Le Café Politique

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  Faire de la politique autrement

jeudi 19 octobre 2006, par François Saint Pierre

La proposition de Ségolène Royal de créer des jurys citoyens, chargés de contrôler les élus, a été plutôt mal perçue par l’ensemble de la classe politique. Cette proposition est peut-être l’indice d’une volonté de faire campagne en s’appuyant sur un populisme de gauche, ou tout simplement un symptôme supplémentaire des difficultés de notre système politique, mais elle a le mérite de mettre en avant une question fondamentale : "quel rôle politique pour le citoyen de base ?" L’idéologie démocratique n’est pas sortie armée et casquée comme Minerve de la cuisse de Jupiter, elle a une histoire longue et complexe. Au départ elle avait deux grandes composantes 1) Le débat, rationnel et argumenté, mené avec tous les citoyens sur le forum 2) Le choix par tirage au sort ou par élection sur ce même forum des élites en charge de la cité. Au cours du temps notamment grâce à l’apport de quelques révolutions, le concept de démocratie a évolué en valorisant le principe de représentation, en faisant une place essentielle à la notion d’État de Droit (principe de séparation des pouvoirs), en donnant une place fondamentale aux Droits de l’Homme et plus récemment en imposant la responsabilité des dirigeants sur la protection sociale. Si en France on a une relative convergence entre la République et la Démocratie, certaines monarchies sont de fait très démocratiques, mais aucun État ne peut être mis en avant comme le modèle parfait de l’idéal démocratique. La définition de cet idéal et le fonctionnement réel de la démocratie sont des enjeux politiques, il est normal que dans les grandes élections ces questions se retrouvent au centre du débat.

Une démocratie toujours imparfaite.

On peut penser qu’il vaut mieux vivre dans une démocratie occidentale plutôt que dans une république bananière ou que dans une dictature sanguinaire mais être convaincu qu’il existe quelques symptômes inquiétants.
- Des taux d’abstention parfois très importants.
- Le parasitage du débat public par ceux qui ont les moyens de se "payer" un bon lobbying.
- Trop d’organismes ont des liens avec les citoyens extrêmement distendus ce qui les rend de fait "irresponsables".
- Peu de prise du politique sur l’économie de marché. Les multinationales ont une puissance et une autonomie bien trop grande.
- Une gestion du terrorisme en contradiction avec les Droits de l’Homme. Les États se donnent tous les droits lorsqu’ils agitent la peur. L’exigence populaire de sécurité est en train de modifier en profondeur la représentation de l’ensemble de droits et de libertés, fondements même de la démocratie. (cf. l’affaire des badges à Roissy et la non application de droits fondamentaux au nom d’un principe de précaution sécuritaire))
- Des crimes commis au nom de la Démocratie comme en Afghanistan ou en Irak, même si la version officielle reste toujours le dérapage de quelques individus !

Tout n’est pas de la politique mais il y a de la politique partout.

Ce qui relève du champ de la politique n’est pas figé. Une société fonctionne sur une bonne part d’auto organisation qui n’est en général pas un enjeu politique. Depuis quelques années nous avons assisté à une profonde transformation de l’espace du politique. Dans les années 60 le politique devait faire tourner la machine économique et régler la question de la décolonisation. Dans les années 70 ont a mis de la politique a des endroits où elle paraissait absente.

- Anthropologique et sociétal.

Pression du féminisme, question de l’avortement, statut de l’homosexualité, règles du divorce, question du voile, rôle du patriarcat, questions bioéthiques etc...

- Culture.

La culture n’est plus vue uniquement comme une question personnelle mais comme une interaction entre société et individu.

- Écologie.

Pollution, changement climatique, crise énergétique, etc... L’écologie est restée une question de pratique individuelle mais l’importance collective donc politique est devenue évidente à tous.

- Mondialisation

Le développement des moyens de communications a rétréci le monde. Il faut penser l’autre au-delà des anciennes frontières. Acheter un produit manufacturé chinois semble un acte trivial pour un consommateur mais il pose des questions politiques sur l’organisation du Monde qui dépassent largement les règles de l’OMC.

Les partis politiques traditionnels ont eu des difficultés à prendre en charge ces nouvelles questions. Les associations ou mouvements divers qui ont porté ces problématiques ont de fait contourné le système classique de représentation pour pouvoir se faire entendre. Un système de représentation a toujours des lourdeurs sociologiques (il suffit de regarder la composition de l’assemblée nationale pour s’en convaincre) et il est en difficulté pour saisir des enjeux nouveaux. Fondamentalement tout système politique installé est porté par une logique conservatrice. Les gagnants du système actuel (les 10 millions les plus riches qui possèdent le tiers de la richesse mondiale et qui pensent que le système est globalement positif) ont réussi à faire passer la révolution, l’utopie, ou l’altermondialisation pour des idéologies dangereuses. Pourtant, la capacité d’adaptation d’un système démocratique est certainement dans la tolérance aux tentatives de contournement.

La rigidité que certains invoquent régulièrement vis-à-vis de la loi et des institutions ne serait acceptable que si le système politique était parfait.

