Le Café Politique

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  " Notre maison brûle… "

vendredi 13 janvier 2012, par François-Xavier Barandiaran

Prononcée en septembre 2002, lors du sommet de la Terre à Johannesburg, par J. Chirac, cette phrase : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs…la Terre et l’Humanité sont en péril, et nous en sommes tous responsables » aura été sa plus grande contribution à la lutte contre le changement climatique, faute d’engagements concrets, par la suite, de la part de la France !

Elle est plus que jamais d’actualité, tellement la crise des dettes souveraines a fait passer au second plan tous les autres problèmes. Pourtant, un consensus s’est établi pour dire que la crise que nous subissons est systémique : financière, économique, sociale et écologique. Mais le social et l’écologie sont en train de passer à la trappe. L’Europe aurait dû défendre son système social – protection sociale, retraite généralisée, services sociaux de santé et tous les autres services publics – qui apparaissait comme un modèle à imiter par les pays émergeants et qui inspirait même nombre de penseurs de l’aire anglo-saxonne. C’est tout le contraire qui est en train de se produire devant nos yeux, où nous voyons la Commission Européenne, mandatée par nos chefs d’Etat, détricoter systématiquement ce système social. On dirait que, dans la guerre idéologique sans merci, le capitalisme veut en finir avec cette « anomalie » insupportable pour lui. Quant à l’écologie, elle semble avoir presque disparu des écrans radar de nos partis politiques et de la conscience des gens, et, par conséquent, des premières pages des médias… Pour preuve, le silence et le désintérêt dans lesquels s’est déroulée la Conférence de Durban, début décembre 2011.

L’obsession collective est encore et toujours la croissance – alors que, paradoxalement, les brutales cures d’austérité nous conduisent à une longue récession -, cette croissance qui est devenue une croyance, une nouvelle religion, autant pour les forces politiques de droite comme de gauche (à quelques rares exceptions près !), nouvelle panacée qui devrait résoudre tous nos maux ! Depuis la Renaissance, nous sommes bercés par l’illusion qu’une montée régulière, harmonieuse et sans fin vers la prospérité matérielle devrait être l’avenir de l’Humanité, tout au moins des pays riches. Le capitalisme, et son corollaire le productivisme, se sont emparé de la notion de progrès de l’homme prométhéen.

Le goût du confort et le mimétisme, dont les mécanismes personnels et sociaux ont été mis à nu par René Girard, ont fait le reste : chacun veut posséder les biens dont le voisin jouit déjà. Ainsi, par paliers successifs, depuis la haute bourgeoisie jusqu’aux petites classes des gens de peu, on s’est mis à rêver de possession et de confort. La société de consommation a envahi notre mental, et la quantité s’est substituée à la qualité. La mutation s’est opérée à une vélocité incroyable, puisque beaucoup d’entre nous se souviennent encore d’une époque où l’on pouvait construire sa vie sans voiture de forte cylindrée, sans piscine et sans voyages de vacances à l’autre bout du monde !

Ce mode de vie s’est, aujourd’hui, standardisé et est apparu comme une sorte de modèle exportable à tous les pays qu’on appelle émergeants, parce que leur développement économique les fait sortir du Tiers Monde et les met sur les rails du mirage du mode de vie « à l’occidentale ». C’est stupéfiant de constater que les courbes de consommation de produits de beauté, de viande ou de produits laitiers, pour ne citer que ces exemples, suivent celles du décollage économique. En 2010, pour prendre comme exemple la voiture, symbole du confort moderne, 13,7 millions de véhicules ont été immatriculés en Chine (en augmentation constante annuelle de plus de 10 %), contre 11,6 aux USA, où circulent 240 millions. A ce rythme la Chine (78 millions) ne tardera pas à dépasser l’Amérique ! Pour mémoire, cette même année la valeur d’un milliard de voitures a été dépassée dans le monde. Imagine-t-on les résultats sur l’empreinte écologique le jour proche où les trois milliards de chinois, d’indiens, de brésiliens…voudront rouler en voiture ? D’ailleurs, la Chine vient de détrôner les USA de la première place des pays consommateurs d’énergie et producteurs de CO2, alors qu’en 2000 les américains consommaient deux fois plus d’énergie que les chinois ! De telle sorte que les importations massives chinoises de matières premières, sans se soucier de l’impact écologique, rappellent le comportement des pays industrialisés tout au long du XXe siècle. Bientôt, ce sera l’Inde, le Brésil…. Il s’en suit, évidemment, que les énergies fossiles s’épuisent, et vont devenir de plus en plus chères, parce que la demande augmente et que bientôt, - si ce n’est déjà le cas, les spécialistes ne sont pas tous d’accord –elle sera supérieure à l’offre, le fameux « peak oil »

