Le Café Politique

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  Vers une démocratie de surveillance ?

dimanche 28 septembre 2008, par François Saint Pierre

Droits de l’homme et contrôle social.

Ne pas être surveillé fait partie des droits fondamentaux de tout un chacun. La responsabilité de garantir la sécurité est une responsabilité des gouvernants. Celui qui revendique la liberté pour lui-même est souvent favorable à la surveillance non seulement des délinquants ou des terroristes, mais aussi de tous ceux qui sont simplement susceptible un jour de poser le moindre problème à la société. Trouver un compromis entre ces valeurs contradictoires est un des enjeux majeurs de toute démocratie.

En s’urbanisant nos société ont abandonné l’ancien système informel de contrôle social qui se faisait dans les milieux ruraux. Us et coutumes, regards des voisins mais aussi discours moralisateurs de l’Église exerçaient une pression très forte sur tous. L’anonymat moderne a donné au moins l’illusion d’un espace privé protégé du regard inquisiteur de l’entourage. La séparation entre vie privée et vie publique a relativement fonctionné pendant le vingtième siècle, il existait bien des fichiers multiples et des moyens de surveillance, mais leur inefficacité donnait l’impression de pouvoir échapper sans trop de difficultés aux regards inquisiteurs. Quelques visionnaires, comme Orwell, Huxley ou Godard, voyaient bien pointer à l’horizon le danger d’une société de surveillance, mais les qualités de notre modèle démocratique nous a fait croire qu’une société basée sur la propagande et sur une police hyper informée ne pouvait qu’être l’apanage d’une dictature. Aujourd’hui le risque totalitaire ne vient pas des institutions démocratiques ni d’un groupe de comploteurs, mais, la force médiatique des catégories sociales les plus favorisées crée un phénomène de "pensée unique" et une volonté de transformation du citoyen en consommateur mondialisé. L’État ne semble plus agir pour l’intérêt de la nation et de ses citoyens mais pour défendre l’intérêt des dieux modernes que sont le "marché" et la croissance.

Le progrès technoscientifique basé sur une numérisation du monde a démultiplié les moyens de stockage des informations et les capacités de recoupement. Avec les cartes à puces, les caméras, les radars, les téléphones mobiles, les badges, les cookies ou encore les puces RFID nous avons, petit à petit, mis en place un réseau de surveillance gigantesque. Pour l’instant l’usage de ce réseau semble modéré mais l’exemple du fichier EDVIGE montre bien que la tentation d’étendre, de recouper et de moderniser les multiples fichiers est bien là. Plus surprenant ce qui nous semblait inacceptable il y a quelques années, comme la multiplication des caméras dans tous les lieux ouverts au public, devient actuellement largement admis. L’utilisation de techniques biométriques pour éviter la queue à une cantine ne posent quasiment pas de problèmes car il y a un consensus implicite sur l’efficacité du système et sur les bonnes intentions des gens qui utilisent ces procédés. De même les cartes de fidélité des grands magasins qui stockent la liste de tous les achats semblent présenter un risque bien faible comparé aux avantages comme celui d’une information ultra rapide suite à un problème sur un produit acheté.

Dans tous les pays occidentaux l’idéologie de la transparence a brisé la barrière entre le privé et le public, les écarts à la norme, même anodins, sont de plus en plus souvent repérés, enregistrés, stockés dans des fichiers divers. Notre société s’est acclimatée doucement à un niveau de fichage qui correspond aux romans de sciences fictions des années 60 et la plupart des citoyens ne croient pas que le méchant Big Brother nous surveille. L’État démocratique ne veut pas tout savoir sur nous, mais dans notre intérêt et pour remplir sa mission sécuritaire il estime qu’il lui faut bien surveiller les terroristes et les déviants en tout genre. Il surveille et puni, cela remplit les prisons qui débordent malgré l’usage du fameux bracelet électronique, prototype de la peine moderne. Il fait aussi de la prévention et comme nous sommes tous des coupables en puissance, il nous surveille tous. Avoir un espace privé et la liberté d’aller et venir sans surveillance semble un droit fondamental, que faire si la majorité des citoyens préfèrent la sécurité à la liberté ? Par moment, comme après le 11 septembre 2001, une démocratie poussée par une peur panique peut accepter n’importe quelle restriction de liberté (cf. le Patriot Act), en oubliant que la démocratie est aussi là pour aussi protéger le citoyen des excès de pouvoir de la puissance étatique. En s’appuyant sur une frileuse démocratie d’opinion, qui sait mettre en avant la "majorité silencieuse", ne sommes nous pas en train d’inventer la démocratie de surveillance ?

