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  La faim dans le monde n’est pas une catastrophe naturelle

dimanche 25 mai 2008, par François-Xavier Barandiaran

Du 3 au 5 juin aura lieu à Rome une réunion de la FAO sur la sécurité alimentaire dans le monde. En quelques semaines la flambée des prix alimentaires et les révoltes qui ont eu lieu dans un certain nombre de pays pauvres sont devenues l’urgence absolue pour l’ONU, dont le secrétaire général, Ban Ki-moon, a déclaré que la crise alimentaire constitue une menace bien plus dangereuse que celle du terrorisme !

Ces émeutes de la faim sont le premier sursaut des pauvres du monde à l’arrogance et à l’égoïsme des riches. En effet, si la hausse soudaine de certaines denrées alimentaires rogne sérieusement le pouvoir d’achat de beaucoup d’européens (pour qui l’alimentation ne représente, en moyenne, que 14% des dépenses familiales, contre 60% dans certains pays d’Afrique et d’Amérique Centrale), elle crée de véritables risques de famine dans 37 pays du Tiers-monde et annonce des crises à venir dans des régions d’Asie du Sud qui souffrent déjà de la malnutrition.

Si ce qu’il est convenu d’appeler « la crise alimentaire mondiale » a pris de court certains, ce n’est sûrement pas le cas pour les ONG qui travaillent dans ces pays, ni pour les militants alter mondialistes, ni pour tous ceux qui, depuis longtemps, mettent en garde contre les conséquences désastreuses de la globalisation de l’économie. Les journaux parlent « d’émeutes de la faim », mais le problème dépasse largement les frontières de la seule agriculture.

Il me vient à l’esprit le souvenir de René Dumont, ce visionnaire précurseur de l’écologie, qui écrivait déjà il y a plus de quarante ans « L’Afrique noire est mal partie ».A sa suite ceux qu’on appelait à l’époque « tiers-mondistes », et qui annonçaient les altermondialistes d’aujourd’hui, dénonçaient l’attitude des pays riches, qui après avoir été privés de leurs colonies, poursuivaient le colonialisme par d’autres moyens : pendant deux décades la Banque mondiale et le FMI ont imposé un modèle unique de développement à ces pays pauvres et dépendants qui devaient obtempérer aux « conseils » (en fait, aux diktats) des organismes financiers. La nouvelle doctrine économique voulait spécialiser chaque pays dans la culture de tel ou tel produit pour l’exportation, en renonçant aux cultures vivrières ancestrales.

Après avoir introduit nos modes alimentaires pendant la période coloniale : par exemple, le lait Nestlé pour les nourrissons ou le pain dans des contrées qui n’avaient jamais cultivé le blé, pour le grand bénéfice de nos multinationales, l’arachide, le coton, le cacao, le café… avaient relégué au second plan le mil, le sorgho et le manioc. Seulement deux exemples, parmi tant d’autres, de ces bouleversements : la plantation d’arbres fruitiers en Egypte à la place du blé ou l’action de la France qui faisait venir du riz d’Indochine pour que les sénégalais cultivent l’arachide. Conclusion : l’Egypte, qui était exportateur de blé, manque aujourd’hui de farine et le Sénégal, où 60% de la population vit avec moins de deux dollars/jour, consomme 800.000 tonnes de riz, alors qu’il n’en produit de 200.000.

Mais, notre culpabilité à l’égard de l’Afrique ne s’arrête pas là : avec des produits subventionnés (l’OCDE distribue à ses agriculteurs 350 milliards de dollars contre un milliard d’aide à l’agriculture pour les pays en développement, selon M.de Schutter, rapporteur de l’ONU sur le droit à l’alimentation) on a concurrencé déloyalement leur agriculture, en déversant nos surplus de blé sur l’Afrique, quand il était peu cher, ou en inondant leur marché avec des bas morceaux de poulet, au risque d’asphyxier leur production de volaille !

Tout de même, dans ce cataclysme qui s’annonce, il y a, –me semble-t-il-, pour ceux qui avaient l’impression de prêcher dans le désert un élément de satisfaction dans le combat idéologique : une presque unanimité se dessine pour reconnaître qu’on a fait fausse route et que l’avenir de l’Afrique subsaharienne passe par le soutien des petits agriculteurs, (70% des affamés sont des paysans) et par le respect de l’autosuffisance alimentaire des ces pays.

