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  L’économie sociale et solidaire, ambulance du capitalisme ou prémices d’une nouvelle société ?

dimanche 28 octobre 2007, par François-Xavier Barandiaran

Comment ne pas regarder avec sympathie, dans un monde de gagnants et de requins, qui érige en valeur suprême la capacité à gagner de l’argent et cherche à marchandiser même les services publics, toutes les formes d’organisation économique qui, d’une façon ou d’une autre, placent la personne au centre de leur objectif ?

Depuis une trentaine d’années nous assistons à une effervescence d’associations qui réagissent aux carences de l’économie marchande ou, même, de la fonction redistributrice de l’Etat, en promouvant l’entraide, la solidarité, l’acte gratuit, le désir de coopération ou bien la qualité des produits consommés et la quête écologique. Sans oublier la dimension internationale.

Pour certains il s’agit de mener une vie de qualité, tout simplement plus humaine, alors que pour d’autres ces engagements sont autant de jalons pour la modification nécessaire du développement économique, social et politique de notre société.

Nous voilà, donc, tous, à des degrés différents, participant à cette économie sociale et solidaire, ne serait-ce que par l’affiliation aux complémentaires médicales ! Tous, sauf tout de même les quelques millions de pauvres qui en sont exclus par manque de revenus !

Mais, cette sympathie généralisée s’accompagne, il faut l’avouer, d’une perception floue et même d’une certaine confusion. Tellement la réalité que recouvre ce « tiers secteur » est hétérogène, puisqu’il s’agit d’une véritable nébuleuse : en effet, qu’y a-t-il de commun entre les grandes banques coopératives ou certaines compagnies d’assurance mutualistes et une crèche parentale de quartier ou un SEL (système d’échange local) créé au fond d’une vallée ariégeoise ?. Il me semble qu’on gagnerait en clarté dans la perception de ce « tiers secteur », si on distinguait l’économie sociale de l’économie solidaire. On percevrait mieux, de la sorte, les caractéristiques de l’une et de l’autre, en mettant en exergue leur nouveauté par rapport à l’économie néo-libérale.

Le débat, comme toujours, tourne autour de la démocratie et du « vivre ensemble autrement ». Est-ce que l’économie sociale et /ou solidaire, en réagissant aux situations d’urgence, ne contribue-t-elle pas au maintien du libéralisme ? Avec l’aide des subventions des pouvoirs publics, trop conscients de leurs lacunes dans l’assouvissement des besoins sociaux, l’économie solidaire n’est-elle qu’un palliatif ?

Est-ce que les membres des coopératives, propriétaires de leur outil de travail, sont-ils seulement conscients d’être les héritiers du socialisme libertaire de Fourier et de Proudhon, au XIXè siècle ? Ou, pour rappeler des événements plus proches, d’être les continuateurs des idées autogestionnaires d’après Mai-68 ? Le mode de gestion de leur entreprise, où chacun est responsable et a son mot à dire lors de la prise de décisions, est-il transposable a l’ensemble du fonctionnement social ?

Face aux meilleures intentions et aux milliers d’initiatives, qui peuvent être autant d’actes de résistance à l’individualisme marchand, se dresse la capacité époustouflante de récupération du système capitaliste. Je ne citerai que deux exemples : le micro crédit (micro prêt de quelques dizaines de dollars à des paysans pauvres), initié au Bangladesh il y a trente ans par des associations à but non lucratif, concerne aujourd’hui des millions de paysans et d’artisans –tant mieux !- pour un volume de prêt de 7 milliards de dollars et constitue une source de profit pour les banques qui s’y sont lancées dans les pays émergeants. Et depuis ce succès l’expérience s’est étendue aux pauvres des pays riches. L’autre exemple est celui des banques qui jouent un rôle de plus en plus important dans « la moralisation économique » ( !!!), avec les intérêts de placement auxquels renoncent éthiquement des citoyens de plus en plus nombreux, soucieux de prendre leur part dans l’aide au développement équitable !

Je ne voudrais pas porter un regard cynique sur toutes ces expériences solidaires, mais être lucide sur les limites ou les ambiguïtés de l’économie sociale et solidaire, cependant que l’ultralibéralisme se porte mieux que jamais.

En attendant, à chacun de gérer ses contradictions :
  être membre d’une AMAP (association pour le maintien d’une agriculture paysanne) et continuer à faire les autres courses dans une grande surface ;
  placer son patrimoine dans une banque, tout en renonçant à une partie des intérêts au bénéfice du tiers monde ;
  défendre ardemment le commerce équitable et bâtir une piscine au moins aussi grande que celle du voisin ;
  manger des produits « de proximité », tout en se payant des vacances dans un pays lointain…

Et pour finir sur un ton un peu plus optimiste voici une citation de Bruno Guigue : « ..car avant tout l’économie solidaire est une école, une pédagogie du citoyen et du travailleur, dont la principale vertu est de préfigurer, dès maintenant, l’avènement d’un type de société qui en constitue l’horizon » (page 70, B. Guigue, « L’Economie Solidaire » Ed. L’Harmattan. 2001)