont proclamé depuis des années, mais cela n’a rien changé. La société civile ne veut pas voir ni entendre. Le pouvoir politique fait de même. Après chaque rapport le silence retombe. Au cas où un lecteur de ces lignes viendrait de débarquer d’une autre planète, je vais rappeler succinctement les dernières condamnations : en janvier 2000 paraît un livre écrit par l’ancien médecin chef de la prison de la Santé, condamnant sans nuances la situation carcérale. Depuis, il y a eu, entre autres, deux enquêtes d’élus parlementaires, un rapport de l’Observatoire international des prisons, un autre du Conseil de l’Europe où la France descend au 35e rang sur 45 : on y épingle notre pays pour la situation calamiteuse de ses prisons, en parlant de « traitements inhumains et dégradants ».

Partout on trouve les mêmes constats : surpopulation, promiscuité intolérable, hygiène déplorable, système disciplinaire d’un autre âge, locaux sales et dégradés, manque d’accès aux soins médicaux, maintien en détention de prisonniers malades, dont beaucoup relèvent de la psychiatrie, abus de placement à l’isolement, agressions sexuelles à l’intérieur de cellules surpeuplées, suicides en augmentation, dont certains mineurs…La liste n’est pas exhaustive ! Très peu de mesures d’insertion !

Et la solution ne viendra pas des 13000 nouvelles places en construction, puisque les prisons se remplissent au fur et à mesure de leur achèvement. Il y a actuellement près de 64000 détenus pour 51000 places, alors qu’en 2006 ils n’étaient –si l’on peut dire- que 55700 ! Ainsi l’accroissement de la population carcérale est le résultat automatique d’une politique plus sévère, comme les peines planchers pour des récidivistes coupables de menus larcins. A ce propos il faut signaler que la surpopulation concerne surtout les maisons d’arrêt : au premier Mai 2008, 16 établissements avaient une densité de 200% et 53, de 150%. A signaler, aussi, qu’un tiers de ces prisonniers ce sont des prévenus en attente de jugement et, par conséquent, présumés innocents !

C’est cette surpopulation qui détériore les conditions de travail des surveillants de prison, ce qui explique que leurs trois syndicats mènent des actions pour en finir avec « la situation alarmante » et la pénurie de personnel. Ces derniers jours même des directeurs de prison -fait rarissime- ont lancé des cris d’alarme.

Néanmoins, ce n’est pas seulement le manque de moyens qui explique l’état de nos prisons, mais le regard de la société vis-à-vis du délinquant. Si, plus que jamais, on considère à juste titre que la fonction de la Justice est de protéger la société et de punir ceux de ses membres qui on enfreint gravement les règles de vie sociales en les privant de liberté pendant une période plus ou moins longue, en revanche on a tendance à oublier que le prisonnier est un citoyen comme un autre et que le droit doit lui être appliqué. Ce délinquant reste toujours un homme à qui la prison ne doit pas infliger des situations dégradantes et inhumaines. Sa peine consiste à ne pas être libre, bien suprême de l’homme. C’est tout !

Un autre changement qui s’est opéré dans nos sociétés contemporaines concerne la philosophie de la réhabilitation : alors qu’on continue d’affirmer que l’on croit à la capacité de réinsertion, on ne fait presque rien pour qu’elle devienne possible : la prison fait très peu pendant et après le temps d’incarcération pour faciliter la réintégration dans la société. On laisse cela aux associations de bénévoles.

Humaniser les prisons n’est pas un sujet populaire, parce qu’on ne croit plus à la valeur rédemptrice de la peine, soit qu’un coupable puisse devenir juste pendant la période de privation de liberté. Ce n’est, pourtant, pas là une conviction seulement chrétienne, puisque la Révolution Française proclame que la prison doit « punir et amender ». La société ne veut plus être ni chrétienne ni républicaine !

Voici un autre grand principe de fonctionnement de la justice dont on s’éloigne : on est en train de passer de la présomption d’innocence à la présomption de culpabilité. Dans le passé chaque personne était responsable de ses actes et ne pouvait être condamnée pour un acte délictueux qu’après qu’un juge, usant de son pouvoir d’appréciation de la responsabilité de l’inculpé et de l’interprétation de la loi, eût établi et prouvé la réalité du délit. Autrement dit : on punissait pour des actes accomplis et pas pour des menaces potentielles ou pour un danger de récidive. A l’encontre de ce grand principe des centres socio-médico-judiciaires vont maintenir en « rétention de sûreté » des criminels qui ont purgé la totalité de leur peine, mais que des experts jugeront potentiellement dangereux.

De fait, notre société anxiogène du risque zéro cherche, comme l’avait si bien analysé M.Foucault, à ne pas voir, à reléguer, à maintenir à distance, à marginaliser toutes les personnes qui lui font peur. D’où que les maisons d’arrêt soient devenues des asiles où l’on parque des malades psychiatriques qui n’ont rien à y faire (environ un quart des détenus) et des lieux d’enfermement pour des « jeunes » marginalisés, stigmatisés et discriminés, qui entrent progressivement dans le cercle de la délinquance.

Alors qu’il y a des pays qui mettent en œuvre d’autres politiques pénitentiaires, nous suivons l’exemple des USA, qui pratiquent le principe dit de « l’exemplarité », théorisé par l’anglais J.Bentham, au XVIIe siècle : plus on a la main lourde avec les criminels, plus les peines seront exemplaires,-c’est-à-dire dissuasives-, pour les autres. Ce que les faits infirment, à commencer par les Etats-Unis, où le taux de récidive ne diminue pas et où le nombre de prisonniers est de 2.300.000 pour une population adulte de 230 millions, soit un pour cent ! Essentiellement des non-blancs : 1/15 noirs et 1/36 hispaniques. En France, où le nombre d’incarcérés augmente d’année en année, nous avons encore de la marge par rapport au système américain, puisque notre taux d’incarcération est huit fois inférieur !

Pour finir sur un ton un peu plus optimiste, le Président Sarkozy a, enfin, nommé en juin 2007 un Contrôleur Général des lieux de privation de liberté et la Ministre de la Justice annonce pour les semaines à venir un grand projet de loi pénitentiaire. Nous attendons impatiemment les résultats !

Affaire à suivre, en sachant que l’opinion publique joue un rôle important sur la politique carcérale des gouvernements.