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  L’avenir incertain des grandes villes

dimanche 10 mai 2015, par François Saint Pierre

Les organisations sociales issues du monde vivant s’adaptent sans arrêt, comme l’explique la Reine Rouge à l’héroïne d’Alice au pays des merveilles, il faut courir pour rester sur place, l’immobilisme n’est pas toléré dans un monde en perpétuelle évolution. L’humanité, en dominant largement toutes les autres espèces, a fait jusqu’à présent la preuve de ses capacités adaptatives. La fin tragique des plus puissants dinosaures, montre que la domination du monde n’est pas quelque chose de définitif.

Comme l’analyse très bien Jared Diamond, dans son livre "Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie", plusieurs civilisations, après des périodes de gloire et de puissance, se sont effondrées, soit pour des raisons environnementales, soit par l’incapacité d’affronter des civilisations concurrentes. Notre civilisation qui a réussi à imposer ses valeurs et son modèle économique au monde entier, sera-t-elle capable de durer quelques millénaires ? L’humanité pour satisfaire aux besoins de la production de biens de consommation et grâce à l’efficacité de l’agriculture moderne s’est urbanisée. Au début du XVIIIème siècle il y avait environ 47 millions d’urbains, aujourd’hui on doit approcher les 4 milliards. Si ce phénomène continue en 2050 plus des deux tiers de l’humanité vivra dans des villes. Cette extrême urbanisation est peut-être le tendon d’Achille de notre modèle de développement.

Beaucoup d’explications sont avancées pour comprendre le succès des villes, notamment l’intérêt économique et les avantages culturels ou éducatifs. Les classes supérieures y trouvent le pouvoir et le luxe, la classe productive du travail et les pauvres des miettes pour survivre. Les villes, grâce aux énergies fossiles bon marché et aux capacités offertes par le développement technique pour construire et se déplacer, ont réussi à répondre à la demande. Croissance sans soucis, qui semblait répondre aux souhaits de toutes les sociétés du monde.

La viabilité des villes a déjà de nombreuses fois été mise en question. Des épidémies redoutables, des incendies gigantesques ou des destructions massives liées aux tremblements de terre ont toujours rappelé que les grandes cités n’étaient pas à l’abri des catastrophes. Le smog, qui a sévi pendant longtemps à Londres, a largement démontré que la concentration d’activités humaines mal maîtrisées pouvait produire des dégâts sanitaires. La ville siège de l’urbanité a aussi toujours été confrontée aux risques sociaux, garantir la sécurité aux quotidiens n’est pas rien et le risque d’émeutes n’est jamais très loin. Jusqu’à présent l’histoire a montré la capacité des hommes à surmonter ces problèmes, plus de 37 millions d’habitants arrivent à vivre dans Tokyo et une trentaine de mégapoles dépassent 10 millions.

Le mythe du progrès est toujours présent, le technologue Christophe Barge et le député Thierry Solère n’hésitent pas à écrire : "Transformées en métropoles intelligentes, nos vieilles villes sauront bientôt devancer nos besoins de consommation, anticiper donc fluidifier la circulation, fournir de l’énergie verte, des espaces de loisirs...." Pourtant quelques voyants, malgré la bonne volonté des politiques, sont depuis quelques temps passés à l’orange et la ville dite intelligente aura beaucoup de mal à les remettre au vert.

- La contre productivité économique induite par le temps perdu et le prix excessif de l’habitat.

- L’accentuation des inégalités économiques, considérées comme légitimes par l’idéologie néolibérale, mais qui attisent les tensions liées aux habituelles discriminations sociales.

- La pollution qui s’accumule lors des anticyclones sur les zones urbanisées. Si les mesures radicales comme les péages urbains ont sur le moment un effet positif très important, les taux de particules fines et de polluants repartent rapidement à la hausse avec l’augmentation de la population.

- L’hyper sensibilité des villes au changement climatique. Les villes côtières seront durement confrontées à la montée du niveau des eaux. La concentration urbaine sur des territoires étendus augmente très fortement l’amplitude du réchauffement climatique. Si la plupart du temps cela ne pose que des problèmes mineurs d’adaptation, en période caniculaire la problématique des îlots de chaleur devient cruciale.

