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  Pas de ville durable sans mixité sociale

lundi 14 janvier 2008, par François-Xavier Barandiaran

Les villes de demain auront beau être écologiques : avec des logements économes en énergie ; avec de véritables poumons verts pour le repos des citoyens ; dotées de transports en commun après avoir exclu au maximum la voiture individuelle ; ayant diminué les distances entre le travail et le lieu d’habitation ; riches en équipements culturels, sportifs, associatifs…, si elles ne réussissent mieux que celles d’aujourd’hui la mixité sociale, elles ne seront pas durables.

Un livre d’Eric Morin, Le ghetto français, devrait nous aider à en comprendre l’enjeu. Son enquête sociologique se situe tout à fait dans la ligne du comportement mimétique cher à R.Girard. Il montre que depuis une vingtaine d’années toutes les classes sociales suivent une course incessante à se distinguer de celles qui socialement se trouvent en dessous pour ressembler à la sous-classe supérieure. Ceci se vérifie, parmi d’autre faits observables, surtout dans la façon de se loger : c’est comme une spirale qui pousse chaque strate sociale à se distinguer par le choix de l’habitat dans des quartiers où l’on va résider avec des semblables et éviter ainsi de côtoyer des inférieurs. On aboutit, de la sorte, à de véritables ghettos de classes aisées qui investissent tel ou tel quartier, créant des frontières avec le reste de la population, non seulement par la sélection de l’argent, mais même par des systèmes électroniques et autres façons de se grillager à l’intérieur de leur cocon protecteur. Le terme de ghetto est connoté si négativement qu’on l’a appliqué naturellement à certaines banlieues, mais il convient parfaitement, aussi, à ceux qui pratiquent la ségrégation par le haut. Le résultat final est qu’insensiblement on en arrive à une société, où il est de plus en plus difficile de « vivre ensemble », qui oublie que la cohésion sociale est la condition sine qua non de la réussite collective. Voilà comment les lignes de force du comportement social sont en train de créer des villes figées, c’est-à-dire, structurées de telle façon qu’il sera très difficile de revenir en arrière, où les classes bourgeoises repoussent les clases moyennes qui, à leur tour, repoussent les classes populaires pour, in fine, se trouver dans la situation actuelle où entre cinq et dix millions de personnes se concentrent dans des quartiers-repoussoirs. L’espace de la ville se trouve ainsi hiérarchisé !

Arrêtons-nous un instant sur la situation des « banlieues ». Après les émeutes de l’automne 2005 on aurait pu espérer que la France dans son ensemble eût compris le volcan qu représentent nos banlieues. Les événements récents de Viliers-le-Bel montrent qu’il n’en est rien, hélas ! Ecoutons ce qu’écrivent certains maires dans le Monde du 27/11/07 : « Malgré l’opiniâtreté des élus de terrain et du monde associatif, la situation ne cesse de se dégrader. Tous les indicateurs sont à la hausse : précarité, chômage, misère, violence….les liens sociaux se délitent et les populations confrontées à un sentiment d’abandon ont tendance à se replier sur elles-mêmes. Cette situation est le résultat de l’échec de la politique menée depuis de trop nombreuses années »

On comprend aisément, par conséquent, qu’on n’installera pas dans la ville durable de demain la mixité sociale par décret ou qu’il ne suffirait pas de détruire quelques centaines de tours par ci, par là, pour en finir avec ce terrible fléau qui nous menace et qui menacera de plus en plus l’avenir de nos enfants. Il faudra beaucoup plus que la loi SRU (sur la solidarité et la rénovation urbaine). Encore qu’il faudrait commencer par la mettre en application, non seulement à Neuilly, mais dans moult « mini-neuilly » qui prolifèrent partout en France ! Comment imaginer que le traitement superficiel du problème par la création des zones urbaines sensibles (ZUS) et des zones d’éducation prioritaire (ZEP) puisse être la réponse adéquate au problème ? Les politiques centrées exclusivement sur l’urbanisme ne suffiront pas à arrêter la ségrégation. A Toulouse nous sommes bien placés pour citer, à ce propos, l’échec de l’urbanisation du Mirail, conçue par Candilis, élève de Le Corbusier. Son projet aspirait à séparer la voiture des habitants, dont la communication devait être facilitée par la création des fameuses dalles surélevées, réservées aux piétons. Nous savons comment ce projet, applaudi pendant les années soixante, a mal résisté au chômage et aux forces ségrégatives de notre société.

C’est par une prise de conscience collective et par une inébranlable volonté politique dépassant les clivages partisans qu’on pourra amorcer la perspective des « villes durables ». Et cet effort pour surmonter les stratégies d’évitement des nouvelles classes dangereuses passe impérativement par chacun d’entre nous, comme l’affirme avec force ATD Quart Monde, en appelant ses membres à s’engager lors des élections municipales : « .... pour tous ceux et celles qui veulent manifester leur refus se s’habituer aux conditions indignes faites à des êtres humains dans leur quartier, dans leur ville. Pour ceux et celles qui veulent manifester la volonté de faire de leur quartier, de leur commune, un espace commun où on ne vit plus dans des ghettos par classe sociale, mais où on apprend à vivre ensemble, à être solidaires, à « faire société ensemble ». Un espace commun où on pourra élever nos enfants dans la réalité de la diversité humaine, avec ses défis, ses difficultés… Notre message doit être clair : l’Etat doit agir, le maire doit agir, mais aussi chaque citoyen doit vouloir le droit de l’autre, de son voisin. Nous devons avoir le courage de confronter notre pays sur ce sujet… Si le droit n’est pas partagé, c’est le privilège pour les uns et le vide pour les autres ».

Voilà un renversement total du désir mimétique, apte à fonder une « politique de civilisation » !