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  Lettre à Monsieur Kärcher

mercredi 16 novembre 2005, par Leila Salem

Lettre à Monsieur Kärcher

Tu voulais la foudre et l’éclair, l’odeur de poudre, le tonnerre, alors avec une étincelle tu as Allumé le feu, un feu qui couve sous la cendre depuis des décennies et qui ne demandait qu’à démarrer.

Comme un éléphant dans un magasin de porcelaine tu débarques pour nettoyer la « racaille » au kärcher. Mais au fait, de quoi l’accuses-tu ?

De se soulever pour crier sa détresse et hurler sa douleur devant la perte de deux des siens, brûlés vifs pour échapper au contrôle de ta police ?

De se révolter après que ta police ait traité sa mère de « pute » et jeté des bombes lacrymogènes dans la mosquée où priaient son père, son voisin et sa mère injuriée.

De s’insurger pour dire STOP à trente ans de discrimination, de misère et de ghetthoïsation ?

Etre solidaire, refuser l’injustice, se soucier de la vie d’autrui et vouloir jouir de l’égalité des droits et des chances sont pour toi sauvagerie et manque d’humanité. Deux jeunes vies sacrifiées et un lieu de culte profané et aucune compassion aucun mot d’excuse ou de regret ni de ta part ni de la part de tes CRS. Au contraire, toi et ton gouvernement avez dégainé un bazooka pour abattre une mouche. Vous auriez pu utiliser un moyen plus pacifique, non, vous avez préféré fouiller dans vos greniers poussiéreux pour exhumer une loi qui exhale les relents nauséabonds de l’Algérie française.

L’amnésie coloniale et le refus de faire un travail de mémoire autocritique sur son passé (« glorieux » d’après la loi négationniste du 23 février votée par ta majorité !) fait que l’immigration soit un prolongement de cette période coloniale. Les mêmes images, les mêmes stéréotypes et la même gestion perdurent, seul le vocabulaire change. Hier indigène, aujourd’hui sauvageon. Hier fellaga, aujourd’hui terroriste. Hier mesquin, arriéré, fanatique, voleur et à la sexualité débridée, aujourd’hui islamiste, violeur, pilleur, antisémite et barbare.

Cette « racaille » casse et brûle pour que l’image du colonisé soit enfin déconstruite !

Cette « racaille » casse et brûle pour que cessent les discriminations à l’emploi et au logement.

Cette « racaille » casse et brûle pour dire Stop à la violence policière et à son impunité. Elle demande justice pour Youssef Khaïf 23 ans, Abelkader Bouziane 16 ans, Sydney Manoka Nzeza 25 ans Habib 17 ans, Xavier Dem, Mohammed Berrichi et les autres tombés sous les balles de policiers tous acquittés.

Cette « racaille » casse et brûle pour que s’arrêtent le contrôle d’identité au faciès, les opérations « coup de poing », les humiliations, les insultes .... Des jeunes qui n’avaient commis aucun délit avant l’intervention policières se retrouvent devant les tribunaux pour outrage.

Cette « racaille » casse et brûle pour que cesse la justice de classe, la justice de deux poids deux mesures.

Cette « racaille » casse et brûle pour dire qu’il ont en marre qu’on leur choisissent des prétendus représentants, ces « bougnoules » de service tels Rachid Kaci, Malek Boutih, Fadéla Amara, Azziz Sahiri, Mohammed Siffaoui et la liste est encore longue, employés pour porter la bonne parole et cautionner les délires islamophobes de leurs maîtres.

Cette « racaille » casse et brûle pour que les médias cessent leur cynisme et mettent fin à leur autisme face aux jeunes des cités.

Cette « racaille » casse et brûle pour que les médias cessent d’amalgamer islam et viols collectifs. S’appuyant sur l’étude de dossiers judiciaires autour du problème des "tournantes" ou viols collectifs, Laurent Mucchielli a démontré, preuves à l’appui, que le phénomène du viol collectif n’est pas nouveau et qu’il n’est pas l’apanage des cités « Que l’on veuille ou non l’entendre, le traitement des "tournantes" dans le débat public a tendu à imputer ce phénomène à la "barbarie" supposée des jeunes issus de l’immigration », note-t-il.

