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  La souffrance au travail : un sujet qui n’est pas nouveau

mercredi 11 novembre 2009, par Juliette Helson

Et si on mettait enfin en oeuvre le management au féminin ?

La souffrance au travail ne date pas d’hier, brimades, arbitraires, harcèlement, syndrome du petit chef, ont existé de tous temps. Pour avoir travaillé des années dans des entreprises de moyenne et grande taille et avoir bien connu le milieu industriel, j’affirme que ce phénomène est loin d’être récent. N’oublions pas que la France est le pays des antidépresseurs pour toutes natures de maux dont le stress dû au travail. Si l’on ajoute les médecines « coups de fouet », toutes drogues servant à se surpasser, tenir le coup, on peut avoir une idée des effets négatifs du monde du travail. Ce sujet longtemps ignoré ou passé sous silence commence à être médiatisé. Pourtant les médecins du travail, les psychologues, les assistantes sociales tirent depuis longtemps la sonnette d’alarme, sans grand succès.

Alors qu’est ce qui est nouveau et pourquoi commence –t- on à porter le débat sur la place publique ? Pourquoi de récents suicides ont été médiatisés ? Le suicide étant un sujet tabou, on connaît mal les raisons du suicide ou des tentatives de suicide, et nous avons peu d’informations sur le sujet .Car entre des salariés qui se suicident sur leur lieu de travail pour des raisons personnelles autres que des raisons professionnelles et ceux qui se suicident ailleurs que sur leur lieu de travail pour des raisons professionnelles, les données ne sont pas toujours disponibles pour en faire une analyse pertinente. Or selon les chiffres officiels , le taux de suicide des personnes en âge de travailler évolue peu.

Alors doit-on mettre le travail en cause et est-ce le travail qui est malade et non le salarié pour reprendre l’expression d’une psychanalyste ? Commençons par examiner les changements intervenus depuis 30 ans dans le monde du travail, observations que je dois à mon expérience à l’intérieur de l’entreprise.

1. L’informatisation a bouleversé les rapports à l ‘entreprise.

Destinée à libérer l’individu de tâches routinières pour le rendre plus apte à « créer » de la valeur, elle a eu le plus souvent des effets pervers tels que : liens de dépendance absolue, asservissement de l’homme à la machine. Quel individu n’est pas collé a minima 3 h par jour si ce n’est plus face à son écran ? du magasinier à l’acheteur, de l’ingénieur au contrôleur de gestion, du manager au Directeur.. Tous les métiers sont devenus complètement liés à la maîtrise des nouveaux outils, l’outil destiné à libérer est devenu objet de contrainte, chacun a vu sa charge de travail augmenter par des tâches qui ne sont pas forcément dans les compétences ou dans les attendus du salarié. Par exemple, certains métiers ont disparu ou sont en décroissance tels que les secrétaires, assistantes, rédacteurs ;chacun doit être désormais polyvalent et malheur à celui qui ne sait pas manier Powerpoint ou Excel. Ceci a rajouté du stress, d’autant qu’en même temps que se développait la mise à disposition de données automatisées, s’instauraient de nouvelles attentes en matière de reporting : obligation de transmettre en temps réel, le suivi des activités. La comptabilité analytique permet à tout instant de suivre les activités du salarié et par là même sa rentabilité.

2. Le rapport au temps

Conséquence du 1er point, tout va vite, de plus en plus vite. Puisque tout est automatisé, on sait tout mesurer. De la prise de commande jusqu’à la livraison le client ne veut plus attendre, les stocks coûtant chers, la consigne est le zéro stock donc aucune faille dans la chaîne n’est acceptée. Et dans les entreprises de service, il faut aller toujours plus vite, au nom de la satisfaction du client. Je me souviens de la réflexion d’un de mes collaborateurs à qui je faisais une revue d’objectifs « Je n’ai plus les moyens de faire bien mon travail » Ce commentaire était riche de sens. Par moyens il sous-entendait que les délais de plus en courts et les tâches de plus en plus importantes qu’il devait assurer ne lui permettaient plus d’assurer le niveau de qualité auquel il s’était habitué . Que signifiait faire bien son travail ? du bon travail à ses yeux ou un bon travail perçu par le client ? Car ces dernières années, les enquêtes de satisfaction du client n’ont jamais été aussi nombreuses, que ce soit dans les entreprises privées ou dans les entreprises publiques : le client d’abord . Les entreprises ont toutes introduit des chartes de qualité, mis en avant les valeurs de l’entreprise et très souvent satisfaire le client et les salariés apparaît comme une des priorités. N’est-ce pas un vaste leurre, une manipulation déguisée car dans le même temps, le véritable acteur est bien l’actionnaire, cet anonyme, pour qui seul compte la valeur de l’action, donc de la rentabilité avant tout. Ces beaux principes ne seraient là que pour masquer la dégradation du service offert car aux yeux de bon nombre de salariés, les impasses pour tenir les délais sont de plus en plus nombreuses.Les turn over dans les entreprises n’aident pas à la transmission des savoirs et conséquence, la qualité n’est pas toujours au rendez vous.

Aller vite et bien est-ce toujours compatible ? Pression sur les délais, pression à tout niveau, résultats immédiats c’est la loi du court terme qui prévaut, totalement incompatible avec le goût du travail bien fait.

