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  Retraites, les grandes manœuvres

jeudi 22 avril 2010, par Gérard Arnaudé

On connaît désormais le calendrier de la réforme des retraites : les négociations s’ouvriront en avril et un projet de loi sera présenté "au début de l’automne", a annoncé Nicolas Sarkozy. Mais quel en sera le contenu ? Il faut explorer "toutes les pistes", a prévenu le président. Pas de tabou, donc. Mais comment faire le tri dans un maquis de données à géométrie variable fortement impactées par l’idéologie politique.

Principe

La gestion de la retraite s’articule autour de deux régimes. Le régime de base géré par la Sécurité sociale assure un revenu partiel, complété par le système de retraite complémentaire. Pour le premier, c’est en 1945, lors de la création de l’assurance vieillesse, que le principe de solidarité nationale est adopté. Il instaure 3 principes, la répartition (les salariés actifs permettant de payer les pensions des retraités), des avantages pour des périodes durant lesquelles il n’y a pas eu de contribution financière (service militaire, chômage, maladie, maternité) et enfin des compléments (majorations pour enfants à charge, la solidarité vieillesse). La retraite de base est gérée par les caisses de la branche du régime général (Cnav, Cram, CGSS, CRAV). Les cotisations portent sur le salaire, dans la limite du plafond de la Sécurité sociale, fixé pour 2010 à 2885 €/mois. Depuis le 1er janvier 2006, le taux appliqué est de 16,65% (8,30% à la charge de l’employeur et 6,65% à la charge du salarié). En complément, l’employeur cotise à hauteur de1,6% sur la totalité du salaire et le salarié à hauteur de 0,1. Le régime complémentaire est né d’un accord du 8 décembre 1961, signé entre le CNPF et les confédérations de salariés. La retraite complémentaire n’était pas alors obligatoire pour tous les salariés. Sa généralisation date d’une loi du 29 décembre 1972. L’objectif étant d’augmenter les faibles revenus tirés des pensions versées par le régime de base. Le principe adopté reste celui de la répartition. En moyenne, 25 à 30% des revenus des retraités proviennent du régime complémentaire dont la gestion est assurée par l’Association des régimes de retraite complémentaire (ARRCO).

Un peu d’histoire

L’offensive a commencé en 1993, en plein mois d’août lorsqu’Edouard Balladur et Simone Veil firent voter leur loi touchant le système de retraite par répartition du secteur privé. La durée de cotisation passait de 37,5 à 40 annuités. Le calcul du salaire de référence servant au calcul de la retraite s’allongeait des 10 aux 25 meilleures années. Le montant des retraites n’était plus indexé sur les salaires mais sur les prix. En 1994 et 1996, le patronat faisait subir aux retraites complémentaires du secteur privé une régression de même ampleur que celle qui avait été imposée aux retraites de base par la loi Balladur-Veil. Au total, les réformes de 1993 et 1994-1996, entraineront mécaniquement une diminution de 20 points (de 78 % à 58 % du salaire moyen net) de la retraite des salariés du secteur privé. En 1995, Juppé commit l’erreur de s’attaquer à la fois aux retraites de la Fonction publique et à celles des services spéciaux (SNCF, RATP, EDF-GDF…) Il dut battre en « retraite » avec ses 40 annuités. En 2003, F. Fillon ne s’attaqua qu’aux salariés de la Fonction publique et jura, la main sur le cœur, que les salariés relevant des régimes spéciaux ne seraient pas concernés par l’allongement de la durée de cotisation. Malgré des millions de manifestants, une unité syndicale (sauf CFDT) et près de six mois de luttes, le mouvement social fut battu et se vit imposer les 40 annuités de cotisation pour qu’un salarié puisse bénéficier d’une retraite de base à taux plein. En 2007, le gouvernement imposait les 40 annuités aux salariés des régimes spéciaux.

