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  La démocratie à Toulouse

vendredi 20 mai 2016, par François Saint Pierre

Vivre en démocratie dans une société complexe est encore aujourd’hui une utopie. Platon et Aristote estimaient que la démocratie ne pouvait se développer au-delà de 5040 citoyens, au-delà impossible de s’entendre même en parlant fort. Structurer un territoire d’un million de personnes pour que les habitants puissent participer, même a minima, au gouvernement de la cité est un enjeu difficile. En France, presque toutes les décisions importantes descendent d’en haut et la Métropole toulousaine n’échappe pas au modèle pyramidal dominant. Une autre vision est pourtant possible : celle d’une société en réseau avec davantage d’autonomie pour les citoyens et un rôle accru pour les "élites intermédiaires". Dans ce modèle, le partage de la responsabilité se fait sur le principe de l’implication du plus grand nombre d’acteurs possibles. Pour garantir l’équité entre les territoires et assurer la cohérence globale des décisions, il est cependant indispensable d’avoir des mécanismes d’harmonisation. Le temps "passé" en débat et en concertation sera largement compensé par une bonne optimisation des décisions.

La métropole comme territoire d’expérimentations

Les grandes métropoles représentent une part de plus en plus importante de la population totale, c’est l’endroit où les mutations économiques et sociales sont les plus rapides, dans un contexte où l’économie de marché structurellement inégalitaire favorise les mécanismes d’exclusion et de relégation. Les grands enjeux de la politique moderne comme la sécurité, la recherche, la santé, la pollution etc. passent par des métropoles dynamiques et apaisées. Le contrat politique traditionnel, basé sur la figure centrale de l’élu et sur celle d’un citoyen abstrait qui délègue ses pouvoirs, y est confronté à une forte volonté de participation citoyenne et à la demande croissante de reconnaissance du droit à la différence de la part de groupes sociaux multiples. La démocratie locale permet de développer le sentiment d’appartenance à la communauté, qui est un facteur d’harmonisation sociale. Ce point de vue n’est pas à opposer au rôle de la police et de la justice : ces deux institutions jouent un rôle de régulation sociale indispensable, mais leur usage"immodéré" pose à long terme plus de problèmes qu’il n’en résout. La participation est un facteur essentiel d’intégration par ces temps de désaffection démocratique car elle permet aux citoyens de prendre conscience des enjeux essentiels de la vie en société, même si sa fonction immédiate est d’améliorer les processus de prise de décision. "Les citoyens sont les plus à même d’établir des choix conformes à leurs attentes et à leurs préférences" John Stuart Mill.

L’intercommunalité, cerise sur le millefeuille administratif

Pour adapter les 36 000 communes françaises aux contraintes de gestion, les gouvernements successifs, ont opté pour l’intercommunalité plutôt que pour la fusion. Mutualisation des services et économies d’échelle permettent effectivement de réduire les budgets, mais les métropoles, patchwork de communes très dissemblables, ont une gouvernance très peu lisible par le grand public. Les dirigeants sont élus au suffrage indirect et sont en général hors de portée du citoyen moyen. Vu de l’extérieur, l’essentiel de l’énergie semble être utilisé dans des négociations entre les diverses instances du pouvoir (communes, département, région, services déconcentrés de l’État) plutôt que dans le fonctionnement de la démocratie locale. Ces structures intercommunales supplémentaires, comme les nouvelles grandes régions, ont pour but de s’adapter au schéma dominant de l’espace européen. Des régions puissantes identifiées par une capitale régionale et des villes moyennes satellites. Adaptation difficile, voire ubuesque, dans le cas toulousain. En effet la nouvelle région comprend deux métropoles et l’agglomération est partagée entre plusieurs intercommunalités avec des statuts différents, mais qui sont par ailleurs obligées de coopérer pour élaborer le Schéma de Cohérence Territoriale ou le Plan de Déplacement Urbain. L’expression "millefeuille" prend ici tout son sens , et cette complexité ne peut que freiner la participation des citoyens à l’élaboration des politiques publiques.

Comment re-injecter de la démocratie dans la Métropole ?

