Le Café Politique

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  Présidentielle 2012 : sans promesses ni propositions.

vendredi 16 mars 2012, par François Saint Pierre

L’élection présidentielle est un moment crucial de la vie démocratique française. La dernière réforme du quinquennat a diminué l’importance des législatives, dans la situation la plus probable d’une non « cohabitation », les citoyens sont mis en demeure de choisir pour 5 ans, l’essentiel des options politiques qui les concernent. Le suffrage universel a conduit à survaloriser la personne du Président au détriment du projet politique qu’il était censé incarner. Notre démocratie pousse à son paroxysme le paradoxe soulevé par Jean-Jacques Rousseau : le peuple utilise son pouvoir le temps de l’élection et accepte avec un minimum de contrôle d’avoir un « Louis XIV » en CDD de 5 ans.

A priori la probabilité d’être d’accord avec une autre personne sur tous les sujets politiques est infime, voter pour un candidat c’est donc accepter de faire des compromis. Si aucun candidat n’est jugé assez près de ses propres positions, le vote blanc est normal, de même si le système électoral conduit à une élection trop biaisée par le pouvoir en place l’abstention est totalement légitime. Le non choix ou le refus de choisir ont une signification et influencent la vie politique.

Cela étant posé on peut faire un survol rapide de la campagne actuelle sans faire l’analyse des promesses et propositions des candidats.

1) Analyser l’offre politique

Pour se repérer dans les choix politiques la plupart des citoyens utilisent l’axe gauche/droite. A gauche la liberté sociétale et le contrôle de l’économieà droite le contrôle social et la liberté économique. Depuis très longtemps cet axe est considéré par certains comme obsolète, mais il garde encore une bonne efficacité pour représenter simplement la classe politique, notamment pour les partis dits de gouvernement. Il faut quand même noter que certains débats sociétaux actuels ne sont pas très compréhensibles avec cette seule grille de lecture.

L’autre mode de représentation de l’offre politique consiste à choisir des axes structurants dans notre démocratie républicaine. (Cela rejoint l’approche par les valeurs)

- Le pouvoir du peuple

De quel peuple parle-t-on ? De qui sommes-nous solidaires ? De quel pouvoir parle-t-on ? Qui est dans le peuple...les français, les européens, l’humanité ? Cela revient à réfléchir à la hiérarchie des appartenances et donc à l’organisation du pouvoir. Nous avons des appartenances multiples : la famille, la commune, la nation, l’Europe, l’humanité, la nature. Chaque appartenance entraîne des responsabilités, mais entraîne aussi bien souvent des conflits d’intérêts. Si au niveau de la pensée l’universalisme transcende les frontières, dans la vie quotidienne les désirs concrets des communautés, petites ou grandes, se télescopent souvent.

- La liberté

Grand marqueur du positionnement politique pendant les années d’après guerre, la liberté semble être devenue une valeur consensuelle et ne plus faire débat, comme si la circulation des marchandises avait réglé la question. Pourtant il me semble impossible de comprendre les positionnements politiques sans y faire référence, car ce concept est lié à l’autonomie du sujet qui est un des fondements de la démocratie.

- L’égalité.

L’égalité théorique qui revient à l’égalité des droits est consensuelle, mais l’égalité réelle est une vraie difficulté. Beaucoup de questions sociétales comme les inégalités liées au sexe sont dans cette problématique. La tolérance aux inégalités renvoie, comme la bien montré Emmanuel Todd dans son travail sur les structures familiales, à des questions anthropologiques. S’il n’y a pas antinomie entre la liberté et l’égalité il y a cependant souvent tension entre les deux concepts.

- L’état de droit

Une communauté tient par son histoire commune, mais aussi par le respect du droit par tous, individu ou puissance publique. La conception du droit, la séparation des pouvoirs et la hiérarchie des normes, sont le produit de choix politiques qui s’inscrivent dans une histoire longue. La vision de l’autonomie des individus, de l’ordre, de la sécurité et plus généralement des droits fondamentaux conduisent à des choix politiques différents. Tous les partis républicains acceptent l’état de droit actuel, mais tous quand ils sont au pouvoir le font infléchir dan un sens ou dans l’autre. A droite on aime les structures hiérarchiques rigides, l’ordre et on veut une justice répressive, à gauche on préfère mettre en avant l’autonomie, le droit des minorités et la prévention.

- La fraternité

Concept ancien, qui fait lien entre le peuple et l’égalité. Si ce dernier élément de notre devise républicaine est oublié c’est parce que l’individualisme engendré par l’hyper-libéralisme consommatoire a distendu la conscience d’une nécessaire solidarité. A l’opposé de la charité chrétienne dont on retrouve la trace dans l’humanisme de droite, la fraternité est une valeur de gauche qui passe par la perception d’un destin commun.

- Le changement/Le conservatisme

Si pendant longtemps le rapport aux changements permettait de bien classifier l’échiquier politique entre conservateurs, réformistes et révolutionnaires, aujourd’hui cette approche semble bien dépassée car les nécessités de la crise nous obligent à nous adapter rapidement. Une pensée peut être radicale et se projeter dans un temps long, elle peut à l’envers être superficielle et vouloir se traduire par des évolutions immédiates. La transition de la droite conservatrice vers le libéralisme a favorisé l’abus de promesse de changement, la transition de la gauche de la gauche vers un modèle démocratique à fini par noyer la différence conceptuelle entre réformisme et révolution.

