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  La souveraineté nationale est-elle compatible avec l’Europe ?

samedi 10 mai 2014, par François Saint Pierre

Avec l’impulsion des philosophes de l’époque des Lumières, l’idée d’Europe a pris corps sous la forme d’un projet politique fondamentalement universaliste et cosmopolite. Après la révolution française, c’est la forme État nation qui s’est petit à petit imposée comme étant la plus adaptée à la vision moderne de la démocratie. Le peuple, comme support essentiel de la vie politique, est implicitement devenu l’ensemble des habitants du territoire national. Dans l’article 3 de la DDHC de 1789 on peut lire : " le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément". Dans une démocratie représentative idéale la souveraineté populaire ne s’exprime qu’à travers les élus en charge de la souveraineté nationale.

Ce schéma théorique ne correspond pas à la réalité, et le sentiment d’appartenance nationale ne coïncide pas toujours avec les frontières étatiques. Les multiples biais économiques ou médiatiques dans les processus électoraux rendent difficile l’identification des deux souverainetés : populaire et nationale. Des mécanismes d’éclatement ont souvent eu lieu au cours de l’histoire, l’Ukraine en est l’exemple le plus récent. Si de nombreux traités d’amitié ou de coopération sont signés, la tendance historique actuelle n’est pas à l’agrégation ou à la fusion des États. Le fédéralisme qui a eu ses heures de gloire (Suisse, Allemagne, États-Unis d’Amérique, Émirats arabes unis, Brésil, Argentine, Nigeria,...), ne semble pas avoir le vent en poupe malgré l’intérêt de constituer des ensembles politiques importants adaptés à la mondialisation.

Faute de la capacité à construire rapidement une Europe fédérale qui signerait clairement un abandon des diverses souverainetés nationales, le concept d’Europe des Nations a été proposé. L’idée serait d’ajouter une souveraineté européenne, notamment dans les grandes négociations internationales, sans rien enlever à la souveraineté des États membres. On pourrait, par exemple, ajouter un siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU sans supprimer celui de la France et de l’Angleterre. Vision évidemment assez naïve : en effet, si les décisions prises à Bruxelles s’imposent aux États membres, il y a objectivement transfert de souveraineté. La question de fond, au-delà de la querelle des mots, est la suivante : quelles souverainetés sommes-nous prêts à transférer à l’Union Européenne ? Cela induit évidemment quelques interrogations sur la démocratie européenne. Sommes-nous suffisamment solidaires des autres nations pour faire peuple commun ? Avons-nous construit à travers les divers traités un réel espace démocratique ?

Malgré les difficultés linguistiques qu’il ne faut pas sous-estimer, le sentiment d’appartenance à une entité commune a bien progressé. Les facilités de circulation et les grands projets d’échange, comme Erasmus, ont donné à la jeunesse le sentiment que l’Europe était un espace ouvert porteur d’avenir. Le flou sur les limites commence à s’estomper et le cosmopolitisme théorique du départ, qui donnait l’impression que l’Europe avait vocation à absorber le monde entier, s’est dissipé pour laisser la place à un pragmatisme raisonnable. Le peuple européen est encore embryonnaire, mais ce n’est plus une chimère abstraite.

Le système politique européen s’est construit sur la conviction que l’abandon de souveraineté ne serait pas accepté directement et qu’il fallait donc avancer avec une stratégie de "petits pas". En tant que zone de libre-échange encadrée par des normes commerciales assez strictes, l’Europe a gagné en efficacité économique. La Commission et le Parlement ne jouent qu’un rôle marginal de gestionnaire des affaires communes. Cela explique en bonne partie le désintérêt des français pour ces élections. La création de l’Europe a coïncidé avec la montée en puissance de l’illusion libérale qui consiste à croire que le commerce est la variable essentielle du comportement humain.

Jusqu’à la création de l’euro les pertes de souveraineté étaient limitées et nous étions dans la logique classique des traités internationaux. Avoir une monnaie unique demande une solidarité importante car des transferts importants sont nécessaires pour équilibrer les différences d’évolution économiques entre les différentes parties du territoire. Avec un budget d’environ 1% du PIB produit sur l’espace européen, les institutions européennes n’ont pas les moyens d’agir. L’Europe politique dans la logique libérale n’a pas été construite comme un espace de solidarité, mais comme un espace concurrentiel. La souveraineté nationale a été perdue, non pas au profit d’une institution supranationale, mais à l’avantage des grands lobbies financiers et économiques.

La question de départ a donc une réponse simple, oui on peut accepter de transférer de la souveraineté nationale à des instances supranationales, mais à condition de ne pas perdre de la souveraineté populaire. L’utopie européenne reste un beau projet qui va dans le sens de l’histoire, mais l’Europe que nous avons construite est en l’état un échec démocratique.