Le Café Politique

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  Démocratie a minima

dimanche 8 mai 2005, par François Saint Pierre

La démocratie est plus une référence utopique qu’un système politique réel.

- Un objectif : la souveraineté du peuple.

- Des principes fondamentaux : liberté et égalité des citoyens.

Dans le discours moderne le partage entre les pays, qui sont ou non des démocraties, se fait sur un concept de démocratie a minima.

- Un État de droits garantissant un minimum de liberté.

- Des élections régulières qui se déroulent dans le calme et sans trop de tricheries.

Le concept d’isonomie des grecs, qui signifie non seulement l’égalité des droits mais aussi l’égale possibilité de participation au pouvoir, a quasiment disparu. Les États-unis imposent cette définition minimale au monde entier car elle reflète assez bien l’évolution de leur propre pratique démocratique. Le problème est que cette conception est en train, au nom du pragmatisme, de devenir l’alpha et l’oméga de la réflexion politique, y compris dans notre vieille Europe. Depuis les années 70, bon nombre d’intellectuels expliquent qu’il est impossible de regarder vers le haut et que vu la médiocrité de l’humanité, il est déjà bien de ne pas tomber dans le totalitarisme sanglant. Le long terme, point de mire d’une volonté générale ambitieuse, est devenu suspect. Restons modeste, tel est le mot d’ordre actuel. Pour Fukuyama, le « convoi de marchandises » qu’est devenu la modernité avance tout seul. Dans la version Huntington, reprise par les néo-conservateurs, il faut quand même se méfier des civilisations concurrentes et garder intactes les capacités impériales.

La démocratie participative ou directe n’est pas exclue, elle est simplement réservée au local. Le citoyen a le droit d’être informé et de participer aux débats qui le concernent directement. Par contre, les choix globaux se font, hormis quelques rares référendums, hors de la délibération citoyenne. Il y a bien quelques tentatives timides, comme les « conférences de consensus », d’organiser le débat public, mais l’essentiel des choix se fait par des commissions et des experts, qui sont choisis par les élus et en théorie sous leurs responsabilités. En pratique les élus se contentent d’un pouvoir de désignation et de la capacité de blocage ou de révocation (qu’ils ne peuvent utiliser qu’exceptionnellement).

L’opinion publique est difficile à mesurer, mais son évaluation, même subjective et imprécise, guide dans nos démocraties les options des responsables. En effet pour être réélu il ne faut trop la brusquer. L’opinion n’est pas un en soi, mais quelque chose qui se construit par les discussions entre amis ou collègues, par les lectures, par la radio, par la télé et aussi par les prises de positions de ceux que l’on respecte (hommes politiques, intellectuels ou artistes, etc...). C’est tous les jours, à partir de notre culture générale et des informations dont nous disposons, que nous forgeons des opinions sur les transports, l’énergie, l’urbanisme ou la politique étrangère...... Les lobbies économiques ont compris depuis longtemps qu’il fallait « travailler » l’opinion en continu et pour cela occuper abondamment l’espace médiatique. Les partis politiques sont entourés d’experts en communication ou en publicité ! L’information est biaisée dès le départ, pour autant un citoyen motivé et curieux qui choisit ses lectures, écoute les radios et fouine dans Internet peut avoir une information correcte. Participer à des meetings et écouter des débats contradictoires est aussi possible... y participer soi même est, en dehors d’Internet, très difficile.

Les sondages ne sont pas par eux mêmes anti-démocratiques pas très fiables par principe, ils comportent une part de « redressement » qui les place à mi chemin entre la photo floue et le pronostic subjectif. En faisant la somme arithmétique d’opinions individuelles, ils servent souvent plus à créer l’opinion publique qu’à la mesurer. Le vote est normalement l’aboutissement d’un processus démocratique, qui passe de l’information objective à la confrontation des autres points de vue par une volonté de chaque citoyen de se saisir de la question posée en vue de construire « la volonté générale ». A quelques jours d’un scrutin, l’opinion publique commence à devenir consistante et les divers instituts essayent malgré leurs multiples démentis de pronostiquer le résultat. Cela va à l’encontre de leurs habitudes, en effet comme les chiromanciennes il faut d’abord faire plaisir aux commanditaires. Que penser par exemple de la publication le 8 mai du sondage IFOP qui annonce que Jacques Chirac serait le grand bénéficiaire du OUI et J.M. Le Pen du NON.... les partisans du oui savent très bien qu’il faut répondre Le Pen à la deuxième question pour discréditer le vote non, et ceux qui à gauche veulent voter non vont signifier qu’une fois de plus voter oui c’est faire le jeu de l’UMP ! Cette question qui ne se pose pas réellement et qui n’a aucune signification politique, permet simplement, comme au deuxième tour de la dernière présidentielle, de faire peur devant la montée de l’extrême droite... qui pourtant n’a pas grand-chose à voir avec ce référendum !