- L’axe nature-technoscience

Cet axe commence à émerger surtout dans les élections locales qui prennent en charge les aspects environnementaux et concrets du mode de vie. La définition du progrès, après ces années de survalorisation technoscientifique commence à se poser. La société de consommation, avec sa nécessité de produire toujours plus, n’est plus présentée comme la réussite ultime d’une bonne gouvernance. La perception de la finitude de la planète, dans un contexte de dégradation globale de l’environnement, commence à apparaître dans le discours politique, même si les difficultés économiques actuelles poussent les citoyens à reporter cette question à plus tard pour essayer de sauver l’emploi et les salaires qui vont avec.

Comment se positionner sur ces axes.

La situation sociale et économique de chacun conduit chaque citoyen à défendre ses intérêts légitimes. L’électorat de chaque candidat est en général plus ou moins typé sociologiquement, mais à part quelques exceptions la corrélation est relativement faible. On peut cependant noter la préférence des personnes âgées pour Nicolas Sarkozy ainsi que le surplus des intentions de votes en sa faveur des agriculteurs, des artisans et des commerçants et a contrario la nette préférence pour les candidats de gauche de toutes les autres catégories d’actifs.

Les convictions politiques ne passent donc pas totalement par l’appartenance à tel ou tel milieu social et elles se construisent aussi dans l’histoire singulière de chacun, notamment en famille que ça soit en adéquation ou en opposition avec les valeurs mises en avant dans le milieu familial.

Pour André Comte Sponville, dans la logique du Prince de Machiavel, morale et politique sont deux ordres différents. Je pense que c’est une approche simpliste. La morale arétaïque : "celle du type bien" peut se rencontrer dans tous les partis, mais c’est une version locale de la morale. Une réflexion éthique globale n’est pas indépendante de la question politique. Par exemple, le rôle de "La théorie de la justice" de John Rawls qui affirme que tant qu’il n’y a pas de perdants on ne peut pas reprocher aux riches de s’enrichir, a servi à légitimer moralement les excès de l’ultralibéralisme des années 80. Je pense comme Aristote que les choix politiques sont liés à la conception que l’on a du monde. Le positionnement politique n’est pas anodin et engage l’individu, même ceux qui se dédouanent de leur responsabilité par une mise à distance critique du monde politique.

2) Tour d’horizon des candidats

En premier son positionnement

En deuxième son électorat

En troisième l’adéquation du candidat avec les idées qu’il représente

Marine Le Pen

- La nation comme seul support du peuple, contre la mondialisation libérale, mais libéralisme en France. Solidarité réelle mais limitée aux nationaux d’où parfois la dérive xénophobe et l’ante-européanisme primaire.
- Les classes populaires, pas les personnes âgées et pas la région parisienne.
- Adéquation faible de la personne avec l’image machiste et provocante du parti.

Nicolas Sarkozy

- Libéral sur le plan économique, mais dans la tradition autoritaire. En désaccord pour des raisons tactiques avec les propos de ses amis capitalistes quand il attaque l’Europe libérale pour récupérer son électorat de 2007 et ne pas risquer de se faire doubler par Marine Le Pen.
- Les agriculteurs, les personnes âgées, les riches et les classes aisées (c’est l’électorat le plus typé)
- Depuis le Fouquet’s il y a dans son comportement une forte rupture avec la tradition de droite. Son autoritarisme plait, mais pas son bling-bling, ni son instabilité.

Jacques Cheminade

- Un ex gaulliste de gauche vaguement "complotiste". Des idées hétéroclites radicales
- Électorat mystérieux, mais qui doit être motivé.
- Un personnage marginal dont la présence parmi les candidats officiels est pour le moins surprenante.

Nicolas Dupont Aignan

- La nation mais sans l’excès xénophobe. Contre l’Europe.
- Les survivants du Gaullisme. Électorat épars.
- Des difficultés pour incarner l’idéal gaulliste du sauveur. L’union nationale derrière un grand homme ne semble plus d’actualité.

François Bayrou

- Libéral modéré un peu régulateur, européen tempéré pour des raisons stratégiques, mais aussi par son ancrage régional.
- Classes moyennes et supérieures et cultivées
- Bonne adéquation entre le personnage et le discours, mais sur un mode bien peu charismatique.

François Hollande

- Libéral régulateur. Un curseur qui se cherche, pas uniquement pour des raisons tactiques, mais pour des questions de cohérence. La social-démocratie va devoir être ferme pour ne pas se laisser déborder par les logiques économiques ultralibérales mises en place depuis quelques années.
- Électorat assez équilibré. A noter : le retour des classes populaires. Pas trop les agriculteurs, les artisans ou les commerçants et très peu les riches ou les classes les plus aisées.
- Un candidat "normal", donc robuste face à la pression médiatique de ses adversaires. En meilleure adéquation avec l’électorat traditionnel de gauche qu’avec les militants du parti socialiste.

