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  La crise existentielle de la social-démocratie européenne.

lundi 8 juin 2009, par François Saint Pierre

Le parti socialiste français est en difficulté, crise de leadership pour beaucoup, projet indigent pour d’autres. Mais, avec le coup de projecteur mis en ce moment sur les divers pays européens, on peut constater que, même si les symptômes ne sont pas tous identiques, dans tous les pays de l’Union Européenne la social-démocratie n’a pas le vent en poupe. A part en Grèce et en République Tchèque, la social-démocratie européenne est en net recul, très loin de pouvoir prendre le contrôle du parlement européen. Dans chaque cas des erreurs semblent expliquer l’atonie des partis qui se réclament de la mouvance social-démocrate, mais globalement ces partis ne sont plus capables de défendre une position cohérente et idéologiquement identifiable. Un exemple : José Luis Zapatero, José Socrates et Gordon Brown sont les seuls socialistes qui dirigent un gouvernement et ils soutiennent la candidature du libéral Manuel Barroso à la Présidence de la commission européenne, alors que ce même Baroso est fortement critiqué par tous les partis socialistes.

Dans le parti socialiste français les conflits liés à la compétition pour le contrôle du parti sont très violents, ce n’est pas en raison de l’appétit de pouvoir des dirigeants, mais de l’affaiblissement du socle des valeurs qui justifient l’appartenance commune à un parti. Les forces de cohésion interne sont devenues trop faibles pour permettre la maîtrise des egos. Si certains ont un intérêt tactique à rester au sein du parti, déjà quelques ex dirigeants ont préféré tenter leur chance ailleurs et beaucoup de militants continuent à militer sans trop de conviction. Ce qui est surprenant, c’est que le parti semble se vider doucement de tous les côtés. Vers l’UMP ou vers le Modem, sur la droite mais aussi de l’autre bord vers le regroupement des Verts et des Altermondialistes ou vers le Front de gauche. Délitement dans tous les sens plutôt qu’explosion, mais certainement pas la réalisation de l’avenir radieux qui semblait promis après la chute du mur de Berlin et la déroute du modèle concurrent communiste. La récente crise financière, économique et sociétale, qui a commencé en 2008 et qui a mis à jour de manière flagrante les contradictions de l’idéologie néolibérale, ne semble même pas capable de redonner des couleurs aux partis sociaux-démocrates.

La fin du XIXème siècle a vu la naissance de partis ouvriers de masse qui se battaient pour obtenir des droits démocratiques et pour les intérêts immédiats des travailleurs. Ces partis s’opposaient parfois de manière violente à la bourgeoisie mais sans pour autant théoriser une prise de pouvoir par la révolution. Après la première guerre mondiale on a assisté à la séparation entre ceux qui se revendiquaient du communisme et ceux qui optaient pour une position réformiste. Combattre les effets du capitalisme par des combats ponctuels et par l’obtention de réformes, mais sans pour autant remettre en cause les grands principes de l’économie libérale, devait mener petit à petit la société vers l’idéal d’une société socialiste. En réaction à la grave crise économique, qui avait débuté en 1929 aux Etats-Unis, la social-démocratie est devenue keynésienne : valoriser l’intervention de l’État, mais laisser une bonne place à l’initiative privée, tout cela dans le cadre d’un renforcement des droits démocratiques. Culture de la négociation et du compromis entre les différents acteurs sociaux qui la différencie nettement de la droite libérale ou étatique, mais aussi de la gauche révolutionnaire, bien plus fortement inspirée par les analyse de Marx. Si dans les pays du sud de l’Europe la référence aux thèses radicales a souvent brouillé le message politique, cela est au fond plus un habillage rhétorique qu’une différence fondamentale entre les divers mouvements européens d’inspiration social-démocrate. Après la fin de la seconde guerre mondiale, les succès économiques et la mise en place de l’État providence, ont facilité les négociations et renforcé la position des réformistes. Dans les années 80 on pouvait penser que le modèle d’une économie de marché régulée par une volonté étatique de garantir la justice sociale serait l’avenir de nos démocraties.