3. Le management a profondément évolué.

De paternaliste il a glissé vers un management impersonnel et inhumain. La Direction du personnel est devenue la Direction des ressources humaines (DRH) ce qui en dit long sur la manière dont sont prises en compte les personnes. La DRH proche de la Direction s’est progressivement éloignée de ses attributions et au lieu de gérer des Hommes , elle gère des ETP (équivalent temps plein). Mais, je ne cherche pas à jeter l’opprobre sur cette profession qui elle aussi subit cet état de fait et souhaiterait j’en suis sûre , se consacrer davantage à participer à l’épanouissement du salarié dans l’entreprise. L’homme est devenu une ressource que l’on ajuste en permanence selon des logiques purement financières de rentabilité. Le mot clé étant l’adaptation, la seule parade de la Direction générale est désormais de provoquer la déstabilisation en permanence : restructurations, réorganisations et toujours dans un seul but : celle d’être compétitif, credo des temps modernes. La durée moyenne d’un cadre supérieur à un poste est d’environ 3 ans : la 1ère année, il regarde, la 2ème il met en place, la 3ème il constate les résultats et il s’en va. Et généralement le successeur remet en cause tout ce qu’a fait son prédécesseur. 3 ans peuvent paraître longs aux yeux de certains, en entreprise, c’est un cycle court. Ceci entraîne le plus souvent discontinuité et rupture brutale dans les prises de décision, ordres/contre ordres, le discours leitmotiv est de dire qu’il n’y pas d’autre solution pour se maintenir et rester dans les budgets (toutes entreprises confondues, privées ou publiques) alors que de multiples exemples pourraient démontrer l’inefficacité de ces mesures ne serait-ce que par le coût des arrêts de travail, la démotivation nuisibles à la productivité. En même temps, on recherche l’excellence et le management au mérite et sur objectifs venu des entreprises anglo-saxonnes dans les années 70 s‘est généralisé à tous les stades et dans toutes les entreprises souvent maladroitement ou brutalement sans effort de communication minimum ou d’explication ce qui explique à mon sens les dérives constatées dans France Telecom ou Renault.

Face à cette situation comment réagissent les salariés ? Il y a ceux qui s’adaptent et s’accommodent de cette situation.. Il y a ceux qui ne savent pas gérer et en souffrent au point d’arriver à des situations extrêmes.

Ceux qui ne savent pas dire non, qui subissent.

Dans les deux cas la peur de quitter l’entreprise et son emploi entre en ligne de compte et rajoute au stress. Depuis le début des années 90, l ‘insécurité de l’emploi et le chômage ont atteint touts les couches sociales.

Ces souffrances atteignent tous les stades dans la hiérarchie, ceci est en effet un phénomène nouveau, personne n’est épargné, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes, techniciens et cadres.

Le phénomène va t-il s’arrêter ? Et que peut-on faire ?

A mon avis, sans faire un parallèle avec les ressources naturelles, la capacité des ressources humaines à accepter ces nouvelles conditions de travail a aussi ses limites. Mais jusqu’où peut-on aller ainsi ? La fuite en avant est lancée et nul ne connaît le point de rupture, la capacité de l’individu à accepter ce qui paraissait autrefois inacceptable est insoupçonnée.

Quelles mesures peuvent être prises ?

Ces dernières années, on a vu apparaître les cellules psychologiques chargées d’accompagner les victimes directes ou indirectes de drames divers. J’imagine qu’on appliquera les mêmes méthodes et on va voir fleurir ici ou là des cellules d’accompagnement au changement en liaison avec les DRH, chargées de suivre les « plus fragilisés ». Des plans de prévention du stress commencent à voir le jour. Je ne crois guère à ce type de solutions qui est par nature de type curatif et ne remet pas en cause le système d’organisation et de management de l’entreprise. En réalité, une véritable prise de conscience devient une nécessité car les conséquences désastreuses des dérives décrites ci-dessus sont à la fois économiques et humaines ; le taux d’absentéisme pas ou peu publié devrait faire réfléchir tous les acteurs de l’entreprise.

J’aimerais par ailleurs souligner les résultats d’un rapport récent sur les entreprises gérées par des femmes. Le rapport mentionnait que ce type d’entreprises figurait parmi les plus compétitives. Le même rapport n’indiquait pas le taux de stress qui régnait dans ce type d’entreprise mais j’ose avancer que le management au féminin (pas la réplique du management au masculin par des femmes), non, je parle ici de valeurs dites féminines, c’est à dire plus centrées sur le respect de la personne, la prise en compte du contexte, le sens de l’objectivité et du réalisme quant à la formulation d’objectifs, ce management a pour moi, de l’avenir s’il parvient à s’imposer et contribuer à casser ces logiques aliénantes et destructives. Gageons que ces méthodes nouvelles permettront d’aider à repenser la nature même du travail, sa finalité.

En conclusion, si on considère que le stress est inhérent à la relation travail/employé et que s’il est bien géré, il est bénéfique contrairement aux excès constatés à ce jour , en revanche ce sont les nouvelles conditions de travail qui doivent être dénoncées et c’est bien la notion même de travail qu’il faut reconsidérer.