Pour se convaincre qu’il y a eu une avancée en ce qui concerne la reconnaissance des causes du mal il suffit de parcourir un journal aussi pondéré que « le Monde » daté du 23 avril. En voici quelques extraits de l’article de F.le Maître : « la Banque Mondiale est l’un des tous premiers responsables de la situation actuelle. C’est elle qui a imposé depuis des décennies aux pays pauvres de réduire toute aide à ce secteur (l’agriculture familiale) et de privilégier les cultures d’exportation ».Ou, encore, quand il affirme que c’est la responsabilité des pays riches « si les agriculteurs des pays pauvres souffrent cruellement d’absence de formation et d’investissement publics » et « si l’autosuffisance alimentaire a longtemps été jugée dépassée ». Dans ce même numéro L.Michel, commissaire européen au développement et à l’aide humanitaire, affirme : « En matière de développement, le fondement c’est l’agriculture. C’est elle qui permet de nourrir la population … et de lutter contre la pauvreté » ; « la révolution verte a bien marché en Asie. Elle doit marcher en Afrique ».

Questionné par le journaliste sur l’aide de l’Europe, L.Michel reconnaît que « l’aide publique au développement est en recul en Europe…Il faut relever une certaine incohérence entre les discours et les actions ». Cela est dit en termes bien diplomatiques, de même que quand il tance notre ministre de l’agriculture qui défend toujours la politique agricole commune : « Je suppose que M.Barnier ne vise pas à utiliser nos surplus agricoles pour les envoyer dans les pays en crise, comme le font les américains ». Même l’ex-président Chirac, dans une tribune libre publiée par ce journal le 16 avril, insiste sur la gravité de la crise : « sans mesures d’urgence de fond nous assisterons à des émeutes de plus en plus violentes, à des mouvements migratoires de plus en plus incontrôlables, à des conflits de plus en plus meurtriers, à une instabilité politique croissante ».Que ne l’a-t-il pas dit quand il avait la charge de la France !

Mais, si on trouve un consensus quant au diagnostic de la crise, on craint qu’une fois de plus on ne se contente de discours incantatoires. Ainsi, le même Chirac, après avoir affirmé : « c’est une véritable révolution des modes de pensée en matière de développement, notamment dans le domaine agricole, qui s’impose », il propose de discuter avec les fonds souverains pour explorer « comment orienter une partie de leurs moyens vers des investissements productifs en Afrique ».

Voilà le loup réintroduit dans la bergerie ! Comment imaginer que ces fonds qui sont coresponsables de la crise actuelle puissent participer à sa solution ?

Pour trouver les vrais remèdes il vaut mieux se tourner du côté de Politis, d’ATTAC ou de la Confédération paysanne. Comment trouver des solutions structurelles sans remettre en question le système néolibéral qui est en train d’étendre ses tentacules sur l’ensemble des biens de la planète en les traitant comme des marchandises ? A quand un système de régulation et de taxation,-à l’instar de la taxe Tobin – sur les transactions financières ? Dans le passé on a souri avec condescendance devant cette proposition considérant comme irréalisable la création de cette taxe. Peut-être qu’aujourd’hui les esprits sont davantage prêts à soutenir sa mise en place, puisque la preuve est faite que les marchés financiers et autres ne s’autorégulent pas. En même temps, il faudrait sortir l’agriculture des accords de l’OMC, parce que le droit à se nourrir est un droit fondamental et que les denrées alimentaires ne sont pas une marchandise de plus à soumettre aux lois du marché.

Pour ne pas les assujettir aux conditions des bailleurs des fonds, après avoir annulé intégralement la dette des pays non développés, on devrait leur permettre d’établir des barrières fiscales propres à chaque pays, de façon à protéger leur agriculture le temps nécessaire à devenir concurrentiels. L’objectif est de rendre ces pays autosuffisants, de revenir au système de stocks régulateurs gérés pas les Etats africains, stocks qui avaient été démantelés sous l’influence du FMI qui ne voyait d’avenir que par la privatisation généralisée. Certes, ces pays ont besoin de notre aide, mais pas sous la forme d’une agriculture industrielle .Bien au contraire, par l’appui au développement de la petite agriculture familiale, par le transfert de technologies, par l’apprentissage de l’agro-écologie, par la création d’infrastructures, comme l’adduction d’eau et de l’électricité, la création de routes, l’implantation d’écoles…

Ainsi, c’est tout un tissu économique et social qui permettra à des millions de paysans pauvres d’accéder à un minimum vital et de créer, de la sorte, les fondations qui permettront à ces régions du monde de décoller économiquement.

L’Afrique noire –et d’autres régions de la planète- est mal partie, mais tout espoir n’est pas perdu, si nous sommes capables de tirer les leçons des crises qui secouent actuellement l’économie mondiale : toutes ces crises (financière, sociale, alimentaire et écologique) sont liées systémiquement, depuis que le néolibéralisme a réussi à « marchandiser » tout ce qui pouvait s’échanger.

La faim n’est pas une fatalité ni une catastrophe naturelle, mais le résultat de nos choix, qui nous amènent à partager si inéquitablement les biens de la planète.