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  Droite décomplexée ou droite qui a perdu ses valeurs ?

vendredi 1er octobre 2010, par François Saint Pierre

Depuis que le 11 septembre 1789 les députés favorables au maintien du droit de véto pour le roi se sont assis à la droite du Président de l’assemblée, la représentation de la politique sur un axe gauche droite a bien prospéré. Conception évidemment relative et dynamique, la droite se définissant en opposition à la gauche (et vice versa). Suivant les pays et les moments historiques l’opposition gauche/droite peut donc prendre des tournures très différentes. Le refus ou l’acceptation de la République ne sert plus depuis bien longtemps à structurer l’espace politique français, et le libéralisme, qui à sa naissance était classé à gauche, a fini par être dans le panier idéologique des partis de droite.

Pour autant, au-delà de ce relativisme, on peut repérer dans l’articulation gauche/droite une grande stabilité dans les valeurs de référence pour chaque camp. Cela se traduit, hormis chez les partis extrémistes, plus par une mise en avant de certaines valeurs que par le refus des valeurs des adversaires. Ces valeurs et ces principes, qui découlent d’une vision ontologique du monde, sont clairement perceptibles dans les programmes et les discours politiques, même s’ils ne sont pas toujours explicités. Pour la droite actuelle on peut facilement repérer deux grandes références distinctes. D’un côté l’aspect conservateur avec la nation, la famille, le travail, le mérite, la patrie, l’ordre, la sécurité, la hiérarchie, la stabilité, la responsabilité individuelle, le respect des règles morales. Les slogans de cette droite sont : pas de droits sans devoirs, pas de liberté sans responsabilité, pas de faute sans punition, pas d’enseignement sans discipline, etc...De l’autre une version plus moderne qui s’appuie sur le libéralisme économique et qui invoque plutôt le pragmatisme, le réalisme, l’efficacité, l’adaptation, la performance. Il est clair que dans la droite morale et conservatrice l’appartenance à la communauté nationale est importante et impose une réelle solidarité, avec notamment la protection des plus pauvres, conformément à la grande tradition de la charité que l’on trouve dans les cultures monothéistes. A contrario la droite libérale et pragmatique a fortement affaibli l’importance de la nation, pour elle ce qui compte c’est le marché mondialisé et le droit du consommateur à profiter des biens produits par le système économique. L’alliance entre les deux composantes exige quelques contorsions du style "le changement dans la continuité" ou comment faire de la rupture en gardant les mêmes équipes. Le compromis entre des deux droites donne en théorie une société bien structurée avec un fort contrôle sociétal dans une nation assez repliée sur elle-même, mais avec une économie libérale et ouverte au monde entier, qui permet à chacun par son travail et son mérite de faire fortune, dans la mesure où il respecte les règles. Modèle dont le pendant de gauche est une société qui garantit une grande autonomie sociétale et qui met en avant la responsabilité collective pour améliorer les conditions de vie de tous.

En 2007 Nicolas Sarkozy soutenu par l’UMP avait réussi à présenter une image cohérente de la droite. Sa volonté de décomplexer la droite semblait signifier simplement que la vieille tendance issue de la tradition catholique, qui impose un peu de discrétion sur la richesse, allait être mise au rencart. Cela allait de pair avec le discrédit ambiant de la valeur égalité, que beaucoup ont d’ailleurs remplacé par le concept élastique et mal défini d’équité, et avec la bonne conscience libérale, qui s’appuie sur la théorie de la justice de John Rawls, pour laquelle une société est juste si elle accroît les richesses sans pénaliser personne.

