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  Insatiabilité

vendredi 14 mai 2021, par Stuart Walker

Au contraire des trois auteurs des contributions actuelles, j’admets d’emblée être sans expérience du fonctionnement de la recherche. Je m’exprime en tant qu’ancien enseignant/ formateur, dans les domaines plutôt littéraires, ayant réfléchi au sujet.

Il me semble d’abord qu’i ne faut pas confondre grandeur et bonne gouvernance. Louis 1V et Napoléon ont laissé, l’un après l’autre, un pays en faillite. L’histoire de l’Europe se résume à une série de guerres ou la France et l’Allemagne ont, à tour de rôle, tenté d’imposer leur domination.

Ni le traité de Westphalie, ni celui d Versailles, n’ont permis de tourner la page. Celle de Rome nous a donné une nouvelle, et peut-être dernière, chance. Dans ce contexte ce n’est pas déraisonnable que la France accepte un ajustement de son rayonnement, dans l’intérêt général. L’inquiétude des chercheurs est un des symptômes de cette tendance. Ce n’est pas catastrophique d’être passé du 5è au 7è rang dans les classements des puissances économiques mondiales.

Ni de s’accommoder à un futur rôle d’une région d’une Europe consolidée, porteuse de paix dans le monde. Cette consolidation passera également par des sacrifices de notre partenaire l’Allemagne. Il est indispensable que celle-ci, première bénéficiaire du Plan Marshall, soit amenée à accepter une plus grande mutualisation de ses excédents.

C’était, en grande partie, une velléité d’un passé de grandeur qui a incité les britanniques ont décidé de se sevrer de l’EU.

Je partage quand même une certaine nostalgie pour les conditions qui existaient lors des 30 glorieuses. Jeune professeur dans un lycée anglaise dans les années 60, je croyais en ce que je faisais. J’étais persuadé de participer à la création d’un monde meilleur. On ne parlait ni de grève, ni de syndicat. On ne comptait pas les heures. Il était normal, qu’en l’absence d’un collègue, de le remplacer. Chacun acceptait d’animer une activité extra-scolaire ans son temps libre, bénévolement. La donne a changé avec le premier choc pétrolier en 1973, et les années Thatcher plus tard dans la décennie

En France aujourd’hui il n’y a pas que les chercheurs qui se plaignent d’un manque de moyens humains et financiers. On entend le même discours de la part des enseignants, des professions médicales, des juristes, de la police, de la gendarmerie… Répondre positivement à toutes les revendications ne serait possible qu’à condition de croire que le précédent du « quoi qu’il en coûte » puisse s’appliquer de façon illimitée, dans le temps, et dans les montants, sans qu’on soit obligé de rendre des comptes, ce que j’ai du mal à imaginer.

Ce n’est même pas sûr que, si un tel scénario pouvait se réaliser, il donnerait satisfaction. Jospin, Ministre de l’Education de 1988 à 1992, disposait du plus important budget de l’Etat. Il a revalorisé l’enseignement et crée 45,000 nouveaux postes. Ce n’était pas assez pour éviter une série de manifestations d’enseignants, d’étudiants et de lycéens.

Il y a des situations ou il vaudrait mieux cesser de s’attarder à constater ce qu’on n’a pas, pour se résoudre plutôt à faire ce qu’on peut avec ce qu’on a.

Quelques notions d’un profane par rapport à la recherche :

  Le besoin d’un équilibre entre la fondamentale et l’appliquée. Si l’état finance des projets il a le droit d’exiger la possibilité de retombées pratiques bénéfiques à la communauté. Un laboratoire ne devrait pas être une tour d’ivoire dont la finalité ne dépasse pas la satisfaction de la curiosité du savant.

  La barrière entre la recherche et le développement industriel semble fort heureusement avoir été escamotée. Un agent d’un institut public, tel que le CNRS, peut, il me semble, garder son poste et exploiter, en parallèle et à son compte, la commercialisation d’une découverte. Ce qui a toujours été le cas aux Etats Unis. On voit bien que des startups ont été plus agiles et efficace dans la course aux vaccins que les géants du Big Pharma.

  Le pont d’or offert par les Etats Unis pour attirer les cerveaux du monde entier n’est pas toujours aussi glorieux qu’on imagine. Tout en étant avantageux, les postes proposés sont souvent très subalternes et de courte durée.

  La liberté d’expression du chercheur est fondamentale, mais la vitesse avec laquelle on approche la frontière entre la science et la science-fiction impose un encadrement publique éthique. Un zébrule est le résultat du croisement des génomes du cheval et du zèbre. Est-ce, pour avancer nos connaissances scientifiques, on devrait autoriser le même type de manipulation entre l’homme et le gorille ?

  Il est vrai que Sanofi a pris un retard qui a déçu beaucoup. Mais on ne peut pas lui reprocher d’avoir tiré un numéro perdant dans cette loterie. S’il y a une leçon à tirer de la crise actuelle, c’est qu’aucun pays, hors les Etats Unis et la Chine, n’avait la capacité d’assurer, seul, dans un délai aussi court, la recherche, la fabrication, l’homologation et la logistique nécessaires. Pfizer a établi une collaboration avec un laboratoire Allemand. Astra-Zeneca est le produit d’une alliance Suédo-Anglaise.

Un autre effet de la crise est d’avoir amplifié les inégalités dans le monde. Stéphane Bancel, le fondateur de Moderna, et le couple Sahin de BioNtech, sont devenus des milliardaires dans l’espace de quelques mois. Boris Johnson a parlé d’une triomphe du capitalisme.

En même temps, si dans les pays de l’OCDE, le taux de vaccination avoisine 25%, dans les pays en développement il reste en dessous de 5%. Parmi les pays baptisés les BRICS il y a peu de temps il y en a deux, le Brésil et l’Inde, qui sont actuellement par les plus impactés par le virus.

Dans ce contexte on ne peut q qu’applaudir la volonté de Joe Biden de lever les brevets sur les vaccins Américains et autoriser leur exportation. Ainsi que la promesse d’Astra-Zeneca de vendre le leur à prix coûtant dans le monde. Promesse tenue actuellement à hauteur de 165 pays.

Il est à espérer que de telles initiatives fassent tache d’huile. Ainsi que des collaborations trans-nationales, même s’il faudrait modérer les bénéfices exorbitants qu’elles peuvent engendrer Un exemple de celles-ci pourrait être une fusion Airbus-Boeing dédiée à la recherche sur un moteur alimenté par de l’hydrogène. Une mesure qui pourrait aider à remettre sur pied, sur des bases moins carbonées, une des industries les plus sinistrées. Les deux avionneurs deviendraient, en Anglais, des « frenemies », fusion de friends et enemies, pour un projet spécifique en commun. Le monde libre, un « concert de nations » engagées à respecter et à défendre l’état de droit, ne peut pas se permettre de dilapider ses ressources dans des guerres commerciales, face à la montée des régimes autoritaires.

Il ne s’agit pas seulement de créer une Amérique ou une Europe plus forte, mais des entités ouvertes sur le monde, capables de servir de modèle pour, et exercer un soft power sur ceux qui ont pris un autre chemin.