Le Café Politique

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  Des malvoyants conduits par des aveugles

mercredi 16 février 2005, par François-Xavier Barandiaran

Aujourd’hui, 16 février 2005, est à marquer d’une pierre blanche, puisque c’est le jour de l’entrée en application de l’accord de Kyoto, qui impose aux pays signataires de réduire entre 2008 et 2012 l’émission de gaz à effet de serre de 5,2% par rapport au niveau de 1990. Protocole complexe et critiquable, mais voilà, enfin, après tant de palabres, un texte qui oriente le système économique vers une croissance qui tienne compte du climat et se soucie des risques de la destruction de l’environnement. L’objectif est de stopper l’augmentation du réchauffement climatique, soit de ne pas aggraver la situation. C’est, donc, bien peu : un accord minimal ! Et encore, comme il fallait qu’il soit ratifié, au moins, par des états représentant plus de 55% des émissions mondiales de gaz carbonique, il s’en est failli de peu pour qu’il n’entre pas en application. Heureusement la Russie vient d’adhérer in extremis, ce qui ramène le nombre de signataires à 141 pays. Mais, ce n’est pas le cas des USA,- qui consomment 25% de l’énergie mondiale-, ni de la Chine, qui, comme tout le monde le sait, est en train de devenir « l’atelier de la planète ». Donc, il n’y a pas de quoi pavoiser, quand on connaît, de surcroît, l’échec de la dernière conférence des Nations Unies qui s’est tenue à Buenos Aires, en décembre 2004, pour envisager que faire après 2012, c’est-à-dire, après Kyoto. Ainsi va le monde, et telle est notre myopie par rapport aux jours et aux catastrophes qui approchent !

Pourtant, une conviction se fait jour, aussi bien dans le monde scientifique que dans l’opinion des gens de la rue, comme vous et moi : la pollution se généralise, le réchauffement de la planète augmente et les ressources énergétiques diminuent (ce dernier point apparaît encore de façon moins évidente au citoyen moyen) :

• la pollution se généralise : l’air des villes devient irrespirable, les allergies respiratoires touchant les enfants en bas âge augmentent et on commence à quantifier le nombre de morts prématurées dues aux diverses pollutions ; dans certaines régions l’eau n’est plus consommable, et, de plus en plus, sa qualité diminue à cause des nitrates et des pesticides provenant d’une agriculture industrielle ; les forêts tropicales, poumon d’oxygénation pour la planète et garantie de la biodiversité, sont pillées ; etc..

• le réchauffement climatique, dû à l’effet de serre induit par les activités humaines et, en particulier, celles qui utilisent des combustibles d’origine fossile, n’est plus douteux. Or, dans les énergies consommées dans le monde, celles de cette nature représentent environ 80% : 35% pour le pétrole, 24% pour le charbon et 21% pour le gaz. Les 20% restants se répartissent ainsi : 13% pour les renouvelables et 7% pour le nucléaire. Evidemment, l’inégalité de consommation entre pays riches et pauvres est criante : par exemple, les USA, qui ne représentent que 5% de la population mondiale, consomment 25% de l’énergie totale ! Quand on sait que tous les pays sont appelés à se développer (voir le cas de la Chine avec 22% de la population mondiale), il est impensable de proposer le modèle actuel aux générations futures.

• L’épuisement des ressources naturelles, et notamment des hydrocarbures, est imminent. Je ne traiterai pas dans le cadre de ces quelques lignes les diverses modélisations, plus ou moins optimistes, mais qui annoncent, toutes, un grand choc pétrolier dû simplement à l’augmentation de la demande et à la raréfaction de l’offre.