Réalité démographique

Si l’on en croit le Medef et les principaux médias, nos retraites seraient victimes d’une véritable fatalité démographique. A la fin des années 1990, les spécialistes annonçaient que le taux de fécondité allait s’effondrer. En réalité, les démographes se sont aperçu qu’il n’en était rien et que la France était l’un des pays d’Europe où le taux de fécondité était le plus important (1,9 au lieu des 1,8 prévus). Les femmes n’avaient pas renoncé à avoir des enfants mais différaient leur arrivée à un âge plus avancé. Quant aux nombres de retraités, il devrait augmenter de près de 63 % (selon l’INSEE) entre 2006 et 2050 : de 13 millions de retraités en 2007 à 21 millions en 2050. Cette augmentation sera le produit de deux facteurs, pesant chacun pour 50 % : l’arrivée à l’âge de la retraite de la génération du baby-boom (les personnes nées entre 1945 et 1975) et l’allongement de la durée de la vie. Le premier est limité dans le temps. Entre 2036 et 2040 commenceront à arriver à la retraite les classes « creuses » qui ont suivi le baby-boom. Le nombre de nouveaux retraités diminuera alors brutalement. S’agissant de la durée de vie, il n’a pas l’importance qui lui avait été donnée au début des années 2000. Selon le rapport du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) de 2007, en 2050 l’espérance de vie serait inférieure à celle des anciennes projections, de 2 ans pour les femmes et de 0,5 ans pour les hommes ». Le nombre de retraités en 2050 serait donc inférieur de 650 000 aux prévisions antérieures. L’allongement de l’espérance de vie serait de 1,1 ans tous les 10 ans, soit 0,44 trimestres tous les ans et donc très loin du Medef et de son affirmation d’un allongement de l’espérance de vie d’un trimestre tous les ans. Au total, en 2050, pour 100 personnes présumées actives (20 à 60 ans), on compterait environ 69 personnes de 60 ans et plus. Ce qui est, bien sûr, plus élevé que la proportion de 2006 : 47 personnes de 60 ans et plus pour 100 personnes d’âge actif. Mais nous sommes très loin des scénarios catastrophes agités à la fin des années 1990 et au début des années 2000 : 81 personnes de 60 ans et plus pour 100 personnes d’âge actif. Cela signifie que la population en âge de travailler ne subirait donc pas, entre 2006 et 2050, la diminution de 4,1 millions de prévue par ces mêmes scénarios catastrophes, mais resterait stable.

L’emploi, le levier prioritaire

Il ne suffit pas d’être en âge de travailler (20 à 60 ans) encore faut-il avoir un travail. Car le chômage pèse très lourdement dans les difficultés de financement des régimes de retraite. Le nombre de chômeurs réels, si l’on inclut les personnes dispensées de recherche d’emploi, celles qui ont renoncé après de multiples essais infructueux, celles qui ont été arbitrairement rayées des listes du « Pôle emploi », celles qui ont été comptabilisées dans d’autres catégories que la catégorie 1, s’élève, au minimum, à 3 millions. Si l’on ajoute à ces chômeurs à plein temps, toutes les personnes qui travaillent à temps partiel ou n’ont qu’un travail saisonnier et souhaitent un travail à temps plein, c’est à un total d’environ 5 millions de chômeurs que nous arrivons. Il est évident qui si ces 5 millions de chômeurs (partiels ou complets) avaient un emploi à plein temps et que des cotisations retraites étaient versées en conséquence, les finances des caisses de retraites s’en porteraient beaucoup mieux.

La richesse oubliée

C’est le point aveugle de tout débat sur les retraites. Jamais cet aspect déterminant de l’avenir économique n’a pu être publiquement débattu. Le Medef, le gouvernement tirent des plans sur la comète en oubliant cette donnée essentielle. Ils raisonnent comme si la richesse de notre pays n’allait pas évoluer au cours des 40 prochaines années et que c’est donc à richesse constante qu’il faudrait financer une augmentation de 63 % du nombre de retraités. A moins que l’objectif soit que ces profits aillent à une minorité détournant ainsi la part qui devrait revenir aux retraites. Pourtant, dans les 40 années à venir, avec un taux de croissance moyen de 1,7 % par an, la richesse de notre pays aura doublé en 40 ans : de 1700 milliards d’euros environ à 3 400 milliards d’euros. Et il s’agit d’euros réels, une fois neutralisée l’inflation et donc d’une véritable augmentation de richesse, une augmentation considérable. Pour faire face à la progression réelle du nombre de retraités il faudrait augmenter de 6 % la part du PIB destinée à financer les retraites. Ce n’est certes pas une petite somme mais c’est une somme, au total, parfaitement assimilable par une économie dont la richesse augmentera de 1 700 milliards d’euros au cours des 40 prochaines années. En 2050, une fois financés les 204 milliards liés à l’augmentation du coût des retraites, il resterait, en effet, encore près de 1 500 milliards d’euros, chaque année, pour financer les augmentations de salaire direct, les investissements privés et publics… Une paille !