La réaction de l’homme de la rue paraît être celle de la fuite en avant du reflexe scientiste : l’humanité a su par le passé s’adapter, donc…ou alors on invoque une mythique « croissance verte » : la voiture électrique, l’hydrogène et la pile à combustion, le stockage du carbone…quand ce n’est pas l’énergie nucléaire.

C’est ainsi que, malgré l’activité exemplaire des militants écologistes, encartés ou membres d’ONG, la prise de conscience avance si lentement et que les rencontres mondiales sont suivies de si peu d’effet. On peut en retracer à grands pas quelques étapes, parmi d’autres possibles : En 1979 le philosophe allemand Hans Jonas écrit « Le principe responsabilité », où il définit que la responsabilité de l’Homme, en cette deuxième moitié du vingtième siècle, compte tenu de l’immense pouvoir que met entre ses mains la technoscience, est de ne rien entreprendre qui puisse nuire aux générations futures. Certains y voient le fondement du principe de précaution.

Une décennie plus tard, en 1988, les Nations Unies créent le GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), qui, à ce jour, a publié quatre rapports qui confirment, avec de plus en plus de certitude - supérieure à 90 % -, que l’élévation de la température moyenne de la planète est due à l’augmentation des gaz à effet de serre (GES) anthropiques, créés par les activités humaines.

Le Forum mondial de RIO, en 1992, impose les enjeux écologiques et le « développement durable » comme un horizon inéluctable : les participants ont pris conscience que notre planète est limitée, que l’énergie que nous consommons n’est pas infinie et qu’il vaut mieux promouvoir l’idéal d’une sobriété voulue à la place du consumérisme. En somme, que nous devons envisager autrement l’avenir que nous préparons pour nos enfants et nos petits-enfants. Le défi est planétaire : la pollution, le changement climatique, l’exploitation exponentielle des ressources de la Terre ne connaissent pas de frontière. C’est bien pour cela que c’est l’ONU qui pilote les opérations qui aboutissent aux accords de Kyoto.

Promu essentiellement par l’Union Européenne, le Protocole de Kyoto est signé par 132 pays en 1997, mais n’entre en application, au niveau mondial, qu’en novembre 2005, et seulement un nombre réduit de pays, dont les pays européens, acceptent des objectifs contraignants. Le but, c’est de ne pas dépasser de 2° la température du globe, en diminuant les émissions de GES de 5% en moyenne par rapport au niveau de 1990 ; les pays en développement n’étant pas concernés par cette obligation de diminution et les plus grands pollueurs, comme les USA et la Chine, ne voulant signer aucun engagement contraignant, il est évident que ce premier accord mondial, pour important qu’il apparaisse, ne pouvait produire que des effets infiniment modestes. Ce que constatait un article du Monde Diplomatique de janvier 2005 : « On est encore loin d’une conscience partagée des périls proches : de la pénurie d’énergie aux bouleversements du climat ».