L’incapacité de Nicolas Sarkozy à occuper dignement la fonction de Président de la République et ses liens excessifs avec le monde de l’argent a, dès son élection, troublé la majorité des Français. En signe de rupture avec le président précédent, le gouvernement a fortement défendu les intérêts des riches. Ces derniers, considérés comme moteur de la croissance et du développement économique, sont censés permettre aux plus pauvres de mieux vivre. La crise économique et le décrochage de la partie la plus fragile des classes moyennes a rendu cette position totalement aberrante. En période de croissance l’augmentation des inégalités peut être momentanément acceptable, à condition que dans le même temps les plus pauvres améliorent, même de manière marginale, leur condition de vie. Que cela soit d’un point de vue rawlsien ou du point de vue de la morale classique, il est par contre inadmissible que les plus riches soient protégés par le bouclier fiscal des efforts nécessaires pour surmonter la crise actuelle. Même si la droite défend la responsabilité de chacun par rapport à son mode de vie, elle doit, pour rester conforme à ses valeurs, garantir une forte solidarité avec les plus défavorisés et ne pas demander plus aux classes moyennes qu’aux riches !

Histoire de masquer cette très forte contradiction interne le gouvernement a essayé de resserrer les rangs de son électorat potentiel en sortant la carte de la sécurité. Mise en avant du privilège d’être français, expulsions de ceux qui ne sont pas dans la légalité, invocation du risque islamique, etc. Apparemment de quoi rassurer une population inquiète qui a souvent vu dans l’immigré un concurrent, qui pouvait non seulement lui prendre son travail, mais aussi déstabiliser son mode de vie traditionnel. Las pour le pouvoir, si la droite morale est conservatrice et si elle survalorise la nation elle n’est pas pour autant prête à oublier le respect dû aux personnes. Si une partie de la droite est prête à ne pas faire attention aux ambiguïtés racistes, il existe aussi un fort courant qui refuse toute xénophobie. Les démocrates chrétiens (François Bayrou), les gaullistes (De Villepin, Dupont Aignan) ou encore les chrétiens sociaux (MC Boutin) n’ont pas admis les excès commis par le gouvernement. De même les réactions très sévères de la commission européenne mais aussi d’une bonne partie de la presse internationale ne sont pas inspirées par une idéologie de gauche.

Les affaires multiples qui font régulièrement l’actualité ont non seulement montré la proximité du pouvoir avec les riches, mais ont aussi démontré la faiblesse morale de nos dirigeants. Certes il ne faut pas identifier morale et politique, mais on peut cependant penser qu’un minimum de vertu républicaine est indispensable à tout dirigeant politique. Le conflit d’intérêt au lieu d’être l’exception est la norme et les avantages directs ou indirects que procure le pouvoir sont devenus exorbitants. A partir du moment où ces pratiques débordent dans le champ médiatique, la droite morale et conservatrice ne peut accepter cela. De son côté la droite libérale accepte très bien la richesse, mais fortement inspirée par la tradition protestante elle prône un respect scrupuleux du droit et de la morale. Sur ce point il ne s’agit pas de pointer une contradiction interne à la droite mais de montrer que la droite dans son ensemble ne peut se reconnaître dans cette version affairiste du pouvoir.

Si la droite européenne a globalement d’un point de vue électoral le vent en poupe, force est de constater que la droite française est en porte à faux avec l’équipe dirigeante au pouvoir. Jusqu’où, au nom de l’efficacité électorale, peut-elle soutenir une équipe qui est autant en contradiction avec les valeurs qui normalement la structurent ? Cela est d’autant plus problématique que sur le fond le bilan, en termes de réformes et de capacité à bien gérer le pays, est assez mauvais, même d’un point de vue de droite. Les réformes sont bancales, la situation économique est désastreuse, le chômage augmente, la sécurité s’est dégradée, les belles intentions évoquées pendant le Grenelle de l’environnement se sont envolées, etc.

La gauche française est spectatrice de cette situation, son rôle est évidemment de proposer une alternative crédible. Elle ne doit pas pour autant laisser planer la désagréable impression que, vu la déliquescence de l’équipe en place, il suffit de dénoncer les dérives et d’attendre l’élection de 2012.