Cette « racaille » casse et brûle pour dire « merde » aux faux journalistes d’investigation qui nous plongent dans les réseaux d’Al Qaida nichés dans les banlieues et aux pseudo spécialistes de l’islam qui amalgament à tout bout de champ islam et intégrisme.

Cette « racaille » casse et brûle pour rappeler à la gauche son rendez-vous manqué. Les français issus de l’immigration ont été pendant les années 80-90 des acteurs associatifs et ont joué un rôle important dans la vie de leurs cités. Malheureusement leur engagement n’a jamais été reconnu par les élus de gauche et très peu d’entre eux ont pu accéder à des responsabilités locales : la gauche au lieu d’en faire des héritiers les a poussé dans les bras de la droite.

Cette « racaille » casse et brûle pour sommer le parti socialiste de cesser de les instrumentaliser. A l’instar de la marche de Gandhi et de celle de Martin Luther King, la marche des beurs de 83 fut triomphale et pacifique. Il se trouve que pendant cette période, le gouvernement socialiste cherchait à récupérer sa « légitimité sociale » anéantie par sa nouvelle politique socio-libérale. Mitterrand trouva alors la parade en récupérant la lutte des jeunes des cités, il trouva ce moyen commode pour donner l’impression d’une mobilisation du « peuple de gauche » pour les droits humains et les luttes sociales, thèmes que la gauche caviar a rangé dans ses tiroirs. Avec SOS-Racisme, le gouvernement socialiste a mis K.O. les mouvements beurs et a développé une politique de contrôle de ce mouvement. L’immigration et l’intégration ne furent qu’un instrument politique. Au lieu de lutter contre les discriminations variées et multiples subies et faire de l’éducation une priorité, SOS racisme s’est trouvé la vocation d’aller vers le superflu et l’accessoire ; elle s’est faite championne dans la réparation des boîtes au lettres des immeubles des cités et dans l’instauration du privilège d’entrer dans les discothèques. Quelle farce !

Sentant l’agonie du phénomène SOS-Racisme et après avoir mis successivement à la tête de ce mouvement tout ce que le milieu issu de l’immigration compte comme opportuniste et sans gêne, le PS alla carrément fouiner dans la décharge des idées coloniales et stimuler cette nouvelle excroissance « Ni putes ni soumises » pour « libérer » la femme du « joug du sauvageon indigène, brutal et barbare ».

Cette « racaille » casse et brûle pour dénoncer ce racisme toléré et « honorable » qu’est l’Islamophobie.

Ce refoulé de l’histoire resurgit avec le 11 septembre. Il ne se passe pas un seul jour sans que l’on entende une déclaration islamophobe. Ce climat de haine à l’égard de l’Islam et des Musulmans n’est plus le monopole du seul Front National ; malheureusement, des intellectuels, des journalistes, des écrivains , des politiques non affiliés à une catégorie politique bien déterminée confondent sciemment islam, intégrisme, terrorisme et banlieues. La rhétorique est la même : l’islam dans son essence est un obstacle à l’intégration, il est hostile à la laïcité et à la démocratie et menace la république. On ne compte plus les Fallaci, les Houellebecq, les Imbert, les Adler, les Finkelkraut, les BHL... Un discours proche de celui des néo-conservateurs et qui repose sur l’idée du « choc des civilisations » est repris en France, non seulement par des milieux de droite ou d’extrême droite mais aussi par une partie de la gauche.

A force de manipulations, de mensonges et de stigmatisations même des citoyens avertis ont fini par croire que l’islam est cette cinquième colonne. Alors dans les consciences se mêlent lutte des palestiniens, résistance des irakiens, attentats terroristes, voitures brûlées, émeutes, incidents antisémites.

A cette peur irrationnelle s’ajoute celle de l’insécurité de l’emploi, du néolibéralisme et des images des instabilités de la planète. La France a peur et la nation doit se souder et s’unir contre cet « ennemi intérieur ».

Hier c’était le juif « conspirateur » aujourd’hui c’est le musulman « comploteur ». Qui a dit que l’histoire n’est pas une éternelle répétition ?