7 ans après, aujourd’hui, on peut faire un constat encore plus désolant si l’on en juge par ce qui s’est passé, début décembre 2011, à la Conférence de Durban. Comme l’accord de Kyoto doit arriver à expiration fin 2012, pour préparer la suite, l’ONU avait réuni des conférences de travail à Copenhague (2009) et Cancun (2010), qui s’étaient soldées par des échecs. La dernière, celle de Durban, était censée surmonter les difficultés et ouvrir sur l’avenir après 2012. Dans la dure et lente marche vers les objectifs de Kyoto, à savoir réduire l’émission mondiale de GES de 50 % avant 2050, Durban aura été une nouvelle étape très décevante. Le seul acquis des 194 pays qui y ont participé a été de ne pas casser la logique du Protocole de Kyoto en le prolongeant jusqu’en 2017, tout en se fixant une feuille de route pour les discussions à venir jusqu’en 2015. L’Union Européenne, toujours en tête, a réussi à réunir autour d’elle les petits pays et à faire accepter par tous les autres des négociations qui définiraient les règles contraignantes, règles qui ne seraient appliquées qu’en 2020. Ouf ! Cet accord minimal, obtenu à l’arrachée au bout de 36 heures de prolongation, a permis à certains de ne pas parler d’échec total ! Voilà encore 10 ans de perdus, alors que les documents préparatoires du prochain accord du GIEC annoncé pour 2014 pronostiquent une augmentation de la température mondiale de 3° à 4°. On a perdu trop de temps pour continuer à croire à l’objectif initial de contention à 2°. L’échec de Durban était tout à fait prévisible. Depuis Copenhague nous avons assisté à une puissante campagne de dé-crédibilisation des travaux du GIEC, les gouvernements européens sont absorbés par la recherche d’une soi-disant gouvernance budgétaire, les citoyens sont tétanisés par les conséquences de la crise et les partis politiques poursuivent leurs discours incantatoires sur le retour de la croissance. Aux EE.UU la bataille idéologique est sans merci : on n’a pas oublié les déclarations des Bush, père et fils, disant que la prospérité de l’économie américaine n’était pas négociable. Dans la précampagne actuelle, des milliers de savants ( ?) américains, financés par des industriels et soutenus par le parti républicain, ont envoyé une lettre à Obama parlant de « chimère du réchauffement climatique » et le mettant en garde contre les pertes de l’économie américaine s’il engageait le pays dans la voie de Kyoto. Quant au Premier Ministre du Canada, qui vient de retirer son pays des négociations de l’ONU, il a été encore plus brutal : « Kyoto est essentiellement, a-t-il dit, un complot socialiste qui vise à soutirer des fonds aux pays riches » Il est vrai que le Canada ne veut pas renoncer à la nouvelle manne du pétrole extrait des sables bitumineux !

Mais nous, en France, nous avons aussi nos écolo-sceptiques, à commencer par notre président qui, après avoir donné le change autour des accords du Grenelle de l’environnement, finit par lâcher au salon de l’agriculture : « L’environnement, ça commence à bien faire ! ». Sans oublier des savants, comme Allègre, et des philosophes, comme Ferry et Bruckner, qui brocardent, en faisant appel à des élucubrations philosophiques et même théologiques, un écologisme imaginaire qui, sous prétexte de sauver la Terre, tomberait dans le masochisme antihumaniste ou dans un millénarisme à l’envers annonçant la fin du monde. Si l’on croit à l’intelligence de l’homme, on peut toujours espérer qu’il dépassera sa myopie écologique et sera capable de renoncer à sa boulimie de consommation. De passer de l’ardeur à posséder à l’envie de s’épanouir individuellement et collectivement. « Contre l’hégémonie de la quantité, du calcul, de l’avoir, nous devons promouvoir une vaste politique de qualité de la vie, c’est-à-dire, du bien-vivre » (Le chemin de l’espérance, Fayard, S.Hessel et E.Morin, page 27)

La campagne électorale s’ouvre, période idéale pour débattre des choix de société et de nouveaux modes de vie dont nous avons besoin. Ainsi que des projets politiques qui encourageraient les citoyens à économiser l’énergie et à une utilisation beaucoup plus rationnelle des ressources naturelles. Nous jugerons les programmes des candidats à l’aune des objectifs sociaux et écologiques qu’ils proposeront : maintien des services publics, répartition beaucoup plus juste des richesses produites, accélération du "Protocole de Kyoto", abandon progressif des énergies carbonées, promotion solidaire des biens publics mondiaux… Pour finir, une pensée pour les états insulaires et pour les peuples de certaines régions de la Planète. Si pour nous le changement climatique est, pour le moment, anecdotique (des chaleurs estivales en avril et des plages pleines de baigneurs en octobre 2011, année la plus chaude jamais enregistrée en France), il est agonistique pour les peuples nomades de la bande sahélienne, comme on pouvait l’entendre, lors du dernier Ushuaia Nature, de la bouche d’une jeune femme peule : « Nous –peuples nomades-, nous sommes déjà dans le tunnel de la mort »