Le Café Politique

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   L’Europe au milieu du gué... l’eau jusqu’à la ceinture !

vendredi 6 mars 2009, par François Saint Pierre

L’Europe existe, elle a produit un ensemble conséquent de normes qui participent à la régulation d’une vaste zone économique. Chacun des 27 pays qui composent l’UE accepte de consacrer environ 1% de son PIB pour la faire fonctionner. Les recettes de l’Europe s’élèvent à 120 milliards d’euros, ce qui correspond au niveau du chiffre d’affaire de la dix-huitième multinationale (Volkswagen). Cela lui permet de proposer quelques orientations dans la politique agricole et dans le développement durable. Avec un budget très faible l’Europe a pourtant réussi à devenir un acteur essentiel par son pouvoir juridique et normatif qui influe sur les décisions de chaque pays membre de l’Union. Si au départ l’Europe a été pensée comme une alliance stratégique sur certains points limités entre États souverains, petit à petit la pensée libérale qui a prospéré dans les années 1980 a orienté l’Europe vers une zone de libre échange. L’Europe est devenue un territoire économique où les intérêts des entreprises priment largement sur les choix politiques comme lors de la récente rupture de l’accord Areva-Siemens remplacé quelques jours plus tard par l’accord Siemens-Rosatom.

Le projet Constitutionnel devait acter ce choix, en posant clairement "la concurrence libre et non faussée" comme la valeur principale de l’UE. Les améliorations au fonctionnement administratif de l’Europe proposées par le texte n’avaient pas pour but de créer une entité politique forte, mais simplement de donner la capacité de réguler un peu plus efficacement cet espace économique en interne et de le représenter avec un peu de cohérence en externe. L’échec de ce projet et le retard dans la mise en œuvre du traité de Lisbonne, qui reprend l’essentiel du projet constitutionnel, sont plus symptômes que cause des difficultés.

Quand la crise financière est arrivée, suivie de près par la crise économique. Il a été clair que l’Europe telle qu’elle avait été pensé ne pouvait réagir de manière convenable. L’Europe n’a aucun moyen sérieux à sa disposition pour résoudre les difficultés du moment. Impossible de mener la moindre politique keynésienne avec un si faible budget, mais aussi impossibilité d’harmoniser les politiques de relance tellement elles sont soupçonnées de favoriser le protectionnisme. Le dogme libéral réduit le rôle de l’État à garantir la sécurité des marchés et les conditions de la concurrence, la main invisible, grâce à la croissance, étant là pour répondre aux besoins des européens. L’Europe que nous avons construite ne se préoccupe pas plus de l’harmonisation fiscale que du sort des citoyens, et la seule chose que la Commission trouve à faire, en cette période difficile, c’est de prononcer un avertissement contre les pays qui ne respectent pas le pacte de stabilité. La crise actuelle met fortement en relief les insuffisances de la gouvernance mise en place par la succession de traités. Plus grave pour l’avenir de l’Europe, des vieux relents de xénophobie apparaissent au cours des manifestations sociales et les anciennes tensions inter étatiques prospèrent. Même l’euro qui semblait avoir réussi sa première jeunesse semble en difficulté.

Dans notre tradition, la nation est une des grandes appartenances qui structurent notre vie sociale. Découpée en communes, départements et régions, la nation a été pendant longtemps l’espace de référence pour la vie politique française. Depuis la fin de la guerre de 39/45 une volonté de créer une nouvelle structure supra nationale est apparue. Construire sur le territoire européen un espace de paix et de solidarité tel était l’objectif de départ qui a été soutenu par deux courants idéologiques distincts. D’une part ceux pour qui la petitesse relative des puissances européennes leur interdisait de continuer à peser efficacement sur la scène internationale. Pour continuer à jouer un rôle historique il fallait donc une forte cohésion européenne (C’était l’objectif du général de Gaulle). D’autre part les libéraux, plus intéressés par l’individu que par les structures d’appartenances, qui ont estimé qu’il valait mieux, pour des raisons d’efficacité, réguler les échanges économiques sur le vaste territoire européen. Les territoires nationaux par leur petitesse ne leur semblaient plus adaptés à la mondialisation économique. Les nations se construisent, au hasard de la géographie et de l’histoire, sur l’intuition qu’a un peuple d’avoir intérêt à se constituer comme espace de solidarité et comme communauté de destin. Cette démarche a semblé impossible au départ et les principaux initiateurs du projet européen ont choisi la démarche des petits pas. "L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. " Robert Schuman 9 mai 1950.

Ce modèle a semblé bien fonctionner pendant 50 ans, pourtant il semble s’enrayer. Crise de croissance et doutes sur les frontières de l’Europe, mais aussi incertitudes sur le niveau de solidarité que l’on veut donner à cet espace commun et sur le rôle politique que l’on veut lui voir jouer. La solidarité de fait voulue par Robert Schuman n’est pas vraiment au rendez-vous. Le commerce et la normalisation ont eu un rôle important et il semble actuellement impensable d’avoir une guerre entre deux pays de l’UE, mais l’Europe qui est le premier acteur économique mondial ne pèse que très peu dans la politique internationale tellement elle est incapable d’harmoniser les différentes politiques nationales. Si l’Europe reste un projet bien ancré dans la conscience citoyenne force est de constater que la méthode choisie n’a pas été suffisante pour construire un territoire démocratique dans lequel l’efficacité économique est mise au service du peuple.

