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  L’organisation actuelle des marchés financiers est-elle compatible avec la démocratie ?

vendredi 25 novembre 2011, par François Saint Pierre

La réponse est évidemment non, mais la question mérite une analyse sérieuse, en effet ce sont des États dits démocratiques qui ont participé plus ou moins naïvement à la construction de la finance mondialisée actuelle. Les peuples assistent impuissants au "Triomphe de la cupidité" (cf. Joseph Stiglitz), véritable succès généralisé de la chrématistique (art de faire de l’argent sans lien avec l’intérêt économique) que dénonçait il y a déjà 2500 ans Aristote. L’Europe que l’on prenait pour une grande puissance économique se découvre incapable de lutter contre les stratégies spéculatives des marchés financiers.

Les traités européens successifs ont construit une zone de libre échange sans pouvoirs politiques et économiques. Les États les plus faibles sont devenus des proies faciles, tous les mécanismes d’entre aide possibles ayant été soigneusement éliminés pour des raisons idéologiques. Faiblesse certaine de l’Europe, mais de manière plus générale, l’incapacité de Barak Obama à mettre en œuvre sa volonté de réguler la finance montre que le système financier mondial n’est plus sous le contrôle des gouvernements. Dans le cadre actuel de la finance mondialisée, l’hypothèse de l’efficience des marchés, fondement même de l’idéologie libérale est fausse. Les marchés financiers ne sont plus un élément régulateur de l’activité économique mais, comme une tumeur cancéreuse, une excroissance autonome qui poursuit sa logique d’accumulation.

Les États modernes se sont construits sur un partage complexe, mais assez équilibré, entre public et privé. La sphère publique, gérée par la délibération collective et les élections diverses, a en charge l’intérêt général, notamment à travers la responsabilité des institutions et des biens collectifs. La sphère privée laisse plus de place à l’autonomie des individus, même si ces derniers sont obligés de respecter un cadre légal et doivent aussi participer au financement de la sphère publique. La loi de l’offre et la demande est dans cette sphère concurrentielle un élément régulateur, qui permet d’orienter l’économie et de favoriser le dynamisme entrepreneurial. Le débat politique classique revient souvent à déplacer le curseur entre ces deux sphères et à augmenter ou diminuer la force des lois qui régulent le comportement des agents. La droite préfère traditionnellement réduire l’assise de la sphère publique, diminuer les lois régulatrices du côté de l’économie et les augmenter du côté du contrôle social des individus. Les sociaux démocrates sont modérément à l’inverse et les partis plus à gauche sont toujours dans la même logique, mais bien plus radicaux. Le marché est un concept abstrait qui est une métaphore du marché traditionnel. Sur le marché du village Il est plus facile de vendre des bons produits pas chers que des mauvais hors de prix. Pour que la loi de l’offre et de la demande fonctionne correctement cela suppose une information honnête et correcte et des acteurs rationnels. Dans les marchés traditionnels ce n’est pas toujours totalement le cas, mais dans l’ensemble sur un marché local bien organisé on peut estimer que la main invisible est bien positive. Les marchés nationaux importants sont souvent bien plus biaisés, certains marchés comme celui des médicaments n’ont plus grand chose à voir avec le modèle libéral théorique.

Depuis les années 70/80 la finance s’est mondialisée et cela dans une période où dominait l’idéologie de la dérégulation. Le lien entre les produits financiers et l’économie réelle s’est énormément distendu. Nous sommes bien loin du capitalisme traditionnel qui permettait aux actionnaires d’investir dans une entreprise industrielle. Même si l’information sur la bonne ou mauvaise santé de l’entreprise n’était pas parfaite l’actionnaire connaissait un peu la tendance et prenait ses décisions sur une vision à moyen ou long terme. L’actionnaire moderne a la capacité de déplacer très rapidement ses investissements, "l’algotrading" peut fonctionner à la nanoseconde, cela lui permet de prélever un peu de bénéfice sur toutes les petites variations qui font le quotidien des bourses mondiales. Le spéculateur moderne peut donc gagner beaucoup même si la tendance est négative. C’est le manque d’information sur le réel de l’économie qu’il y a derrière l’argent placé, qui le conduit à s’appuyer pour prendre ses décisions sur le comportement des autres acteurs et sur l’automaticité des procédures algorithmiques. La rationalité du spéculateur moderne peut se résumer à l’application du schéma classique du mouton de panurge. Cela conduit a des phénomènes d’amplification plutôt que de régulation. Pire, la santé de l’économie dépend de plus en plus de l’opinion des marchés, l’économie réelle n’est plus l’information principale, l’opinion des spéculateurs compte plus que la bonne gestion des entreprises ! A quoi bon se soucier d’avoir une information sur l’économie réelle si l’’essentiel de l’information pertinente sur l’avenir des cours est dans l’opinion des spéculateurs. A terme la déconnexion entre l’économie réelle et les marchés financiers peut rendre "l’hypothèse d’efficience des marchés" totalement obsolète, ils ne seront plus là comme élément d’évaluation des actifs mais uniquement comme instrument d’enrichissement des financiers.