Jusqu’en 2003 la dernière problématique était assez confidentielle. Quand après 7 hospitalisations provoquées par l’excès de chaleur les pompiers de Paris ont averti la Préfecture, les services du Ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy ont estimé qu’il était urgent d’attendre... La prise de conscience de la gravité de la situation a été bien trop tardive. Une fois la canicule passée, la principale solution proposée pour la suite a été d’intensifier l’usage de la climatisation, cela peut dans certains cas particulier se comprendre, mais ce n’est absolument pas une stratégie efficace à long terme. Depuis cette époque de nombreux travaux de recherche ont permis de mieux comprendre les mécanismes d’amplification de la hausse des températures et d’étudier l’inertie thermique des villes qui empêche le refroidissement nocturne.

Si dans une analyse coûts/bénéfices faite au niveau individuel, la grande ville n’est plus attirante, les classes supérieures peuvent l’abandonner. Cette situation, si elle se produit, ne manquera pas d’avoir des effets négatifs sur l’évolution des mégapoles qui pourraient rapidement devenir des lieux dignes de Mad Max. Dans les scénarios pour Toulouse, proposés dans l’étude "Acclimat" du Centre National de Recherches Météorologiques, un contexte de forte décroissance économique avait l’avantage de ralentir fortement le développement des îlots de chaleur. Ce scénario, qui devient de plus en plus plausible en raison des difficultés de l’économie mondiale à surmonter la crise amorcée en 2008, n’est pas idéal, loin de là. Les difficultés financières ne favorisent pas les initiatives en faveur de l’environnement. Vouloir des grandes villes en état relativement stationnaire, grâce à un maillage plus équilibré du territoire, demande une politique volontariste, notamment sur les capacités de déplacement qui n’est pas pour l’instant à l’agenda de la classe politique. L’exemple de la pollution aux particules fines, qui augmente très sensiblement la surmortalité, montre bien la difficulté de tenir compte de toutes les variables. Le bonus écologique ne prend en compte que le CO2 et paradoxalement favorise le diesel. L’argent public va fortement vers la voiture électrique, qui n’est pour l’instant qu’un marché de niche économiquement pas viable hors subventions et si localement l’électrique permet de diminuer la pollution, une analyse globale montre que l’ensemble de la filière ne corresponds pas aux objectifs environnementaux. De même une zone peu dense avec beaucoup de jardins privés est plus résiliente aux effets du réchauffement climatique qu’une zone dense. Pour autant si localement le premier modèle peut sembler très acceptable, une analyse globale montre que le bilan en termes de transports et donc de production de gaz à effets de serre est largement négatif, sans compter les effets induits sur le gaspillage des terres agricoles. Si on veut tenir compte non seulement du réchauffement climatique et de la pollution, mais aussi des déplacements et des contraintes d’aménagement du territoire, un urbanisme en grappe, qui permettrait dans le périurbain de séparer les zones d’habitat relativement denses par des zones naturelles et agricoles, semble un optimum.

Les documents d’urbanisme sont très souvent mal perçus car ils ne semblent pas avoir de liens entre l’intérêt privé et l’intérêt général. Le choix de l’habitat est un acte individuel qui doit s’inscrire dans une logique collective. Au-delà de sa responsabilité réglementaire la puissance publique doit être capable d’investir intelligemment pour que la ville soit viable dans le long terme. Elle doit aussi faire en sorte que la capacité de se loger correctement dans un quartier agréable ne soit pas un privilège des classes les plus aisées. Certaines problématiques pourtant clairement identifiés comme la rénovation thermique ou la place de la nature en ville avance bien trop lentement. Plutôt qu’une politique basée sur la "recommandation", envers les individus ou les collectivités locales, il faut chercher un équilibre entre l’imposition de normes et l’incitation économique. Tout en conservant les grandes fonctions d’urbanité, d’altérité et de diversité, une autre ville est possible, mais cela semble bien difficile au-delà du million d’habitants.

Si les élus doivent arbitrer entre les diverses orientations et mettre ces choix en œuvre, il est important qu’au préalable un travail scientifique et technique soit effectué. Le débat démocratique doit pouvoir s’appuyer sur des arguments rationnels. Pour faire vivre les controverses urbaines, il faut donner plus de place à la démocratie participative, le projet de ville ne doit pas exister uniquement en période électorale. Prendre les décisions qui s’imposent pour atténuer la production de gaz à effet de serre et définir une stratégie d’adaptation aux nouvelles contraintes est un enjeu majeur pour tous. Il existe des villes dans les pays chauds, donc il est possible de vivre dans des villes avec quelques degrés de plus, la question majeure est la rapidité de l’adaptation. Les mécanismes d’autorégulation, liées au marché du logement, doivent être accompagnés par une politique capable d’anticiper et d’intégrer des externalités qui ont un effet négatif sur la collectivité. Encore faut-il avoir conscience des enjeux et la volonté d’élaborer une stratégie efficace.