En cette période électorale, quelles sont les propositions politiques pour la sortir du gué marécageux dans lequel elle patauge ?

Pour l’extrême droite c’est simple il faut faire demi-tour et redonner à notre identité nationale toutes ses marges de manœuvres.

Pour l’UMP, comme le pour le capitaine de la chanson de Graeme Allwright (« jusqu’à la ceinture », http://www.paroles-de-chanson.eu/pa...),, il faut continuer sur le même chemin. Avec un peu de dynamisme et d’activisme tout ira bien.

Pour le PS il y a des doutes. Jusqu’à présent il suivait, avec des critiques, mais sans trop rechigner la voie tracer par la droite française. Maintenant qu’il y a péril, il cherche, sans se déjuger, comment on pourrait ajouter un peu de politique sociale.

Le Modem qui était aligné sur des positions très européennes peut toujours se dire que si on était allé plus vite on serait déjà sorti du gué... mais ayant fortement soutenu des positions très libérales on ne peut pas être sûr que plutôt que d’être sur l’autre rive on ne serait pas dans l’eau jusqu’au cou. Avant d’accélérer le pas ne faut-il pas réfléchir à la direction ?

Le PC et le nouveau Parti de Gauche critiquent, et avec de bonnes raisons, l’absence d’orientation sociale, pour autant l’opinion publique ne semble pas prête à faire le lien entre lutte sociale et élection démocratique.

Le NPA comme LO ne se pose pas directement la question de l’Europe. Le système capitaliste est mauvais pour l’Europe comme pour la France, il faut donc en changer. L’Europe est simplement vue comme le nouvel espace des luttes.

Les écologistes associés aux altermondialistes essayent de définir une Europe adaptée aux défis écologiques et sociétaux de demain. Ils veulent une Europe consciente de ses responsabilités et qui serve de modèle de référence au monde entier. Si personne ne conteste l’intérêt de leur démarche, ils n’ont pas encore convaincu qu’ils avaient la capacité à gérer efficacement l’ensemble des dossiers et sont encore paradoxalement perçus comme des utopistes sympathiques mais un peu irresponsables.

Voilà les positions avant le début de la campagne électorale. Peut-être que face à l’urgence créée par la crise économique et sociale les positions des uns et des autres vont évoluer.

L’UMP peut changer de cap et revenir un peu à la tradition gaulliste plus ou moins défendu actuellement par "Debout la république" ou par l’ancien premier ministre Dominique de Villepin. Une Europe avec un champ d’action limité mais avec une vraie responsabilité politique capable de se positionner comme grande puissance mondiale face aux EU ou à la Chine. Si certains discours peuvent laisser penser que cela est dans le désir de certains dirigeants, dans les choix concrets cela ne se traduit absolument pas. Le choix d’un retour de la France dans l’OTAN en est la meilleure preuve.

Le PS peut faire amendable honorable et reconnaître s’être fourvoyé dans une position plus libérale que sociale. Si ses zizanies internes lui en laissent le temps et l’énergie, Il lui restera à penser l’architecture d’une Europe solidaire et efficace. Au-delà du cas spécifique français c’est toute la social-démocratie européenne qui est un peu déboussolé par la crise actuelle. Comment faire la critique d’une politique que l’on a si ardemment défendue sans renouveler profondément sa pensée théorique et sans ressortir les anciens discours qui ont aussi fait la preuve de leur inadaptation à l’époque ?

Le Modem peut accentuer sa reconversion aux valeurs républicaines et mettre beaucoup d’eau dans son vin libéral. Il pourrait ensuite participer au niveau européen à la définition d’une bonne gouvernance économique et politique. Politiquement au centre il peut bénéficier des contradictions de l’UMP et de la faiblesse actuelle du PS pour se donner au cours de ces élections l’image d’un parti de gouvernement incontournable.

La gauche de la gauche qui semble destinée encore pour longtemps à la division pourrait essayer de passer outre son sectarisme congénital et faire quelques pas vers une harmonisation de ses trois courants principaux : la lutte sociale, l’écologie et l’altermondialisation. Elle pourrait aussi profiter de la lucidité populaire, induite par les difficultés du moment, pour faire comprendre que l’on ne peut continuer la schizophrénie actuelle qui consiste, alors que le risque de catastrophe sociale et écologique commence à devenir de plus en plus important, à voter pour des gens qui sous couvert de sérieux continuent à ne prendre en compte que le court terme. A la gauche de la gauche de prouver qu’elle est capable de regarder loin tout en regardant où elle pose les pieds pour avancer. Cela devrait passer par sa capacité à montrer localement que si elles s’intéressent aux enjeux de long terme elle peut aussi localement et dans le présent prendre en charge les conditions de vie des citoyens.

Mais il y a beaucoup de forces qui n’ont aucun intérêt à voir bouger les lignes et qui espèrent se refaire une santé quand la crise finira. On peut citer par exemple les entreprises qui surfent sur les différences d’harmonisations fiscales et sociales ou les élites dynamiques qui savent profiter des avantages de cette zone de libre échange pour faire des profits.

Ce tour d’horizon des forces politiques françaises peut se généraliser à toute l’Europe. S’il n’y a pas beaucoup d’ouvertures possibles dans l’immédiat, peut-être qu’après quelques années de crise un consensus se dégagera pour transformer l’ectoplasme libéral actuel en un espace politique qui prenne en charge la nécessaire solidarité entre les peuples européens et qui soit capable d’affronter les difficultés sociales et écologiques.