Des cris d’alarme commencent à retentir, depuis les inuits du Canada qui voient fondre d’une année sur l’autre la calotte polaire jusqu’aux habitants des petits états micronésiens qui constatent que leurs terres sont de plus en plus envahies par les eaux. En France, ce ne sont, pour le moment, que des rumeurs d’inquiétude après la canicule de l’été 2003, l’augmentation des bronchiolites et autres maladies asthmatiques enfantines ou le nombre des cancers qui ont crû de 35% ces vingt dernières années à âge égal. Mais, force est de constater que le degrés de sensibilisation est loin d’atteindre celui concernant, par exemple, les risques du tabac. C’est que nos concitoyens sentent que soulever ces questions induit fatalement l’interrogation sur notre société de croissance et nos modes de vie assujettis à la quête sans fin du confort. Le Président Bush, en refusant de signer l’accord de Kyoto, a eu la franchise de déclarer que l’Amérique n’entendait pas freiner sa croissance économique, mais on peut et on doit généraliser cette problématique à l’ensemble de notre modèle économique : « tandis que les pays industrialisés craignent une remise en question de leur modèle de société, les nations industrielles émergentes refusent de voir entraver leurs projets de développement économique » (Le Monde Diplomatique, février 2004).

Dans cette course à l’inertie la France mérite une place particulière. Elle est parmi les plus mauvais élèves de l’Europe dans la mise en application du protocole de Kyoto. Rappelons que l’électricité y est produite à 78% par le nucléaire, 12% par l’hydraulique, 9,4% par les centrales thermiques à gaz ou charbon, et….seulement 0,6% par les énergies renouvelables ! Prenons la mesure du décalage et du retard de notre pays en rappelant ces deux constats : 1) En 2002, la production d’énergie photovoltaïque était de 17 mégawatts, contre 278 MW en Allemagne 2) Et la production d’énergie éolienne, de 150 MW en France, contre 12000 en Allemagne

Ajoutons à cela que la France s’est engagée à produire, d’ici à 2010, 21% d’énergies renouvelables : éolienne, solaire, biomasse, géothermie et hydraulique. La toute-puissance d’EDF et la place du nucléaire (cas unique dans le monde !) expliquent sans doute ces décalages. Mais, comment ne pas y associer l’apathie de l’opinion publique, le silence des médias et l’inaction de nos hommes politiques ? On ne peut que rester perplexe, quand on compare cette situation avec les déclarations de Jacques Chirac A la Conférence de Johannesburg : « la maison brûle et nous regardons ailleurs » ou celle de l’ancien ministre, Corinne Lepage, quand elle dénonce l’inaction des pouvoirs publics « qui met en péril nos vies » Après moult retards, le « plan climat » adopté au cours de l’été 2004 par le gouvernement Raffarin a accouché d’une souris, en renonçant à toute mesure contraignante (fiscale, limitation de vitesse…) pour la voiture et en ne fixant des normes que pour l’industrie. Le discours du président Chirac relève de l’incantation ou du double langage : alors qu’il définit l’objectif pour la France de diviser par quatre les émissions de gaz d’ici à 2050, ce qui revient à une diminution de 3% par an, la réalité actuelle est à peine de 0,15% .

Et la gauche, dans tout cela ? Il me serait agréable d’opposer un bilan positif et…courageux de la gauche quand elle était au pouvoir, mais à part quelques mesurettes induites par la présence des Verts au gouvernement, le résultat est plutôt maigre. D’ailleurs, depuis, même le parti des Verts paraît être devenu aphone sur ces questions !

Le temps presse, et il est inutile de se renvoyer la balle entre citoyens et hommes politiques. C’est par l’acquisition d’une culture nouvelle, d’un véritable changement dans nos modes de vie que nous apporterons une réponse aux problèmes climatiques, et de façon plus radicale à la transmission d’une Terre vivable pour les générations à venir. Cette culture nouvelle passe forcément par une sobriété dans la consommation d’énergie, par une renonciation à utiliser la voiture individuelle en ville, par une réduction de moitié de notre consommation d’électricité. Tout est à revoir : l’aménagement du territoire, les transports collectifs, l’urbanisme et l’habitat…

En attendant, nos congénères bipèdes sont sur le point d’oublier ce qu’est la marche à pied, achètent des voitures de plus en plus lourdes et puissantes, rêvent d’habiter loin des villes des maisons spacieuses surchauffées en hiver, climatisées en été, avec piscine….N’écoutant pas les quelques prophètes de malheur (scientifiques, écologistes, penseurs), nous avançons comme une multitude de malvoyants guidée par des politiques aveugles.

N.B. : les chiffres proviennent du Monde Diplomatique et du livre édité par ATTAC « Le développement a-t-il un avenir ? » Mille et une nuits.