Jean-Luc Mélenchon

- Solidarité et justice sociale avant tout, changement radical.
- Électorat très motivé et assez équilibré, comme celui de Hollande, en termes de catégories sociales.
- Flamboyant dans les médias... l’opposé de Bayrou. Les médias poussent à l’excès verbal, cela peut nuire à sa crédibilité sur le long terme, mais ce n’est pas pour l’instant le problème.

Eva Joly

- L’universalisme à l’état brut. Pose la question du progrès, du climat, de la société de consommation (axe nature/technoscience) et de la justice. Les solutions proposées sont de plus en plus antilibérales.
- Les jeunes et pas du tout les personnes âgées qui n’acceptent pas le changement radical de mode de vie proposée. Aucune reconnaissance dans le monde ouvrier qui ne voit aucune urgence dans les questions environnementales
- Décalée par rapport à notre tradition médiatico-politique. En très forte adéquation avec la partie la plus convaincue de l’électorat d’EELV, mais pas du tout avec les écologistes faiblement politisés qui auraient préféré le très médiatique Nicolas Hulot.

Philippe Poutou

- La solidarité sociale. Le changement à tout prix, par la lutte s’il le faut.
- Jeune et assez intellectuel.
- Bonne adéquation avec l’électorat, mais pas encore apprécié des médias qui aimaient beaucoup le postier Besancenot.

Nathalie Artaud

- La solidarité sociale. Le changement à tout prix, par la lutte s’il le faut.
- Électorat populaire.
- Bonne adéquation avec les militants, mais pas très apprécié par les médias qui regrettent le personnage théâtral d’Arlette Laguiller.

3) La campagne électorale

L’effet premier d’une campagne électorale est la consolidation des préférences politiques et non la conversion des opinions. Effet boule de neige ensuite...On fait voter la mamie qui est dans la maison de retraite si on est motivé. De nombreux facteurs interviennent :

- La mobilisation électorale. La clé de voute du succès. Cette mobilisation dépend de la cohérence du candidat et de l’adéquation avec son projet.

- Les médias. Ils veulent du spectacle et comme dans un combat de boxe ne veulent pas qu’un des deux candidats soit trop facilement battu ! La télé et la radio assurent l’essentiel du bruit médiatique, notamment en organisant de nombreux débats qui poussent les candidats à la surenchère. Les grands journaux avec leurs éditorialistes continuent à assurer la réflexion même si elle est souvent assez superficielle.

- Les sondages. Un sujet de débat à lui tout seul... une nouveauté dans cette campagne : l’impression que certains instituts font après chaque événement de campagne crédit de quelques point à Nicolas Sarkozy pour l’aider à amorcer une dynamique positive. Le droit accordé par la justice à garder secrète la cuisine des redressements et l’évocation des marges d’erreurs, laissent un boulevard à toutes les manipulations. Voir : Les sondages sont-ils crédibles ? http://lecafepolitique.free.fr/spip...

- Internet, facebook, twitter et le reste...Une importance grandissante voir : "L’opinion publique : élections, médias, buzz internet, réseaux sociaux". http://lecafepolitique.free.fr/spip...

- Campagnes d’affichage : quasi disparues

- Le renouveau des meetings, car ils servent de point d’appui aux médias. Villepinte, l’apothéose de la démocratie du spectacle.

- Quasi disparition des réunions publiques ouvertes et contradictoires, en général on se retrouve entre militants avec une ouverture aux sympathisants..

Le travail du politique : Se faire élire. Cela relève du marketing, il faut être propriétaire d’une ou plusieurs problématiques, la sécurité, l’immigration, l’écologie, la crise du logement, la rigueur économique... et les valoriser dans l’espace médiatique. Le vote est moins le résultat du civisme et de l’intérêt spontané des citoyens pour les enjeux électoraux, que le produit d’un travail politique des candidats et dirigeants. Cela implique des écuries présidentielles avec des communicants, de l’organisation, de l’argent, etc...On voit bien que la difficulté des petits candidats pour se faire entendre est une des limites de notre fonctionnement démocratique, qui n’est pas réglée par les règles complexes d’équité et d’égalité imposées par le CSA.

4) En conclusion : améliorer notre démocratie.

La démocratie est toujours imparfaite, mais la notre aurait besoin d’un sérieux coup de toilette. Certains points peuvent facilement évoluer (cumul et répétitions des mandats, prise en compte du vote blanc et d’une dose de proportionnelle, organisation des scrutins,...). Beaucoup de questions demandent cependant une réflexion de fond et un débat public :

- Faut-il un régime présidentiel ou parlementaire ?

- Quel est le bon usage des référendums ?

- Quel est le rôle des corps intermédiaires ?

- Comment favoriser la démocratie participative ?

Tout un ensemble de questions qui impose de repenser la loi électorale et de revoir notre constitution. L’esprit démocratique ne peut se résumer à l’aspect législatif et constitutionnel, il faut surtout des citoyens informés, lucides et actifs pour que le concept du pouvoir du peuple se traduise dans le réel.