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  Comment les riches détruisent la planète

mercredi 21 février 2007, par François-Xavier Barandiaran

C’est le titre provocateur du dernier livre du journaliste Hervé Kempf, chroniqueur du journal Le Monde pour les questions écologiques, et dont ces quelques lignes en font une sommaire recension. Quelques semaines avant la rencontre à Paris du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), Hervé Kempf, comme tant d’autres avant lui, fait le constat alarmant de la situation écologique de notre planète, raille ceux qui ne veulent pas articuler les problèmes climatiques et environnementaux avec l’économie et les rapports de force sociaux et dénonce la classe dominante qui maintient l’ordre établi à son avantage en privilégiant « l’objectif de croissance matérielle, seul moyen selon elle de faire accepter par les classes subordonnées l’injustice des positions » (page 9). Là où H.Kempf est plus original c’est quand il accuse la ploutocratie des pays riches d’être responsable du désastre écologique et social : « celui-ci découle d’un système piloté par une couche dominante qui n’a plus aujourd’hui d’autre ressort que l’avidité, d’autre idéal que le conservatisme, d’autre rêve que la technologie » (page 9) Mais, direz-vous, n’est-il pas un peu facile de rendre l’oligarchie responsable de tous les maux de la planète ? Et, en quoi chacun d’entre nous peut se sentir coresponsable de ce qui advient et qui menace l’avenir ? C’est que,- affirme H.Kempf-, les riches exercent une grande influence sur l’ensemble de la société : les classes moyennes hautes lorgnent du côté de la bourgeoisie et les classes moyennes basses du côté des hautes. Ainsi, par un effet inéluctable de cascade cette attraction se propage jusqu’aux niveaux les plus humbles de notre société. De telle sorte que l’envie de consommer répond à cet attrait d’ostentation : « les gens aspirent à s’élever dans l’échelle sociale, ce qui passe par une imitation de consommation de la classe supérieure ».

Pour fonder ses affirmations, H.Kempf exhume un économiste américain du XIXè, Thorstein Veblen, dont la thèse est la suivante : « L’économie est dominée par un principe : la tendance à rivaliser, à se comparer à autrui pour le rabaisser est d’origine immémoriale…c’est sans doute dans la tendance à l’émulation qu’il faut voir le plus puissant…le plus infatigable des moteurs de la vie économique proprement dite » (Page 76). Qui ne voit pas que nous sommes engagés dans une course infernale à la possession de biens matériels qui ne peut que provoquer des discriminations sociales et la destruction des écosystèmes ? « Le ressort central de la vie sociale est la rivalité ostentatoire qui vise à exhiber une prospérité supérieure à celle de ses pairs. La différenciation de la société en de nombreuses couches excite la rivalité générale » (page 80). Voilà ainsi démonté l’un des rouages de notre société de consommation qui prétend assouvir des besoins infinis en augmentant le confort et le soi-disant progrès dans une planète dont les ressources seraient, aussi, illimitées ! Et, par le fait de la mondialisation des modèles culturels nous voyons que ce qui, à l’intérieur de nos pays riches, incite les diverses couches à imiter les strates supérieures, pousse par le même mécanisme les pays émergeants à imiter « les pays opulents et particulièrement le plus riche d’entre eux, les Etats-Unis ».

Voilà pourquoi la classe capitaliste, avec la complicité des responsables politiques et des médias dominants, maintient le principe sacro-saint de la croissance, qui lui permet de contrôler le pouvoir économique. Le livre de H.Kempf s’en prend directement aux riches, « parce que la poursuite de la croissance matérielle est pour l’oligarchie le seul moyen de faire accepter aux sociétés des inégalités extrêmes sans remettre en cause celles-ci. La croissance crée, en effet, un surplus de richesses apparentes qui permet de lubrifier le système sans en modifier la structure » (page 89). Pour appréhender les ressorts de notre société de gaspillage qui annonce des calamités écologiques, notre auteur aurait pu aussi bien se référer à la théorie d’un penseur français contemporain, René Girard, sur le « comportement mimétique » : chacun désire ce que désire l’autre. Ainsi, la volonté d’imiter et la jalousie de ce que possède un tiers sont générateurs de violence et de conflits sociaux.

En tous cas, nous ne pouvons pas commencer à donner le moindre début de réponse aux problèmes climatiques, au maintien de la diversité et à la fin du gaspillage des ressources naturelles « sans changer les standards culturels de la consommation ostentatoire » (page 91). Néanmoins, d’après H.Kempf, on ne peut pas demander les mêmes efforts de diminution de la consommation matérielle aux pays du Sud et aux pauvres des pays riches qu’aux nantis de la Terre. Si l’Amérique du Nord, l’Europe et le Japon ne représentent que 20% de la population du globe, mais consomment 80% de la richesse mondiale, c’est là que la diminution de la consommation doit être maximale. Et, si on exclut la partie de la population des pays riches qui vit dans la pénurie, il reste en gros « 500 millions de gens….appelons-les la classe moyenne mondiale. Il y a d’assez fortes chances que vous fassiez partie, comme moi, de ces personnes qui réduiraient utilement leur consommation matérielle, leurs dépenses d’énergie, leurs déplacements automobiles et aériens » (page 90)

C’est là que les décideurs politiques devront intervenir en demandant des efforts progressifs en fonction des revenus de chaque classe sociale pour que, demain, la cohésion sociale soit encore possible et que la société de nos enfants ne ressemble pas à une effroyable foire d’empoigne.

N.B. : « Comment les riches détruisent la planète », Hervé Kempf, Seuil, janvier 2007. 14 euros.