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  La recherche comme territoire

mardi 18 mai 2021, par Pascal Meledandri

L’absence de vaccin français parmi ceux proposés par l’industrie pharmaceutique pour aider à la résolution de la crise sanitaire en cours, amène à s’interroger sur l’état et la place de la recherche scientifique française dans le monde. Sans doute qu’il sera possible de se pencher sérieusement sur cette question, de collecter des informations statistiques, de faire des comparaisons avec d’autres pays, voir ce qui ressemble et au contraire ce qui diffère, observer les tendances, établir des distinctions suivant les domaines de recherche, tout cela afin d’apporter une réponse solide à cette question. Mais, est-ce qu’il ne serait pas également intéressant de se demander pourquoi la question se pose ou s’impose ? Est-ce que les espagnols ou les italiens qui n’ont pas non plus de vaccins, s’interrogent sur l’état de leur recherche scientifique et leur place dans le monde ? Est-ce que les turcs, les iraniens, les coréens s’interrogent ? Est-ce qu’il ne s’agirait pas de pure rhétorique, puisqu’au fond, chacun pense bien avoir le pressentiment de la réponse. Que celui qui s’est immédiatement dit : "Pour moi il n’y a pas de sujet, la recherche française est à la pointe de la recherche mondiale, elle est extrêmement dynamique, riche et enthousiasmante !" me jette la première pierre. C’est l’esprit du temps et du lieu, la culture d’un peuple qui depuis longtemps accumule les perceptions d’un long et inexorable recul de son histoire, de son héritage et de ce qui pendant quelques décennies lui a permis d’envisager sereinement l’avenir. C’est peut être aussi et surtout le sentiment vaguement coupable, de ne s’être même pas posé la question, la recherche étant, dans la liste des préoccupations ordinaires, loin derrière les études de marketing de l’année, le remplacement de la voiture qui commence à montrer des signes de faiblesse, ou le nombre de merguez pour le prochain barbecue. 

La paléontologie le suggère, il y a plus de deux millions d’années, les premiers homininés quittaient l’Afrique sans raison particulière, juste comme ça, par curiosité. Un peu plus loin, nos glorieux précurseurs se retrouvaient en littérature sous la plume alerte de Roy Lewis, pour nous raconter les péripéties hilarantes d’Edouard le progressiste, d’Ernest le réactionnaire et du reste de leur pétillante petite famille. Edouard domestiquait le feu et Ernest en maugréant, reconnaissait les vertus du barbecue, Edouard mettait le feu à la forêt, et tout, de la première étincelle née du choc entre deux cailloux, jusqu’à l’exploitation de l’énergie nucléaire par l’homme moderne, tout était dit (J’envie sincèrement ceux qui ont la chance de n’avoir pas encore lu ce livre puisqu’ils ont l’opportunité de le découvrir pour la première fois). 

Quelques années plus tard, des générations d’Edouards, en dépit de générations d’Ernests, ont bâti un monde irréfutable, où l’homme vit assez longtemps et en assez bonne santé, pour être contemporain de la première photographie d’un trou noir, de l’éradication de la variole, du premier pas sur la Lune, et de l’arrivée imminente des glaces au gout de saucisson.

C’est ainsi. On a souvent cherché ce qui pouvait nous distinguer du reste du monde animal, et mille pistes ont été suggérées, le rire, les rêves, les émotions, et la science a toujours fini par nous apprendre qu’il n’y a rien qui ne nous soit propre. Rien. Nous finissons inlassablement par être renvoyés au rang de bêtes à peu près comme les autres. Peut-être, alors, oserait-on l’hypothèse que ce qui fait de nous de si curieux animaux c’est que nous sommes des animaux curieux, un peu plus curieux que les autres, curieux au point de nous mettre en danger pour le simple besoin de savoir, d’expliquer, d’aller derrière l’horizon. Souvenons-nous de Newton qui s’enfonçait des aiguilles à tricoter dans l’œil pour tester une théorie sur les couleurs. L’histoire n’est pas tout à fait exacte évidemment mais elle laisse des images qui marquent. A supposer, que l’aspiration de chaque être vivant, de la bactérie au myosotis, de la mycose à l’éléphant, et du poulet aux morilles, soit d’être pareillement animé du même impératif Nietzschéen de croître et multiplier, alors nous devons constater que cette curiosité singulière a permis à notre espèce de joliment y réussir.

