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  La gauche est-elle soluble dans le libéralisme ?

vendredi 14 novembre 2014, par François Saint Pierre

Paradoxalement François Hollande, présenté dans les médias comme l’homme du consensus incapable de prendre une décision, a proposé au Parti Socialiste de changer radicalement de cap. Ce parti depuis sa naissance a toujours été à la recherche d’un équilibre entre l’autorégulation de la société par le marché et la défense de la justice sociale par la puissance étatique. Confronté à l’affaiblissement structurel de l’État, lié à l’émergence de l’Europe et plus généralement à la force de la globalisation marchande, le Président de la République, en choisissant Manuel Valls comme premier ministre, a renoncé à la recherche de cet équilibre. Il abandonne la stratégie social-démocrate pour se rallier au libéralisme-social. Sa proposition revient à aligner la politique française sur le modèle des États-Unis qui petit à petit s’impose dans le monde entier, dans ce pays l’alternance politique proposée aux électeurs revient à choisir entre les libéraux conservateurs et les libéraux sociaux.

Le nombre de sujets sur lequel un citoyen peut avoir un avis est énorme et en général personne n’est d’accord avec toutes les orientations d’un quelconque parti, cela n’empêche pas la plupart des français de se retrouver globalement d’accord avec un parti et de lui faire confiance en votant pour ses candidats. Depuis la Révolution, pour situer les opinions politiques des citoyens, il est classique d’utiliser un axe gauche/droite. En France cette classification ne semble plus permettre de rendre compte de la multiplicité des tensions qui traversent notre société. La complexité de l’échiquier politique est mieux appréhendée en ajoutant à l’axe social/économie un axe sociétal.

Les espèces animales utilisent deux principes d’organisation, le premier est l’entraide (comme la plupart des mammifères) ce qui correspond à un principe d’égalité entre les individus et à des stratégies de coopération, le deuxième est l’échange (les insectes sociaux en sont l’archétype), cette solution entraîne une répartition des rôles et une forte hiérarchie entre les individus. L’espèce humaine a choisi d’utiliser les deux modes d’organisation. Le premier mode correspond à la défense des valeurs de solidarité, de fraternité et de justice sociale et à une organisation sociale souple. Le deuxième mode conduit à la compétitivité pour maximiser la quantité de biens à échanger, à la propriété privée et à une organisation sociale hiérarchisée en fonction des compétences des uns et des autres, c’est la vision libérale classique. Le socialisme, contrairement à certaines utopies communistes, a toujours cherché un équilibre entre ces deux modes de fonctionnement. François Hollande vient donc de proposer à son parti de rallier pleinement les thèses libérales en affirmant la domination de l’échange sur l’entraide, ce qui revient à renoncer à la régulation par le politique du système productif et donc à laisser beaucoup de liberté aux acteurs économiques.

Le deuxième axe a souvent été associé, en référence au premier, à la liberté individuelle. En fait cet axe agrège au moins deux composantes, le premier est la tension changement/conservatisme, le deuxième est la répartition spatiale de ceux dont on se sent solidaires. La solidarité peut être réservée beaucoup aux proches, un peu aux concitoyens et pas du tout au reste de l’humanité ou inversement elle peut décroître lentement en allant même jusqu’à se sentir solidaire de la nature. Ces deux composantes semblent suffisamment corrélées pour pouvoir les regrouper. Cela donne un axe politique qui va d’un conservatisme xénophobe et nationaliste vers un altermondialisme écologique et libertaire. Le positionnement des partis sur cet axe semble relativement stable, mais il n’est pas toujours conforme à la représentation gauche/droite classique qui n’est efficace que si les partis se placent à peu près sur la bissectrice des deux axes.

Le FN était initialement un parti libéral, du temps du capitalisme étatique cette position était cohérente avec ses tendances xénophobes, mais à l’heure de la globalisation marchande cette position n’est plus tenable. En accord avec sa critique de la mondialisation, le FN est devenu partisan d’un libéralisme local et s’est retrouvé en conflit avec les thèses néolibérales qui ont accompagné la mondialisation. Pour le FN les valeurs d’ordre et de sécurité liées à l’échange sont toujours là, mais il s’oppose fermement au libéralisme planétaire qui est en train de séduire le parti socialiste. En conséquence, les classes populaires qui sont les grandes perdantes du néo-libéralisme ambiant ne se reconnaissent plus dans les partis dits de gauche. Même le parti communiste après les nombreux compromis électoraux fait avec les libéraux ne leur semble plus crédible.

Au bilan nous avons en France trois pôles politiques qui ne sont plus représentables simplement sur un seul axe.

- Les conservateurs nationalistes étatiques qui sont partisans d’un libéralisme limité à la sphère locale ou nationale. Pour eux le politique doit contrôler les grandes entreprises et laisser prospérer les PME. Ils sont partisans d’un État fort qui garantit l’ordre et la sécurité (Essentiellement le FN)

- Le centre constitué des libéraux modérément conservateurs de l’UMP, des libéraux modernistes du Modem et de l’UDI et des libéraux sociaux du parti socialiste ou du parti radical. C’est ce groupe qui accepte la mondialisation libérale. Pour eux l’essentiel de la responsabilité étatique est de favoriser les échanges commerciaux, l’État doit garantir, par la force s’il le faut, le fonctionnement du système marchand mondialisé et pour la version sociale servir de roue de secours aux exclus du système économique. L’essentiel de la classe politique actuelle appartient à cette tendance qui domine aussi largement l’espace médiatique.

- Ceux pour lesquels le marché ne doit pas être l’algorithme dominant de l’économie et qui croient aux vertus de l’entraide et de la coopération. On y retrouve pèle mêle les écologistes, les altermondialistes, les gauchistes, les communistes et les anciens sociaux-démocrates un peu déboussolés par le revirement du PS. Si ce pôle peut se revendiquer comme étant la gauche, l’absence de cohérence idéologique leur empêche pour l’instant de jouer un rôle important. On pourrait rajouter à ce bloc une bonne partie de la jeunesse qui ne se reconnaît plus dans les partis en place et qui se contente de manifester plus ou moins pacifiquement son désaccord avec l’évolution de notre société.

Dans notre système électoral très peu proportionnel, la relative faiblesse du FN et l’éclatement idéologique du pôle de gauche ont permis de donner l’essentiel des responsabilités politiques aux libéraux qui occupent le centre de l’échiquier politique. Si la montée en puissance du FN se poursuit et si le renforcement du pôle de gauche par les transferts de militants venant du PS se confirme, la totale domination actuelle des libéraux pourrait être remise en cause et des nouvelles alliances stratégiques pourront reconfigurer le jeu politique. La solution la plus probable pour la France reste cependant, comme dans beaucoup de pays, la domination sans partage des libéraux avec une alternance régulière entre ceux qui sont plutôt sociaux et partisans de l’évolution des mœurs et ceux partisans d’un conservatisme étroit. Dans cette hypothèse le libéralisme n’aura pas dissous la gauche, mais aura réussi à la marginaliser.