Jusqu’à présent la surveillance des autorités par les médias, par des associations comme la LDH, par les citoyens et par l’intermédiaire d’instance comme la CNIL semble contenir le risque d’usage totalitaire de ces multiples informations. Mais la situation est inquiétante et les dérapages semblent déjà bien nombreux. En effet de nombreuses erreurs sont dans ces fichiers qui son parfois utilisés de manières illégales par des policiers qui revendent les informations. Pire certains fichiers sont largement piratés, voire perdus. Sur certains de ces fichiers il existe des possibilités de contrôle et de rectifications, qui sont exagérément longues, mais sur d’autres comme CRISTINA c’est le secret absolu..L’histoire récente des démocraties ne permet absolument pas de croire que par nature un régime issu d’une élection est au dessus de tout soupçon en ce qui concerne le respect des droits de l’homme. (cf. le rapport Bauer du 20 mars 2008). S’interdire de développer trop de fichiers et trop de contrôles relève du principe de précaution.

Le partage politique entre la droite et la gauche s’est construit sur le rapport à la liberté. A droite les libéraux réclament de la liberté économique ainsi que de l’ordre et de la sécurité pour garantir le bon fonctionnement du marché. La gauche préfère restreindre les libertés économiques pour défendre la justice sociale mais elle est partisante d’une plus grande liberté comportementale. La droite française, mélange subtil de libéralisme et de conservatisme, défend avec opportunisme un modèle qui est plus basé sur le "surveiller et punir" que sur la liberté. C’est dans cette logique qu’elle explique la crise financière actuelle par l’existence de patrons voyous ou de traders irresponsables, en regrettant simplement de ne pas les avoir repérés assez tôt ! La gauche pour tenter de retrouver une chance de reprendre le pouvoir, se rallie en masse au libéralisme et au discours sécuritaire. Les concepts de "société de marché" ou de "libéralisme régulé" lui permettent de faire semblant de garder un peu de cohérence. Accumuler des intentions contradictoires ne fait pourtant pas un programme politique. Une gauche responsable doit savoir dire, avec assez de précisions, quels sont les choix qu’elle fait entre sécurité et liberté et quel niveau de surveillance elle pense acceptable dans une démocratie.

Ce choix ne peut se penser de manière abstraite, toute réflexion sur ce sujet renvoie aux grandes problématiques de notre monde. Notre société surveille beaucoup de choses, mais certaines un peu moins, comme par exemple la sécurité au travail. En période de guerre le concept de sécurité n’est pas le même qu’en temps de paix, quand il y a péril en la demeure la liberté n’est pas forcément une priorité absolu. La guerre contre le terrorisme mené par l’administration Bush et reprise par nos gouvernants est-elle suffisante pour justifier une intensification extrême de la surveillance de pans entier de la population ? La criminalité non négligeable de certains quartiers est-elle suffisante pour justifier la possibilité de prendre les empreintes génétiques de n’importe quel supposé délinquant y compris mineur ? (Un gendarme a menacé de le faire après un vol à l’étalage commis par un mineur de 8 ans, ce que la loi française autorise !). Les questions environnementales après avoir été longtemps refoulées arrivent enfin à l’ordre du jour. Jusqu’où faut-il surveiller, contrôler et interdire sur ce sujet les pratiques des individus ? De même faut-il aller jusqu’à surveiller ceux qui mangent trop ou "mal", car se faisant ils creusent le trou de la sécurité sociale ? etc... etc...

Surveiller et punir est certainement en partie nécessaire, mais répondre qui, quoi et comment est certainement une des grandes responsabilités que doivent affronter ceux qui prétendent participer activement à la vie politique.