Sans doute serait-il plus que hasardeux de conjecturer sur la pérennité de cette réalité, mais aujourd’hui, dans le monde connu, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, l’homme est le "boss du Game" et il ne semblerait pas exagéré de penser que c’est grâce à sa curiosité. Quel rapport avec la recherche scientifique ? Eh bien, mais qu’est ce que la Recherche, si ce n’est l’expression purifiée, organisée, essentialisée de cette curiosité à laquelle nous devons tant. 

Etranger au domaine, ni chercheur, ni scientifique, sans légitimité sur ce sujet, je n’ai à partager que l’interrogation du vulgaire, celle de l’homme de la rue qui ajoute à celles qui se posent déjà la question de la relation que nous entretenons avec la recherche elle-même. J’entends que dans une discussion un peu fine, il serait sage de soutenir que le domaine de la recherche est un investissement économiquement rentable pour être un grand pays, et qu’au lieu de 2,2% du PIB il faudrait plutôt lui accorder 2,3%. On pourrait également proposer une organisation différente de la recherche, dénoncer sa technocratisation, ses dissensions internes et autres dysfonctionnements aberrants, mais il me semble qu’une autre partie du problème de la recherche est, comme souvent, à trouver en chacun de nous, simples citoyens de ce pays, ou simples habitants du monde. Depuis les débuts de cette aventure, c’est la recherche qui nous a protégé, c’est elle qui nous a fait évoluer, grandir, elle qui nous a libéré des peurs et des superstitions, elle qui a ouvert le champ des possibles, elle, encore, qui porte nos meilleures chances de résoudre les difficultés à venir. Et pourtant, toujours, nous peinons à reconnaître son caractère indispensable et essentiel à l’expression et à la survie de notre condition humaine. 

Par quel mécanisme étonnant de la psychologie évolutionnaire sommes-nous si nombreux à continuer de trouver plus séduisants les élucubrations péremptoires du premier harangueur fraîchement postillonné d’un quelconque collisionneur de pipotron, plutôt que la parole de ceux dont l’expertise mesure le recul de l’ignorance ? D’où vient cette naïveté enfantine qui nous fait encore préférer suivre avec aveuglement des vérités révélées et des idéologies péremptoires qui nous trompent toujours, plutôt que la trace éclairante de ceux qui, avec méthode, se trompent de moins en moins ? 

Tout le monde ne peut pas être chercheur, mais chacun peut accepter ce que la recherche représente dans nos vies ordinaires. La crise sanitaire actuelle est encore là pour l’illustrer, et s’il est trop tôt pour dire comment elle se terminera, il est déjà possible d’affirmer, d’une part que les huiles essentielles, l’homéopathie, et toutes ces solutions si merveilleuses pour soigner les gens bien portants n’ont été que de peu de secours jusque-là, mais que d’autre part, les vaccins, pur produits de la recherche et de la science, ont déjà eu des effets sur la vie de millions, voire de milliards de nos semblables. Quelles seraient les conséquences sur la recherche française, ou sur l’humanité même, si nous la considérions un peu plus souvent et avec un peu plus de convictions, à sa juste valeur ? 

Sans doute sera-t-il possible de trouver le propos simpliste, de rappeler les dangers du scientisme, ou les idées de bonne ou de mauvaise science. Sans doute, comme toujours lorsqu’il s’agit de cultiver une forme de défiance ou de rappeler les dangers de la recherche, sera-t-il tentant d’évoquer Hiroshima ou les ambitions du Trans humanisme. Pourtant, pour ce que je sais d’elle, ce qui, encore une fois n’est que la perception d’un regard extérieur, la recherche, en tant que démarche de production ou de collecte de savoirs ne peut être ni bonne ni mauvaise, et si nous la confondons souvent avec la connaissance qu’elle produit, nous mélangeons plus souvent encore cette connaissance et son utilisation. 

La recherche traite de tout, s’intéresse à tout, même au temps perdu. C’est l’arbre du jardin d’Eden. Depuis le péché originel, nous n’avons plus d’autre choix que d’en croquer chaque jour le fruit. Autant s’en réjouir et le partager. Cela ne prive personne, au contraire, et surtout, comme nous l’apprenait Churchill ou Mark Twain, la pomme éloigne le médecin, à condition de viser juste.

Enfin, je ne résiste pas à l’envie d’en paraphraser Sièyes avec le minimum d’emphase nécessaire : 

Qu’est-ce que la recherche aujourd’hui ? Rien

Qu’a-t-elle fait jusqu’à présent ? Tout

Que demande-t-elle ? Être quelque chose.