Le Café Politique

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   Le marché financier à l’assaut du Bien commun

mercredi 8 janvier 2020, par Mohamed El Bachir

« Ils sont tellement fascinés par le rendement de l’outil qu’ils ont perdu de vue l’immensité infinie du chantier. » (Cheikh Amidou Khane : L’aventure ambiguë)

Abstraction faite du réel, le technocrate a raison

Il est devenu courant que l’auteur d’une mesure économique ou sociale, confronté à un refus, adopte un ton professoral : « je vais vous expliquer ! » Le grand débat comme la tournée des ambassadrices et ambassadeurs de la réforme des retraites en sont des exemples de cette nouvelle forme technocratique de gouverner. Et ce n ’est nullement une perte de temps que d ’écouter les explications avancées par les ’’avocats’’ de la mesure ou réforme proposée. Mesure sociale présentée sous la forme d’une vérité incontournable. Ce n’est pas une perte de temps parce qu’ on découvre au fil de la démonstration du détenteur de la ’’vérité’’ que ce dernier fait abstraction de la cause et ne s’appuie que sur les conséquences pour justifier le bien fondé de ce qu’il affirme. Et pourquoi fait-il abstraction de la cause ? Parce qu’elle est le produit de sa propre idéologie !

Osons une métaphore pour illustrer ce que je viens d’ affirmer.

Un mur cloisonne le tunnel dans lequel péniblement la tribu avance mais son chef persiste que la tribu marche en plein air. Face aux rebelles de la tribu qui entrevoient au loin le mur, le Chef, la main sur le cœur, rétorque que ce n’est qu’une illusion. Une vue d’ un esprit partisan. Et donc, il faut que la tribu continue à lui faire confiance ceci d’autant plus qu’il est prêt à baisser le rythme de la marche pour ceux qui ne peuvent pas marcher...Et le Chef prenant à témoin ceux qui hésitent, déclare : « l’apaisement toujours, doit primer sur l’affrontement. Apaiser ne veut pas dire renoncer mais nous respecter dans nos désaccords. » Et il ajoute « ma seule boussole est et sera l’intérêt de notre [pays] tribu . » (1) Faut-il comprendre que les rebelles n’agissent pas dans l’intérêt de la tribu ?

Et quand les désaccords ne portent pas sur des broutilles, il est vital de savoir qui a raison.

Ce qui nous ramène au vif du sujet.

De la répartition à la capitalisation

Le peuple français a hérité du Conseil national de la Résistance présidé, à sa naissance, par Jean Moulin, trois biens communs qui fesait de la société française une exception de par le monde. Des biens communs constitués de trois socles ; Education, Santé et Protection sociale dont la Retraite, sans oublier les services publics de transports et postaux, entre autres. Et c’est ce Bien commun qui a soudé la société française, malgré différentes tempêtes. Cette richesse commune ne pouvait être préservée, au cours du temps, sans une solidarité nationale qui transcende les divergences idéologiques. Une solidarité entre génération dont le suffrage universel devrait être le garant et non le fossoyeur. Et c’est la défense de ce Bien commun dont il faut , certes, corriger les incohérences et les défauts, qui procure à toute la population un caractère commun, une humanité. Et à chaque habitant le qualificatif de citoyen. Ce qui signifie que le dépôt d’un bulletin dans l’urne est secondaire pour ne pas dire sans intérêt s’il n’a pas pour principe la protection de ce Bien commun. Or depuis au moins une trentaine d’années ce Bien est la cible de ce qui est devenu « le nouveau Léviathan » (2), à savoir les marchés financiers puissamment armés de la Banque mondiale et du F.M.I. Et soutenus idéologiquement par les nouveaux chiens de garde : économistes, sociologues et psychologues dont le savoir usent et abusent des mathématiques, afin de paraître neutre. Des imposteurs intellectuels ! (3) Secondés par des journalistes et responsables politiques dont les éléments de langage servent à noyer le poisson dans l’eau en défiant tout bon sens. Des éléments de langage qui flattent celui qui écoute. Et si ce dernier ne prend pas garde, c’est par ce biais, qu’il fait sien l’argument sous-jacent que les éléments de langage véhiculent.

Fini le langage cru : « mauvaise graisse » du Premier ministre de droite A Juppé en 1995, « dégraisser le mammouth » du ministre socialiste C.Allègre de l’Education nationale en 1998 .Mais quel que soit le langage utilisé, l’objectif reste le même : la marchandisation du Bien commun dont l’Education, la Santé... Sans oublier le démantèlement du code du travail... Avec la flexibilité et la mobilité comme corollaire et la précarisation des salariés comme nouveau statut social.

Quant à la « boussole » du Chef de l’Etat. Cette dernière fut offerte par la commission de Bruxelles , il y a une vingtaine d’années. Ses prédécesseurs ont essayé de l’utiliser mais face à la résistance populaire,elle a été remise dans un tiroir du bureau de l’Elysée en attendant des jours meilleurs pour les marchés financiers... En fin de compte, pour le salarié, plan social signifie plan de licenciement. Désormais, pour le citoyen, une réforme annonce privatisation et marchandisation du Bien commun. Une régression sociale et civilisationnelle.

Que faire ?

Que faire face à ces responsables politiques et technocrates qui soumettent l’Etat aux désirs d’une bourgeoisie mondialisée et aux marchés financiers pour qui, tout est marchandise. Pour qui, seul le profit matériel privé est une preuve de l’existence humaine avec la marchandise comme trait d’union entre les individus. Que faire pour combattre cette aliénation ?

Continuer à mener ce combat social en l’enrichissant sur le plan politique pour la défense du Bien commun. Prendre conscience que le lien universel est notre humanité et non la propriété privée . J’ai la faiblesse de croire que le mouvement social en cours est un acte politique allant dans ce sens : combattre la gouvernance mondiale et la technocratie afin de reconquérir la démocratie.

(1)https://www.elysee.fr/emmanuel-macr...

(2) https://www.les-crises.fr/12-decemb...

(3) Alan Sokal , Jean Bricmont : Les impostures intellectuelles. .Edition Odile Jacob (1997)