Dans le référendum actuel une question apparemment simple est posée : cette constitution est-elle acceptable pour créer un espace démocratique européen ? L’importance de l’enjeu et le manque de références historiques obligent à une analyse difficile et complexe des conséquences du texte. En théorie une information objective devrait être disponible et l’organisation du débat public devrait permettre à tout un chacun d’évaluer la force des arguments pour le oui et pour le non. En pratique c’est la crédibilité des défenseurs de chaque position, mesurée par l’applaudimètre médiatique, qui risque de peser le plus. Après une période de relative indifférence sur ce sujet (comme en Espagne...) on assiste à un déferlement en faveur de la constitution. Les journalistes et les présentateurs de la télé ne sont pas en mission commandée, simplement ils appartiennent à une catégorie sociale qui est profondément pour le oui... ils sont donc honnêtes comme leurs invités, anciens ministres ou notables en exercice. Ils ne font pas de la propagande volontairement, simplement notre société a déstabilisé l’égal accès à la parole. La possibilité de s’exprimer dans l’espace public est devenue censitaire. Les élites installées ont un porte-voix à leur disposition, les catégories sociales en déclin (les ouvriers, les paysans, les employés) mais aussi les jeunes, y compris ceux qui sont dans les professions intellectuelles, n’ont que la rue ou Internet pour s’exprimer. En effet ce sont des endroits où il ne faut pas montrer patte blanche pour écrire ou signifier son désaccord.

Après avoir longtemps péché par excès de contrôle, l’État ne se sent plus garant de rien... les grands médias qui constituent l’essentiel de l’agora moderne sont abandonnés aux logiques du marché. Comme pour les actionnaires des grandes entreprises, l’opinion de chacun est pondérée par le poids économique ou institutionnel. Ce référendum est devenu un propagandum en faveur du modèle économique libéral, la constitution, si elle est votée, ne fera qu’entériner notre renoncement à l’équilibre entre deux valeurs conflictuelles : la liberté économique et l’égalité des citoyens. Le CSA est là pour sauver les apparences démocratiques 1/3 pour le NON, 2/3 pour le OUI, sans compter les remarques orientées des journalistes. Quand notre gouvernement juge la dernière élection présidentielle Togolaise globalement correcte on a encore de la marge dans le déséquilibre ! Cette violation des règles du débat démocratique ne semble pas poser problème, le concept de démocratie a minima est déjà dans les têtes.

Choisir des élites pour diriger l’exécutif et élaborer des lois est difficilement contournable vu l’étendue des territoires support des démocraties...mais les grandes orientations doivent rester sous la responsabilité directe du peuple. Pour cela il faut garantir l’existence d’une information libre et non biaisée par les puissances financières ou les lobbies politiques, ainsi que l’organisation d’un débat public honnête.....ce qui se passe actuellement prouve que l’on est loin du compte !

Quel que soit le résultat du 29 mai :

- une satisfaction : celle de voir beaucoup de français se saisir avec courage de cette difficile question....

- une déception : le peu de respect de l’équité dans le débat public.

Ce n’est pas les 10% de modifications, par rapport aux traités précédents, qui justifient l’absence totale de fair-play. Pour les partisans du oui cette constitution est un passage obligé pour l’Europe de demain, pour ceux du non, cette constitution n’institue pas un peuple européen souverain et elle consacre une vision minimaliste de la démocratie. L’enjeu mérite bien un peu de passion.

Pour raison d’efficacité économique et politique, les Européens sont prêts à transférer un peu de la souveraineté nationale à l’Union Européenne. Les conditions de ce transfert doivent garantir que ce ne sera pas un marché de dupe. Depuis quelques années la capacité d’intervention du monde politique se réduit au profit de l’économique et de la norme technico-juridique, qui sont tous deux quasiment hors du contrôle citoyen. L’information devient un produit et le débat un spectacle. On nous propose de laisser l’économie européenne s’auto-gérer et de diriger le reste par des gestionnaires et des juges nommés par quelques élus. Après cette constitution, restera t-il encore de la place entre le droit et les lois du marché pour la délibération politique ? Le peuple souverain est bien le grand absent de cette post-démocratie européenne que l’on est en train de construire !