La loi, pour aider à "faire métropole", oblige les élus du Conseil communautaire à mettre en place un "Conseil de développement" ; ceux-ci doivent être obligatoirement consultés sur tous les grands documents de planification, mais sont également doté d’une capacité d’auto-saisine et d’une mission d’évaluation des politiques publiques. Le Conseil de développement dans l’esprit de la loi n’est ni un contrepouvoir, ni le think tank "société civile" constitué pour aider les élus à prendre des décisions. Les travaux de cette instance n’ont pas vocation à déboucher directement sur un aspect opérationnel, mais ils doivent nourrir le débat public et participer activement à l’élaboration de la volonté générale. Dans le cas de Toulouse Métropole une bonne centaine de bénévoles s’investissent dans cet outil démocratique, mais les moyens alloués pour son fonctionnement sont très insuffisants, deux à trois fois moins qu’à Bordeaux, Lille ou Nantes.

Les associations et les débats publics

Il existe à Toulouse comme dans toutes les grandes villes un tissu associatif conséquent, qui joue en cas de problème le rôle de contrepouvoir, capable de critiquer parfois avec beaucoup de pertinence et d’expertise les projets proposés. Les associations concernées par les projets urbains et les comités de quartier doivent légalement être consultées, mais l’usage qui est fait de ces consultations dépend beaucoup trop de la bonne volonté des élus. Accepter de répondre à quelques questions après un exposé parfaitement verrouillé améliore le niveau d’information, mais ne relève en rien de la participation aux processus d’élaboration des décisions. Les élus élaborent leurs projets avec les professionnels de la ville, mais ces derniers, malgré leurs compétences techniques, sont souvent dans un rapport de dépendance professionnelle ou économique. Si les élus rencontrent fréquemment les populations, ils acceptent trop rarement d’organiser des rencontres conjointes entre élus, professionnels et société civile, de peur de donner l’impression de faire passer en force leurs promesses électorales face à des professionnels réticents et des citoyens contestataires. La démocratie participative, pour être réelle, doit impérativement réunir simultanément ces trois composantes, et chacune dans sa propre diversité.

Les médias, Internet, les tiers-lieux, les cafés

La démocratie nécessite des possibilités multiples de se rencontrer et d’échanger. Dans ce domaine l’auto-organisation est en partie la règle, mais la puissance publique doit savoir accompagner l’émergence des nouvelles formes de rencontres, et ne pas mettre d’obstacles à tout ce qui permet de faire société. Les médias toulousains sont multiples et permettent largement la diffusion des informations, même s’ils ont encore une approche un peu trop régionaliste. De nombreux "cafés" permettent aux toulousains de débattre des enjeux de société, et en 2009, l’association Artilect a créé le premier FabLab de France. Bien d’autres exemples prouvent que l’envie d’échanger et de coopérer pour faire société est bien présente à Toulouse.

La rue, la place

Le droit de manifester est essentiel et le pouvoir institutionnel doit savoir tenir compte de cette forme d’expression citoyenne. L’histoire a maintes fois montré que la "rue" et la "place" avaient un rôle politique important. La place du Capitole n’a certainement pas fini d’être un lieu crucial pour l’expression de la volonté populaire des toulousains. Croire que l’on peut s’en remettre, pour décider de l’avenir de la France, à la seule légitimité du président de la République, des députés ou du maire est un contresens démocratique. Un système politique qui n’offre pas assez d’espaces de négociation et de co-élaboration de la décision publique prend le risque de devoir affronter une contestation violente.

Pour une démocratie qui ne soit pas que représentative, mais en continu

Pour rester conforme à l’esprit de l’article 2 de la Constitution "gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple", comme l’affirme avec force Dominique Rousseau dans son ouvrage "Radicaliser la démocratie" : il faut faire intervenir le peuple de manière continue, entre deux moments électoraux. Vu l’importance des enjeux, les grandes métropoles doivent favoriser le développement des procédures de concertation, cela a un coût en termes de temps et d’argent, mais faire vivre la démocratie dans toutes ses dimensions est un investissement rentable. Espérons que la métropole de Toulouse, qui pour l’instant ne brille pas particulièrement dans ce domaine, sera capable de devenir une ville exemplaire.