Le Café Politique

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  Mais je te le dis..... Je n’irai pas plus loin.

dimanche 3 avril 2005, par François Saint Pierre

l’Europe actuelle est libérale, technocratique, inconsistante politiquement et très peu sociale, mais c’est aussi un espace politique pacifié que personne n’a vraiment envie de remettre en cause. Depuis une cinquantaine d’années cette entité politique prend forme avec ses crises, ses marathons bruxellois, ses traités..... et même une monnaie plus ou moins commune. Lors du référendum de Maastricht, rare moment de démocratie directe dans cette courte histoire, la France s’était coupé en deux.
- Les catégories sociales en déclin, intoxiqués par un excès d’État providence, ramassis de nostalgiques de la grandeur de la France et de xénophobes étroits, statistiquement repérés par les instituts de sondage comme sous-diplomés, étaient contre l’Europe.
- Le cercle de la raison, les gens lucides et dynamiques, les forces vives, ceux qui sont dans le sens de l’histoire étaient du côté du OUI.

Les analystes professionnels, les partis politiques, les médias pensaient que pour ce traité constitutionnel la situation allait se reproduire. Les pro-européens allaient tous voter OUI. Vu le bilan globalement positif de l’Europe, l’affaire semblait entendue, le rapport de force serait 2/3 pour le OUI ,1/3 pour le NON. Les grands partis, qui ont vocation à gouverner, ont rapidement signifié leur préférence pour le OUI. La constitution n’était pas parfaite, mais c’était un compromis acceptable qu’ils avaient les uns et les autres négocié avec habileté.

Et puis les français ont commencé à jeter un œil à ce texte... d’abord les experts en droit constitutionnel, puis les militants associatifs et les politiciens expérimentés. Surprise, dés l’automne, on pouvait lire des critiques qui ne rentraient pas dans la grille de lecture traditionnelle : des européens convaincus étaient en profond désaccord avec le texte. Le parti socialiste a commencé à se fissurer.... pour sauver le « parti » les militants se sont rangés derrière la direction.... même scénario chez les Verts. A l’UMP les gaullistes survivants n’ont pas eu droit au référendum interne, mais tout comme les partisans du NON du PS, ils se sont agités sur la scène médiatique.

Motivés par ces dissensions et par la force symbolique du mot constitution, les français se sont passionnés pour ce débat. L’aridité et la longueur du texte n’ont pas découragé cette bonne volonté démocratique. La constitution n’a pas bien passé la rampe.... acceptable pour certains, car correspondant à la réalité de l’Europe actuelle, elle a été lu par beaucoup comme un pamphlet pro-libéral ! Les cris de panique des dirigeants politiques et des éditorialistes patentés n’ont pas suffit à éteindre l’incendie. La France en 15 jours a découvert un tout nouveau paradigme : le NON pro-européen. Le rêve de VGE est en train de se réaliser, la France est sur ce choix fondamental, gouvernée au centre par une coalition UMP/UDF/PS/Verts, les souverainistes réactionnaires, et quelques vieux gaullistes du côté droit, les nostalgiques de la république ou du communisme et les utopistes altermondialistes à gauche..... à ces derniers, il faut évidemment ajouter tous les renégats des grands partis.

Évidemment le NON n’est pas un groupe cohérent et aucun leader politique ne peut envisager une campagne présidentielle sur cette base. La topologie politique est simplement inhabituelle en France, en rupture avec notre longue tradition de coupure gauche-droite. Les nostalgiques du gaullisme sont en difficultés au sein de l’UMP, mais l’absence de référendum interne les laisse en bonne position pour gérer l’après 29 mai. A gauche ce sera plus difficile, car le découpage actuel des partis politiques semble de plus en plus inadapté au réel des sensibilités politiques. Les partis comme toutes les institutions ont la vie dure, l’inefficacité de la gauche au niveau national, en contradiction avec sa force sur le terrain local peut encore durer longtemps. Le vote NON de gauche, qu’il soit pro-européen ou républicain est, comme après le 21 avril 2002, compris comme une trahison et non comme une demande d’aggiornamento politique.

Pour autant, lors du vote d’un texte qui se veut constitutionnel, peut-on jouer au billard avec les conséquences de son choix ou faut-il voter en son âme et conscience ? Notre société nous a habitué à signer sans lire des tonnes de documents et à faire confiance à des candidats trop souvent choisis par d’autres. L’Europe, malgré ses incontestables réussites, n’est pas l’Eden espéré, même si l’essentiel du désaccord n’est pas nouveau, faut-il accepter un long document qui contredit par endroit ses convictions profondes ? Si ce texte n’était qu’un traité supplémentaire, toilettage des documents précédents pour favoriser la vie à 25 ou bientôt à 28... Je pense qu’il n’y aurait pas eu de difficultés. En faire une constitution est une erreur.... ce document avec ses commentaires est inadapté ; trop long, trop technique et faisant par 311 articles économiques des choix politiques trop partisans. La référence à l’OTAN est inadmissible et si le fonctionnement institutionnel est amélioré on n’y trouve pas la trace d’un souffle nouveau. Ce long texte confirme le caractère de démocratie très indirecte des institutions européennes, il réaffirme des droits que nous avons déjà et ouvre même la porte à certains reculs comme sur le droit au travail. Suite à son élargissement et à l’extension des compétences européennes, l’Europe avait besoin de clarifier son projet et de revoir ses textes institutionnels. Elle n’avait pas besoin de ce mélange de bonnes intentions, de bureaucratie technique et de parti pris politique.

Mieux que le traité de Nice, certes mais si peu. Faut-il voter OUI à un projet de constitution qui entérine pour une longue durée les défauts de l’Europe actuelle ? Personnellement je voterai NON, mais comme Brel dans Vesoul... j’ai bien peur que, quelque soit le résultat du référendum, je continuerai une bonne partie de mon histoire personnelle sous la domination de l’ultralibéralisme. Plutôt du côté des « gagnants », je pense pouvoir m’adapter à cette société ou la concurrence prime sur la solidarité....mais je refuse, pour une fois que l’on me demande mon avis, de soutenir ce modèle. Croire que « la concurrence libre et non faussée » assaisonnée à la sauce sécuritaire, construira le bonheur des peuples est bien l’idéologie du moment.