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   Retraites : réclamations et concessions

lundi 20 janvier 2020, par Stuart Walker

Emmanuel Macron n’a pas été élu purement par défaut. Il avait constaté que les deux grands partis qui permettaient l’alternance était usés. Le champ était donc libre. Ses qualités personnelles et son programme lui ont permis d’emporter les élections présidentielles et législatives, face à d’autres candidats qui n’étaient pas plus ni moins avantagés que lui. C’est la même impuissance parlementaire en Grande Bretagne qui a permis l’écrasante majorité de Boris Johnson. Macron gouverne, mal selon certains, mais au moins il gouverne.

Si les Français veulent le désavouer, les prochaines échéances électorales leur en donneront l’occasion, ce qui vaut mieux que de tenter de le lyncher dans un théâtre. On ne peut pas lui reprocher de tenir ses promesses. La retraite à points, comme le redressement de l’économie, étaient dans son programme. S’il se contentait de faire la présence, comme ont fait Mitterrand et Chirac pendant leurs deuxièmes mandats, les critiques seraient encore plus acerbes.

C’est confondant d’entendre un homme politique critiqué parce qu’il s’appuie sur la pédagogie. Celle-ci n’est pas de l’instruction, ni le passage en force d’un projet bouclé. C’est plutôt la présentation d’idées et de principes, tout en restant ouvert à des contre-propositions. C’est d’autant plus nécessaire dans ce cas, le pilote du projet ayant été disqualifié à mi-chemin, et le COR ayant émis en 2019 des évaluations plus pessimistes qu’auparavant.

Ce n’est pas sûr non plus que tous les travailleurs comprennent ce qui est derrière la réforme. L’ancien système n’était pas un modèle de simplicité. Le nouveau sera forcément technique et complexe. Il arrive même aux experts d’exprimer leur incompréhension.

Le bien-fondé de la réforme est cohérent. Un travailleur qui prenait sa retraite en 1965 avait une espérance de vie de 5 ans de plus, ce qui est devenu 20 ans aujourd’hui. Le rapport actifs/retraités est de 1,40 à 1. 14% du PIB est consacré aux retraites, le plus haut pourcentage de l’OCDE. Les dépenses,1md par jour, ne sont pas couvertes par les cotisations. L’écart, en constante évolution, est comblé par un endettement que nous léguerons aux futures générations. Tout en enrichissant les marchés financiers.

Ce qui se passe prend les airs d’un système Ponzi. Un exemple d’outre-Atlantique donne matière à réflexion. Sous une très forte pression syndicale les trois grands constructeurs automobiles ont concédé à leurs travailleurs de généreuses accords de retraite, qui sont devenus une spirale intenable. Avec la crise de 2008 les fonds de pension ont dû revenir sur leurs promesses. De dizaines de milliers d’employés ont du partir avec leur retraite diminuée à la part congrue.

Il y avait indéniablement des éléments redistributifs dans la première mouture de la réforme. L’idée était lancée il y a 6 ans par Thomas Picketty, et défendue par la CFDT avant d’être adoptée par Macron. La comptabilisation de la première heure travaillée est à l’avantage des femmes ou de ceux dont la carrière est uberisée ou hachurée par le nouvel environnement économique. Si l’écart de salaires homme/femme est de 20%, celui des retraites est plutôt de 40% Le minimum pour une carrière complète passerait à 1000€. Le calcul sur l’ensemble de la carrière, plutôt que les 25 dernières années, favorisera les métiers les moins ascendants. Le système à points a déjà fait ses preuves dans le privé, notamment dans la gestion des complémentaires ARRCO et AGIRC. L’ancien système tenait à l’écart tous ceux qui n’avait pas de statut. Les acquis sociaux les plus solides étaient plutôt limités au secteur public. Très tôt il a été accepté que la valeur du point serait déterminée par les partenaires sociaux.

Les avancées les plus pertinentes concernent des modulations par rapport à la pénibilité, avec une mise en question de la suppression de 4 des 6 critères établis par François Hollande. En moyenne l’espérance de vie d’un ouvrier est près de 10 ans de moins que celle d’un cadre supérieur. Le Compte Personnel de Prévention a l’inconvénient qu’il faut être atteint avant d’en bénéficier. Il existe un monde de différence entre les conditions de travail d’un professeur vacataire dans un quartier difficile et celui des classes préparatoires dans un lycée huppée de Paris. Un cadre supérieur peut s’épanouir dans son travail à 65 ans ; un couvreur doit pouvoir se convertir bien avant. Des dispositifs sont à l’étude pour aménager le travail de ceux qui s’approchent de la fin de carrière. On ne peut pas dire honnêtement, comme font les plus intransigeants, que " le gouvernement nous écoute, mais ne nous entend pas ".

Un geste a été fait de part et d’autre permettant d’entrevoir une sortie de crise. Le gouvernement a suspendu l’age pivot et les syndicats, ou au moins le syndicat majoritaire, ont reconnu que le financement est un sujet. La conférence prévue à cet égard n’aura pas une tâche facile. Faire l’économie de 11mds€ sans toucher ni les cotisations, ni la durée de travail, ni le montant des pensions ne laisse que très peu d’options. Prélever dans les différents fonds de réserve ne serait qu’une opération de vases communicantes. Une augmentation des cotisations des hauts salaires serait positif, mais ne garantirait pas à elle seule la pérennité équilibré du système.

Il est probable que le gouvernement acceptera une " victoire à la Pyrrhus " pour que la réforme puisse porter ses fruits à long terme. On peut aussi supposer que son expérience Juppéiste aura appris à Édouard Philippe jusqu’où on peut aller trop loin.

Cette conférence présente aux partenaires sociaux une occasion historique de montrer qu’ils sont capables de se comporter en véritables partenaires, rompant la vieille tradition française que, pour que défendre, il faut passer par la lutte des classes, voire la violence révolutionnaire. Leur échec renouvellerait les blocages de l’économie, qui coûtaient, entre autres, 2m€ par jour à la SNCF. Ce serait en plus un exemple exécrable pour les conflits à toutes les échelles dans le pays.