La social-démocratie était au départ une alliance entre une majorité de "troupes ouvrières" combatives et une minorité de membres des classes moyennes, élites du salariat. L’évolution de la société a inversé les proportions, la social-démocratie est devenue le choix majoritaire des cadres moyens et supérieurs (actuellement un tiers des adhérents du PS). La social-démocratie plutôt que de chercher à tempérer la montée en puissance du néolibéralisme, qui commençait à croître et à prospérer depuis les années 70/80, a plutôt choisi de s’attaquer à la composante conservatrice de la droite, en axant de plus en plus ses revendications sur l’aspect sociétal. En une trentaine d’années, tout en gardant en apparence la même rhétorique sociale, les partis sociaux-démocrates avaient complètement changé leurs pratiques. L’utopie socialiste du début était rejetée dans l’arrière plan, il s’agissait avant tout d’être une modalité sociale et moderne de la gestion de l’économie de marché. Situation encouragée par la plupart des constitutions qui favorisent l’alternance démocratique entre deux grands blocs. Les partis sociaux démocrates sont devenus des partis de gouvernements, en général clés de voûte de coalitions plus ou moins hétéroclites, qui attendent sagement leur tour pour gouverner. Cette situation, même si elle semblait ne pas vraiment correspondre à l’idéal, nettement plus combatif du départ, apparaissait assez stable pour pouvoir durer longtemps car les opposants à la politique de droite n’avaient pas le choix... soit ils votaient au second tour pour les sociaux démocrates, soit ils laissaient le champ libre à la droite. Petit à petit l’arrogance envers les alliés et la paresse intellectuelle se sont installées.

Le ralliement sans condition à l’économie de marché et l’approbation du très libéral projet de constitution européenne ont fini par transformer les invocations sociales en clauses de style et à disqualifier tous les discours généreux sur la mondialisation. Les courants altermondialistes, les associations et ONG militantes se sont donc largement autonomisés par rapport à la social-démocratie qui mettait toute son énergie dans la politique politicienne en vue de la prise ou de la conservation du pouvoir. L’incapacité de la social démocratie à traiter sérieusement les questions environnementales et notamment celles de l’énergie et du climat a favorisé le développement de mouvances écologiques totalement autonomes même si elles avaient beaucoup de points communs avec l’idéal social démocrate. L’exemple des OGM et de l’adoption du principe de précaution montre bien comment la social-démocratie, fortement liée à une conception du progrès héritée des débuts de l’ère industrielle n’a pas su se positionner sur les nouveaux enjeux écologiques. Elle n’a pas été capable de comprendre que dans un monde fini la croissance économique à tout prix, même si elle pouvait faciliter le partage des richesses, n’était pas une solution durable. La faiblesse électorale et l’éclatement idéologique des multiples courants de la gauche de la gauche a laissé croire que ce n’était pas un problème ; le vote utile devant au dernier moment ramener les brebis égarés vers le "bon" bulletin de vote.

Discrédit sur la composante de gauche, ce qui a conduit par exemple en Allemagne à une fracture au sein du SPD et la création de Die Linke ou en France à la création du Front de Gauche, mais aussi difficulté sur la partie centriste de l’électorat. Usure du pouvoir, manque de rigueur, incapacité à tenir un discours clair sur la sécurité ou sur l’immigration ont petit à petit miné la crédibilité gouvernementale des sociaux démocrates qui sont plus apparus comme des gestionnaires locaux que comme des possibles dirigeants nationaux. L’élasticité des discours socialistes, accentuée par le goût des polémiques internes, et les "trahisons à répétitions" ont fini par donner l’impression qu’en France être socialiste était une tactique et non une conviction. Les citoyens fondamentalement républicains situés au centre gauche sont devenus de plus en plus critiques. D’un côté la droite soutenue par les principales forces économiques et médiatiques donne l’impression d’une forte cohérence, mais cela en habillant habilement de républicanisme ses pratiques libérales-sécuritaires, de l’autre les valeurs traditionnelles de la gauche ne semblent plus correspondre à une offre politique claire. Vouloir la justice sociale, une mondialisation démocratique, heureuse et durable n’est pas, même sur un mode mineur le projet que semble porter la social-démocratie. Difficile pour les jeunes de dégager dans l’offre politique un axe politique gauche/droite structurant.