Les trois axes des retraites

Le rapport du COR de 2007 illustrait parfaitement les choix offerts à notre régime de retraite. Premier choix : ne pas augmenter les cotisations retraites et ne pas diminuer le montant des retraites. Dans ce cas, il fallait augmenter de 9 ans la durée de cotisation. Deuxième choix : ne pas augmenter les cotisations retraites et ne pas allonger la durée de cotisation. Dans ce cas, le montant moyen des retraites diminuerait de 78 % du salaire net moyen à 43 % de ce même salaire net. Ce qui signifierait pour un salaire net mensuel de 1 200 euros, une retraite qui diminuerait de 936 à 516 euros. Troisième choix : ne pas allonger la durée de cotisation, ne pas baisser le montant des retraites mais augmenter de 15 points le montant des cotisations retraites entre 2003 et 2040. Jamais la troisième option présentée par le COR n’a été soumise au débat public alors que c’était de loin la solution la plus acceptable par l’ensemble de la population. 15 points d’augmentation en un peu moins de 40 ans, cela représentait 0,40 point d’augmentation par an. Qui pourrait prétendre qu’une augmentation de 0,25 point de la part patronale des cotisations retraites et de 0,15 point de la part salariale n’est pas préférable à un allongement de 9 ans de la durée de cotisation ou à une baisse de 25 points du montant des retraites ?

Quelle est l’objectif masqué ?

Nous entrainer vers le modèle suédois qui est en train de faire des petits dans toute l’Union européenne. Non pas parce qu’il répond aux besoins des salariés ou des retraités mais parce qu’il répond parfaitement aux exigences du système libéral de l’argent roi. Ce système resterait un système de retraite par répartition. Les cotisations d’aujourd’hui y assureraient toujours le paiement des retraites d’aujourd’hui. Il n’y aurait pas de passage par la case « épargne » mais tout serait calculé comme si tel était bien le cas. La logique de la retraite par répartition deviendrait une logique de retraite par capitalisation, selon la logique de la retraite par points, mais sans aucune concession. Chacun recevrait uniquement en fonction de ce qu’il aurait cotisé. La dimension solidaire de notre système de retraite disparaîtrait complètement. Tant pis si vous avez eu une carrière difficile, si vous avez connu le chômage, si vous avez eu des difficultés à trouver un premier emploi un tant soit peu stable. Tant pis si votre employeur s’est débarrassé de vous dès que vous avez atteint l’âge de 50 ans : les périodes « « non cotisées » ne seraient pas prises en compte pour le calcul de votre retraite, alors qu’aujourd’hui, elles peuvent être, sous certaines conditions, « validées » et compter dans le nombre de trimestres nécessaires à l’obtention d’une retraite à taux plein. Tant pis si vous êtes une femme et si votre carrière a beaucoup pâti du fait que vous ayez élevé vos enfants : aucun trimestre de cotisations supplémentaires ne vous serait dû à ce titre. La base de calcul de la retraite de chacun serait uniquement ce qu’il aurait cotisé. Avec un système de ce type, il n’y aurait plus besoin de se poser le problème de savoir comment imposer une année de plus de cotisation à 26 millions de salariés. Le besoin de financement lié à l’allongement de la durée de la vie se traduirait automatiquement par une baisse du niveau des pensions ou par un allongement de la durée de cotisation. Et tout cela serait calculé individuellement pour chaque retraité, en fonction des tables d’espérance de vie, au moment où il prendrait sa retraite. L’individualisation rendrait beaucoup plus difficile les luttes collectives pour améliorer les retraites. C’est bien ce que souhaitent les libéraux.

« Vive » les fonds de pension !

L’objectif masqué des pro-américains, les mêmes qui vantaient les vertus du modèle anglo-saxon avant la crise est de faire reculer la confiance du public dans le principe de retraite par répartition. A renfort de médias largement contrôlés, un matraquage continu n’a d’autres buts que de faire une place de choix aux fonds de pension afin de capter ce financement socialisé au profit du capital et des actionnaires. Une manne financière particulièrement juteuse puisque, au Royaume-Uni, les adhérents d’un fonds de pension ne retrouvent que 50 % des sommes qu’ils ont versées sur leurs fonds de pension. Les 50 % restants s’étant évanoui en frais de gestion divers et en dividendes. N’oublions pas les millions d’américains jetés à la rue par la fameuse crise et l’évaporation de leurs « invest funds ». A n’en pas douter, les mois à venir vont constituer un enjeu de société majeur entre les tenants d’une certaine vision d’une société solidaire empreinte d’humanisme et la brutalité d’un libéralisme débridé toujours d’actualité. Ce sont bien deux mondes qui s’affrontent alors notre seul recours pour le moment dans les semaines à venir est le bulletin de vote. Que celles et ceux qui pensent que l’abstention est une solution réfléchissent bien à deux fois sur les conséquences irréversibles des décisions à venir…

G. ARNAUDE