La démocratie ici et maintenant.

Si le rôle des élus et des militants est facile à déterminer dans le fonctionnement du système politique, la place du citoyen lambda est plus compliquée à cerner. Dans la version "dure" de la démocratie représentative il doit participer aux élections, moment où justement il renonce à son pouvoir politique en le déléguant. Le reste du temps il doit s’informer pour pouvoir faire son choix en connaissance de cause. Dans la démocratie directe le citoyen intervient dans toutes les décisions importantes. La démocratie directe rime souvent avec la démocratie locale qui impose au minimum une concertation avec ceux qui sont concernés par les décisions. Ce principe de participation est incontestable. Pourtant il a tendance à masquer une réelle difficulté, celle de l’articulation entre le local et le global. Dans les procédures de démocratie locale, c’est l’intérêt local qui est mis en avant plutôt que l’intérêt général. De même un minimum d’expérience permet de voir que les assemblées locales sont assez facilement manipulables et qu’elles se transforment le plus souvent en chambre de validation de décisions prises ailleurs.

Pour contourner l’aspect local de la prise de décision on a créé des conférences de citoyens constituées par un échantillon de volontaires représentatifs. Cette démarche n’est pas encore stabilisée, elle est du côté de la démocratie d’opinion même si contrairement au sondage l’opinion des participants est construite par un débat argumenté. Malgré ces critiques et le peu de pouvoir que leur donne la Constitution, ces assemblées - comités de quartier, comités consultatifs, Agenda 21, concertations diverses, etc...- participent fortement à améliorer la vie démocratique en permettant aux citoyens de s’informer et d’exprimer des points de vue.

Sur des problématiques liées à la modernité, comme par exemple le développement des OGM ou des nanotechnologies, ces démarches participatives ont permis aux politiques de comprendre les enjeux, même si pour les OGM le "pouvoir" a superbement ignoré les conclusions de la conférence de citoyens. La composante participative dans notre démocratie est très insuffisante, pour progresser elle doit surmonter de vraies difficultés.
- L’enfermement dans l’immédiateté et la localité (par exemple se contenter de choisir la couleur de la peinture de l’école).
- La théâtralisation d’une opinion construite par les médias.
- La création d’un corps de citoyens d’élite, antichambre du monde politique qui se ferait passer pour le peuple.

La démocratie comme système global.

La vie de tout un chacun dépend d’un mélange complexe de décisions individuelles, locales et globales. L’acceptation ou non prise par un grand pays comme la Chine de réduire la production de CO2 a un effet à long terme non négligeable sur notre vie, tout comme la décision des EU de faire la guerre en Irak a forcément des conséquences en France. Quelques mécanismes de contrôle commencent à se mettre en place, mais ils n’ont trop souvent que la capacité de tirer le signal d’alarme. L’organisation de la planète en pays souverains et indépendants est à repenser. Le système démocratique doit s’appuyer sur des territoires et, si le local doit avoir une forte part d’autonomie, il serait temps de penser la terre comme le territoire de l’humanité et de faire fonctionner démocratiquement un niveau minimal de solidarité. Pour l’instant force est de constater que les organisations les plus puissantes au niveau mondial sont les multinationales et les fédérations sportives (FIFA, CIO....) Les structures mises en place par l’ONU et les traités internationaux sont encore bien trop impuissantes, même lorsqu’il s’agit d’un problème aussi crucial pour l’humanité que le changement climatique.

Que faire ?

Dire que le système politique actuel n’est pas parfait est assez consensuel. Cela ne doit pas conduire à renoncer à participer aux prises de décisions collectives. Mais faire de la "politique" peut se faire sous des formes multiples.
- On peut prendre des responsabilités à l’intérieur du système. Cela peut aller de l’engagement militant classique à la participation, beaucoup plus facile que les gens ne croient, à la vie sociale à travers les associations, ONG, comités de quartiers, comités consultatifs, ou encore Agenda 21. La base de la démocratie reste cependant la formation du jugement, s’informer, réfléchir, débattre sont les actes de base de la vie politique. De ce point de vue Internet est un outil formidable.
- On peut aussi favoriser l’émergence d’une nouvelle définition du politique en essayant de mettre au centre du débat politique des problématiques que les pouvoirs en place ignorent ou sous-estiment. Cela impose parfois de sortir des formes classiques du militantisme pour casser le conservatisme traditionnel des structures existantes. A partir du moment où l’action n’est pas contradictoire avec les valeurs démocratiques que l’on prétend défendre il est non seulement légitime mais nécessaire de se battre pour améliorer le système.

Si trop de politiciens ont, par leurs comportements, dévalorisé l’engagement politique, il ne faut pas pour autant renoncer à peser sur le destin collectif. Ce qui a changé depuis les années 70, c’est la quasi disparition de la frontière entre ce qui est politique et ce qui ne l’est pas. Aux citoyens de ne pas laisser le monopole des choix fondamentaux pour la société à une minorité de privilégiés ou d’apparatchiks.