La crise financière, économique et sociale a eu beau montrer les dégâts de la dérégulation libérale, l’absence de crédibilité des oppositions de gauche ne met pas en péril les partis qui soutenaient il y a quelques années ces politiques aberrantes. Le pragmatisme dont les partis de droite se réclament consiste à reconnaître leurs erreurs, à invoquer la moralisation de l’économie, à faire des grandes promesses keynésiennes, mais à continuer en pratique à peu près la même politique. Cela peut finir par créer un énorme différentiel entre la nécessité d’une gouvernance solide pour temps de crise et des gouvernants, certes produits par un système électoral démocratique, mais incapables de défendre réellement les intérêts des peuples.

La question de fond demeure : la social-démocratie est-elle toujours le bon pilier d’une alternative à la droite libéral-sécuritaire qui domine en Europe ? Les leaders charismatiques peuvent un temps, ça et là, redonner un peu de tonus à des partis anémiques, mais ce qui manque à la social-démocratie c’est le fond de commerce idéologique. Les sirènes médiatiques, invoquant souvent le congrès de Bad Godesberg pour le SDP allemand, ont laissé croire que pour renouveler son idéologie il suffisait d’abandonner les références marxistes et de se rallier au libéralisme. Absence de travail sur les valeurs et les principes qui sous tendent tout engagement politique, absence de prospectives à moyen et à long terme, absence de travail théorique sur la mondialisation et sur la politique internationale, absence de positions fortes sur l’énergie ou le climat. Tout cela a déconstruit la cohérence globale de la social-démocratie, les forces de cohésion sont maintenant tellement faibles que chaque dirigeant ne peut parler qu’en son nom propre, à la rigueur porte-parole d’une tactique politique mais pas d’un courant de pensée.

Quelques scénarios sont possibles. Le premier serait que, poussée par la nécessité, la social-démocratie se ressaisisse et reconstruise un projet théorique qui pourrait permettre de remotiver ses dirigeants et ses militants. Vu l’évolution actuelle il est pourtant possible que passé un certain seuil la social-démocratie ne soit plus au centre des stratégies d’alternance. Elle deviendrait en partie force d’appoint et en partie lèguerait son héritage à d’autres qui intègreraient ses valeurs à leur propre dynamique. Une nouvelle recomposition peut se faire autour du centre, un peu comme aux États-Unis (c’est le rêve des centristes). Elle peut aussi s’envisager à partir d’un renforcement de sa composante la plus à gauche (cf. la tentative du front de gauche), l’hypothèse d’une crise économique durable rend cette proposition envisageable, alors qu’elle était impensable il y a peu. La dernière hypothèse, qui pourrait être favorisée par la crise énergétique, climatique et environnementale et qui semble la plus crédible au vu des résultats de la dernière élection au parlement européen serait la recomposition autour d’un pôle écologique, mais largement ouvert aux composantes sociales et altermondialistes (c’est la tentative de la liste Europe-Ecologie), cela nécessiterait un réinvestissement de la politique par la jeunesse, ce qui n’est pas impossible car la sensibilité des jeunes aux questions environnementales est très importante. La faisabilité de ces scénarios suppose encore un fort affaiblissement des partis sociaux-démocrates traditionnels, mais aussi une capacité d’alliance et de compromis qui n’a pas encore été totalement démontrée par les forces en présence.