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  Où est passé la république ?

jeudi 22 mai 2003, par Jean Luc Soubie

Où est passé la république ?

Se poser la question de la gauche de la gauche, c’est se poser la question de la gauche. Si cette notion a encore un sens aujourd’hui, alors, on peut se demander quelle forme de radicalisme peut exister (ou existe déjà) pour porter avec plus de force les valeurs sous-jacentes au discours.

De ce point de vue, la référence au 21 avril 2002 est intéressante. En effet, le phénomène observé lors de cette élection n’est-il pas le rejet d’une dissociation évidente du discours et de l’action, caractéristique de l’abandon dans la pensée politique d’un système de valeurs auquel il n’est fait référence que devant le peuple, lorsqu’il s’agit de lui proposer un choix de plus en plus artificiel.

Les utopies modernes se définissent encore malheureusement en opposition au système libéral triomphant, qui dispose aujourd’hui de la force en plus de l’hégémonie que lui ont laissé acquérir, sans aucune résistance sur la planète, les utopies dégénérées issues du marxisme et les porteurs de valeurs "de gauche" prompts à la posture pragmatique. Celles-ci semblent réaliser une jonction paradoxale entre le mondialisme et l’internationalisme que l’on n’ose plus qualifier de prolétarien.

L’histoire de la deuxième moitié du 20ème siècle oblige à se poser à nouveau la question de la définition de la gauche et du rôle du peuple dans cette définition. En effet, ce qui semblait une constante de la gauche, qui était d’agir pour et avec le peuple face aux mécanismes d’oppression et d’asservissement, semble avoir disparu. La complexité du monde, de plus en plus perceptible grâce à l’évolution technologique, conduit les politiciens de la gauche à imaginer que le peuple ne saura pas appréhender cette évolution, même s’il en subit les effets. De là la dissociation déjà évoquée entre un discours qui n’a pas changé ses références et une attitude au pouvoir qui considère comme définitive la victoire du libéralisme et qui cherche des aménagements pour en limiter les dégâts humains. Cette attitude défensive de la gauche de gouvernement l’a conduite ou la conduira à sa perte (Espagne, Royaume Uni, Allemagne, France, etc.). Tant il est vrai que les libéraux sont les mieux armés pour accompagner un mouvement "naturel", assis sur la loi "du plus fort".

Face à cela, on trouve chez les citoyens engagés politiquement qui se revendiquent de la gauche (la vraie selon eux) une attitude moins cynique, mais tout aussi dangereuse. En effet, on retrouve ces citoyens sur tous les fronts de défense des opprimés (sans papiers, sans logement, sans travail, sans ressources, etc.), ce qui est satisfaisant du point de vue moral, mais qui ne trouve pas de débouché politique crédible, si ce n’est dans la protestation et l’incantation.

Cette situation dramatique de la gauche est le résultat de sa part de l’abandon de concepts qui lui appartenaient et qu’elle a laissés à la droite. Parmi ceux-ci, ceux de nation et de république vus non comme un support de xénophobie ou un simple régime politique démocratique, mais comme outils d’émancipation du peuple. C’est ce même mouvement qui remplace république par démocratie, égalité par équité, instituteur par professeur des écoles, usager par consommateur, citoyen par électeur...

En effet, on ne peut s’opposer à la déferlante libérale qu’en trouvant le lieu où le peuple peut être éduqué et prendre la parole, le lieu où il peut définir ses objectifs et mettre en place des outils pour contrer la "nature" et s’opposer à la loi "du plus fort".

Ce n’est que lorsque la gauche se sera réappropriée les moyens conceptuels de mettre en oeuvre ses valeurs qu’elle retrouvera sa crédibilité. Alors, on pourra s’interroger sur l’existence d’une gauche de la gauche, mais cela aura-t-il encore beaucoup de sens ?

Jean Luc Soubie