Le Café Politique

Parce que le citoyen doit penser pour être libre !
  • Article

  SCIENCE ET POLITIQUE

vendredi 4 octobre 2013, par Stuart Walker

Il me semble que l’esprit scientifique a toujours été marqué par un recours à la neutralité. Poussé à l’extrême cela a donné lieu à des énormités comme l’emploi de médecins pour conseiller l’appareil d’état sur l’optimisation des effets de la torture. De telles pratiques sont heureusement impensables dans nos démocraties occidentales aujourd’hui.

Il est cependant toujours vrai que le scientifique peut avoir un comportement plus ou moins social. D’un coté il peut participer à une mission qui tentera de détruire l’arsenal chimique d’un dictateur ; d’un autre il peut, à la solde d’un lobby agro-alimentaire, prêter son nom à un étude défendant innocuité des sodas.

L’humilité fait honneur aux chercheurs. On peut admirer l’honnêteté avec laquelle ils disent : "Plus on apprend, plus on se rend compte qu’on ne sait pas grand chose". Mais il ne faudrait pas que l’exaltation de la découverte masque le devoir de citoyenneté. Il y a des thématiques de notre temps ou une prise de position plus positive s’impose. Le progrès scientifique a atteint un tel point qu’il nous permettra bientôt de prolonger la vie presque indéfiniment, ou de fabriquer sur mesure des champions sportifs. Cela soulève des questions éthiques tellement inédites que si le scientifique ne se fait pas entendre, le monde politique ne bougera pas, et la société restera entre l’ignorance et l’indifférence.

Même sur des sujets ou il y a des quasi certitudes, comme le plomb dans le pétrole, le tabagisme, le sucre et le sel dans nos aliments, ou le réchauffement climatique, leurs conclusions mettent longtemps à être traduites dans les faits.

Ils ont peut être un déficit de communication. Les quelques présentations scientifiques auxquelles j’ai assisté, étaient assurées par un grand expert qui avait tendance à regarder dans ses notes, plutôt que les yeux de ses auditeurs. "Celui qui a des connaissances mais ne sait pas les exprimer, est comme celui qui n’en a pas". Dans les débats écologiques c’est souvent le contestataire qui emporte la mise, appuyé par son sens de communication acquis dans une école de commerce, et, sans doute, dans certains cas, par les intérêts financiers qu’il représente. Ce qui peut expliquer l’inversion de la courbe de crédibilité des conclusions du GIEC.

Combien de Français savent que les recettes fiscales sur le tabac sont de 12 milliards tandis que les couts des soins et des morts induits sont estimés à 45 milliards ? Le buraliste peut faire valoir la santé de ses clients qu’il côtoie tous les jours. Si un proche était victime de ses marchandises, et il se rendait quotidiennement à son chevet, il y a des chances qu’il changerait d’avis.

Nous avons le sentiment être confortablement protégés par l’éloignement des réalités les plus dramatiques. Un surcroit d’optimisme nous fait imaginer, comme l’on faisait pendant la "drôle de guerre" , que les choses "finiront par s’arranger". "Que m’importe quelques millions de réfugiés climatiques au Bangladesh ? J’ai d’autres préoccupations plus urgentes ici dans une France en crise". Mais les sorts des pays sont irréversiblement interdépendants aujourd’hui. Ce n’est pas la seule cause, mais le manque de perspectives alimente le terrorisme dans les pays pauvres. L’épuisement probable des gisements de phosphore, et donc des phosphates, n’est pas seulement un problème pour les autres. Il entrainera une augmentation mondiale des prix alimentaires.

Descoings avait raison de rapprocher les études scientifiques, économiques et politiques. A ce titre, ce serait dommageable si la loi en préparation sur les mandats empêchait à un médecin d’être Député.

Est-ce qu’il y a eu un plus éminent porte parole de la cause écologique que Al Gore, qui a été Vice Président des États Unis pendant 7 ans, et co-lauréat du Prix Nobel de la Paix en 2007 ? Son équivalent est loin d’avoir vu le jour en France. Nicolas Hulot, le plus charismatique de nos verts, était rejeté par le parti qui aurait logiquement dû l’accueillir comme candidat à la présidentielle.

Il existe peut-être quelques freins culturels au développement d’une démocratie participative au sens large en France :

- idée qu’ils sont "tous pourris", ce qui est assez grave, puisque, à son origine la politique était un art noble par lequel un élu se consacrait au bien publique. Le cynisme populaire ne sert qu’a ouvrir la porte aux extrémismes. Des mesures de moralisation s’imposent pour redorer l’image de ce métier et éviter l’incrustation qui a conduit à l’impasse qu’on voit actuellement aux USA. L’Abbé Pierre a été Député pendant 5 ans , mais n’en gardait, parait-il , pas un bon souvenir.

- la peur de se mouiller ; beaucoup d’associations gardent dans leurs statuts l’interdiction de parler politique. Une société ou les citoyens ne peuvent confronter leurs idées dans la sérénité avec ceux qui pensent différemment, afin de faire ressortir des solutions pragmatiques, a du chemin a faire. C’est peut être une force de la politique allemande de ne pas être polarisée, et une faiblesse de l’américaine de l’être

- le tabou de la délation, qui, nous dit-on, est un reliquat de l’occupation. Mais il faut comparer ce qui est comparable. Le régime n’est pas le même. Depuis Carter une série de lois aux États Unis encouragent activement la dénonciation, preuves à l’appui, des délits commis par un employer ou une administration. Le législateur a tenté de transformer un acte considéré comme déloyale en démarche citoyenne. Avec plus ou moins de succès, puisqu’il faut toujours beaucoup de courage pour mettre en péril son emploi et celui de ses collègues

Le scientifique est un citoyen comme un autre. Il me semble indispensable que ses points de vue, basés sur des faits empiriques, puissent s’afficher clairement , ne serait-ce pour faire contrepoids à la propagande médiatique véhiculée par les moyens dont disposent les grands groupes de pression industriels et financiers