Les politiques se sont empressés de critiquer les agences de notations, qui font paraît-il la pluie et le beau temps. Une analyse fine montre que même les agences de notation sont incapables de faire le lien entre la finance et économie réelle. La note suit l’évaluation des marchés, mais ne la précède pas. L’exemple de l’accroissement des taux d’intérêt pour la dette française, alors que le triple A est toujours là, le démontre clairement. Fitch, Standard and Poor’s et Moody’s ne font qu’acter la prédominance des financiers sur les politiques et sur le reste du système économique. Reconstruire un système financier au service du développement économique ne semble pas impossible, pourtant l’inertie de l’idéologie ultralibérale est telle que l’opinion publique mondiale ne semble pas décidée à basculer. Nombre de leaders d’opinion (politiques, médiatiques, économiques), attribuent encore les succès économiques du vingtième siècle aux vertus du libéralisme en confondant sans sourciller industrialisation et financiarisation. Même les sociaux démocrates lorsqu’ils ont été au pouvoir ne sont pas revenus en arrière sur les décisions politiques qui ont ouvert un boulevard aux financiers. Par exemple la décision d’interdire au trésor public d’emprunter directement avec un taux zéro à la banque de France, prise en 1973 par le ministre des finances Valéry Giscard d’Estaing, n’a jamais été remise en cause. Décision reprise sous une forme plus radicale pour toute l’Europe dans le traité de Maastricht. C’est le même VGE qui a été l’artisan principal d’un projet constitutionnel pour l’Europe d’inspiration totalement ultralibérale. Projet accepté sans états d’âme par la plupart des sociaux démocrates européens, qui n’avaient pas compris que l’absence de tout contrôle politique sur la finance était en contradiction avec leurs fondamentaux idéologiques.

Continuer comme avant, pressurer un peu plus les classes moyennes et espérer un miracle du côté de la croissance est la stratégie qui semble pour l’instant se dégager en Europe, malgré la contradiction flagrante entre austérité et croissance.

Faire beaucoup plus participer les riches à l’effort collectif heurte les convictions de la droite, mais est une urgence indiscutable. Ensuite il faudra redonner un peu de force à l’Europe en mettant dans les futurs traités plus de solidarité et une bonne dose d’harmonisation fiscale et économique. La mise au pas de la finance passe ensuite par une gouvernance mondiale qui est pour l’instant totalement anémique, chaque État faisant semblant de croire que son action locale est suffisante pour régler les problèmes. La finance dans sa composante mondialisée mérite une gouvernance démocratique.

L’aspect le plus délicat est celui de la croissance, moteur de notre société de production/consommation. Si on peut parler de crise lorsqu’on parle de la finance, du côté de l’essoufflement de la croissance dans le monde occidental le terme de mutation semble plus approprié. Depuis quelques années la croissance a été maintenue grâce à la dette privée et plus récemment grâce à la dette publique. L’épuisement des sources d’énergie bon marché, les contraintes climatiques et environnementales, bref la finitude de la planète, font que le modèle de croissance exponentielle arrive à son terme. La croissance ce n’était pas le capitalisme, mais l’ingéniosité qu’ont mis les hommes à utiliser des ressources abondantes, sans trop se préoccuper des conséquences environnementales. Peut-être que la science nous permettra de trouver de quoi relancer la machine économique, pour ma part je compte sur elle pour accompagner avec intelligence une sobriété nécessaire.