Le Café Politique

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  Violences urbaines : réflexions en vrac.

lundi 28 novembre 2005, par François Saint Pierre


- Comme pendant la campagne sur le TCE, cette crise a été l’occasion d’un retour du débat politique dans l’espace citoyen qui s’est traduit par de nombreux articles, des reportages et des analyses de sociologues, de politologues ou de géographes. Comme pour tous les problèmes refoulés, les statistiques officielles sont absentes et parfois même les mots manquent pour dire correctement le réel. Entre le politiquement correct et la provocation indigne il est difficile de s’exprimer. Stigmatisation, condescendance, victimisation sont des écueils quasi impossibles à éviter. Sur ce point un premier bilan désastreux : un verrou a sauté au sein de la droite conservatrice sur la manière de parler.

- L’essentialisme qui est l’aspect théorique du racisme est plus que jamais présent dans l’implicite de beaucoup d’analystes. Beaucoup d’articles se résument à : "ils sont comme cela !", Ils sont paraît-il anthropologiquement différents, ce n’est même plus une question de culture, qui pourrait évidemment s’acquérir..... Pire, les "cornichonneries" sur l’interprétation des événements par la polygamie ont été reprises par deux ministres, un Vice-président de l’assemblée Nationale et par le Président de l’UMP.

- De façon quasi unanime ces violences ont été a priori déclarées illégitimes. Dans une première approche on peut penser que la violence n’est jamais légale, une école brûlée est sans ambiguïté un spectacle triste à voir. Et pourtant avec un peu de recul historique cette position ne tient pas. Ce n’est pas parce que les démocraties occidentales se pensent comme étant des régimes politiques idéaux que cela est vrai ! La dignité humaine fondement des droits de l’homme peut avoir plus de force que les interdictions promulguées par des sous préfets. C’est donc l’histoire qui tranchera. Le bilan apparaît d’ores et déjà complexe : des dégâts, un renforcement de la répression, une montée de la xénophobie mais aussi le rétablissement des subventions aux associations, des multiples mesures gouvernementales en faveur des quartiers en difficultés, une prise de conscience des discriminations négatives.

- Une dialectique délicate et relativement perverse s’est mise en place entre ceux qui pensent que le moteur caché est le conflit de civilisation et ceux qui pensent que c’est une jeunesse nihiliste qui casse tout car elle ne peut avoir droit aux bienfaits de la société de consommation. Le trop de religion et d’identité contre le manque de "sacré", qu’il soit religieux ou républicain. Cette question difficile mérite peut-être débat, mais elle ne doit pas occulter la complexité des enjeux. Emmanuel Todd parle lui, à l’envers de l’opinion dominante, d’une demande de République chez ces jeunes qui se sentent exclus. La politique de la ville comme la politique sociale est d’abord une question de politique. Notre démocratie n’est pas sur ces problèmes à la hauteur de ses déclarations d’intention. Notre République en oubliant ses principes a politiquement failli.

- La droite néo-conservatrice déclare haut et fort que la solution passe par une fermeté répressive accrue et par l’usage de la discrimination positive. Beaucoup de bâton et un peu de carottes. Les résultats des sondages d’opinion prouvent hélas, que les français sont majoritairement en phase avec ces propositions. La "sécurité" est un argument politique qu’il est normal de faire intervenir dans le débat démocratique mais les tacticiens de droite préfèrent certainement voir durer une situation qui permet en jouant sur la peur de faire de bons coups médiatiques. Il faut de l’insécurité pour être élu et des forces de police conséquentes pour maîtriser le risque. De même plutôt que de lutter efficacement contre les discriminations négatives il est plus médiatique de faire quelques actions spectaculaires qui certes avantagent quelques heureux élus mais augmentent la xénophobie ambiante. La République est égalitaire en droit mais, pour des raisons de fraternité, elle ne doit laisser personne dans la misère ou dans l’exclusion sociale. Pour faire des efforts dans les quartiers en difficultés, point n’est besoin de faire référence à des modèles étrangers, il suffit d’un peu de volontarisme républicain. Si notre modèle social est critiquable la dernière publication de l’observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (organisme de l’UE basé à Vienne) montre bien qu’en Europe il n’y a pas de modèle miracle ( http://eumc.eu.int ). Contrairement au discours des libéraux, inutile d’espérer résoudre la crise par une politique volontairement "communautariste", qui rencontre ailleurs de grosses difficultés.

- La gauche sans disqualifier une politique sécuritaire a fait des propositions sur le plan économique, social ou territorial. Hélas il ne suffit pas de faire de bonnes propositions il faut aussi tout faire pour les mettre en œuvre avec succès. Travailleurs sociaux, police de proximité, ZEP, zones franches, soutien aux associations, etc... ne sont pas forcément des mauvaises idées mais le diable se cache souvent dans les détails du réel budgétaire ou administratif.

- Manier les grandes idées politiques est assez facile, argumenter précisément sur des prises de décisions est plus difficile. Un exemple : certains pensent qu’en raison de nombreux effets négatifs, il faut arrêter de territorialiser les politiques de solidarité et faire plutôt de l’aide directe aux habitants des quartiers, d’autres pensent que le territoire reste un cadre d’intervention politique qui garde sa pertinence. A travers les institutions et les différences instances politiques locales le quartier peut être un instrument de la redistribution sociale mais aussi permettre un apprentissage à la citoyenneté. Construire une opinion sur un tel sujet n’est pas simple, il faut pouvoir s’appuyer sur le travail des rares chercheurs (ces fameux chercheurs en sciences sociales et humaines qui sont souvent considérés comme inutiles) et accepter de consacrer du temps à ces questions techniques qui ne sont pas particulièrement "rentables" pour les campagnes électorales. De même prendre dans le système scolaire des décisions qui avantagent les classes moyennes, en mettant des critères de présélection à l’entrée des filières et non à la sortie, (TIPE, TPE, entretiens, culture générale, survalorisation des stages linguistiques et de l’usage des TICE) est plus facile que de garantir l’existence de filière d’excellence dans tout le territoire.

- Nos choix politiques vont depuis quelques années à l’envers des principes républicains..... la fracture sociale est un choix politique de fond. Les incantations pour la réduire n’ont qu’une valeur de déculpabilisation. La mobilité sociale se réduit, l’ascenseur social ne sait plus que descendre.... Une frange de 10% de la population est très marginalisée et vit d’expédients. Les classes moyennes inférieures sont inquiètes de la baisse de leur pouvoir d’achat et deviennent agressives envers la concurrence d’en bas ou "d’à côté" faisant par exemple des efforts pathétique pour ne pas respecter la carte scolaire. La télé est là pour leur rappeler le danger du déclassement. Les classes moyennes supérieures consomment des spectacles et des voyages et vivent dans leurs bulles des beaux quartiers. Inutile de faire des efforts d’évitement, ils savent que les pauvres existent car leur new magazine préféré leur fait de temps en temps un petit reportage. Les élites dirigeantes "dirigent", elles ne sont pas coupées du réel, mais elles sontlà pour empocher les bénéfices qui vont avec leur statut. Le peuple ne soutient plus cette évolution par ses choix électoraux.... mais notre "excellent système démocratique" est ainsi fait que l’on aura au mieux au second tour de l’élection présidentielle un candidat plus ou moins conservateur qui proposera du tout sécuritaire contre un social libéral qui par pragmatisme ne voudra pas changer grand chose.... ainsi va la politique.