Le Café Politique

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  Pas d’OGM dans notre assiette

dimanche 15 janvier 2006, par François-Xavier Barandiaran

Contrairement au tribunal de Toulouse qui avait condamné en appel des militants anti-OGM de la région, appartenant aux Verts, à ATTAC, à la Confédération Paysanne, etc.., celui d’Orléans a relaxé, le 9 décembre dernier, 49 « faucheurs volontaires », en s’appuyant sur la Charte de l’environnement, rendue constitutionnelle en 2004. Les juges ont justifié l’infraction de dégradation volontaire d’une parcelle d’OGM -organismes génétiquement modifiés- (en fait, il s’agit de plants, donc de PGM, mais la dénomination plus générique d’OGM s’est imposée), en se fondant sur « la diffusion incontrôlée de gènes modifiés qui constitue un danger actuel et imminent ». C’est une première victoire du principe de précaution contre la multinationale Monsanto, propriétaire des plants de maïs transgénique et un encouragement pour tous les militants qui l’été dernier ont multiplié les actes de désobéissance civile, active et non violente. Dernier acte juridique, -et certainement la confirmation d’une nouvelle jurisprudence favorable aux « faucheurs »- le tribunal correctionnel de Versailles a relaxé, le 12 janvier 2005, neuf membres de la Confédération Paysanne, qui en 2003 avaient détruit une parcelle de maïs transgénique. En revanche, fin novembre 2004 Monsanto avait fait saisir le compte de ce syndicat paysan, en s’appuyant sur la condamnation par le tribunal de Toulouse.

Il est grand temps que ces faits, passés presque inaperçus et déjà oubliés par la plupart d’entre nous, deviennent l’enjeu d’un débat démocratique et que les français s’intéressent à ces questions qui mettent en danger la biodiversité et montrent l’appétit insatiable des multinationales de l’agroalimentaire. C’est au nom des « grands principes et des bons sentiments » que ces multinationales invoquent les prétendus bienfaits des OGM : productivité accrue, diminution des pesticides et… même lute contre la faim dans le monde ! Mais, ce que cache tant d’optimisme sur les promesses des plants transgéniques, c’est, en fait, une voracité sans limites et l’application du néolibéralisme au secteur de l’agriculture. Voilà que, depuis des millénaires, l’homme est passé de la cueillette à la culture dans les plaines de Mésopotamie et qu’en se servant, par l’hybridation, de l’enrichissement du patrimoine génétique a réussi à domestiquer les productions agricoles, en améliorant les semences, qui peuvent servir d’une année sur la suivante. Mais, cette faculté des plantes à se reproduire par elles-mêmes, c’est devenu insupportable pour Novartis, Syngenta, Monsanto et autres bienfaiteurs de l’Humanité ! C’est considéré comme un obstacle à la mondialisation du commerce des produits agricoles. Alors, en brevetant des gènes modifiés, ils aspirent au contrôle total de l’agriculture : non seulement le paysan qui signe un contrat avec ces multinationales renonce aux semences que la biodiversité a mises à sa disposition, mais, chaque année, avec l’achat d’une semence OGM, il s’oblige à acheter au même fournisseur les pesticides nécessaires à sa culture : à cause du gène breveté, le paysan paie pour un droit d’utilisation unique. Quelle dépendance irréversible ! Quel grand pas en arrière ! Ainsi, par le système des brevets quelques sociétés deviendraient les machines toutes-puissantes à contrôler l’agriculture mondiale. Le vivant, animal ou plante, devient une marchandise brevetable, propriété des seuls monopoles de la bio-agriculture génétiquement manipulée.

A l’intérieur du grand débat : quel avenir laisserons-nous aux générations futures ?, deux premiers éléments s’imposent : quelle est la responsabilité des experts et celle des citoyens ? Si les quelques vagues enquêtes d’opinion réalisées à ce jour indiquent qu’une large majorité de l’opinion est contre les OGM, on est loin de l’idéal d’une démocratie participative. On fait tout pour rendre inaudibles les associations spécifiques qui essaient d’imposer le débat sur la place publique, si bien que nos concitoyens ne disposent pas des éléments de jugement pour trancher sur une question aussi essentielle. Quant au rôle des experts, il y a lieu de laisser libre cours à la méfiance, quand on sait à quel point ils sont soumis aux pressions des lobbies économiques et des sociétés qui financent les recherches technoscientifiques. A ce propos, on n’a qu’à rappeler les rapports, de triste mémoire ! de l’Académie de médecine et de l’Académie des sciences, qui, en décembre 2002, concluaient, chacune de son côté, à l’innocuité des OGM. On sait que certains membres éminents de ces académies ont des liens avec les semenciers ou, alors, ils doivent vouer une foi sans limites au progrès scientifique ! Il est pertinent de citer à ce sujet J.Testard dans « Le Monde Diplomatique » de décembre 2005 : « L’Académie des sciences s’est trompée par optimisme sur tous les risques d’atteinte à la santé depuis 20 ans : sur l’amiante, sur la dioxine, la vache folle, sans parler des plantes génétiquement modifiées (PGM). Chaque fois l’Académie a vanté l’innovation et condamné l’obscurantisme, en proclamant qu’on ne peut arrêter le progrès de la science » Il ne relève pas de l’obscurantisme que de refuser l’utilisation d’OGM en milieu non confiné et dans l’alimentation, cependant que nous souhaitons un service public de la recherche, indépendant des intérêts économiques, pour poursuivre la recherche fondamentale sur la transgénèse ou la fabrication de vaccins.

Le problème de l’amiante aurait dû nous mettre en garde. Je vais le rappeler en quelques mots : les fibres de ce minerai incombustible avaient été tissées depuis le début du XXè siècle. Mais, dès 1906, un inspecteur du travail, dans le Calvados avait constaté la corrélation entre l’amiante et le taux de décès des personnes travaillant ou vivant près de l’usine. Jusqu’en 1945, date à laquelle on reconnaît la « fibrose pulmonaire », on va négliger les effets de l’amiante en disant que les personnes atteintes étaient des « poitrinaires » ! Et il faudra attendre 1997 pour que l’amiante soit interdit : un siècle pour comprendre que l’amiante était un poison mortel administré par les industriels !

Combien de temps faudra-t-il pour qu’on prenne conscience des risques des OGM ? On sait déjà que la coexistence est impossible entre l’agriculture conventionnelle, paysanne ou bio, et l’agriculture transgénique. Qui va couvrir les risques inhérents à la culture des OGM ? Les assureurs refusent de couvrir la menace évidente d’une dissémination des gènes modifiés dans l’environnement. Mais, que dire des risques pour la santé humaine ? D’abord, qu’on ne peut affirmer qu’ils soient nocifs ou pas, pour la simple raison qu’une évaluation approfondie n’a jamais eu lieu. 70% des plants génétiquement modifiés produits actuellement servent à l’alimentation des animaux, essentiellement bovins, et finissent dans l’assiette des consommateurs. Avec quelles conséquences pour la santé animale et humaine ? Personne ne peut le dire. C’est là l’aspect inacceptable des OGM, c’est que les multinationales agro-alimentaires cherchent la rentabilité, en court-circuitant la longue période d’évaluation (incidence ou pas sur l’action des médicaments anti-biotiques, effets allergisants…), nécessaire avant l’introduction de tels éléments dans l’alimentation des animaux et des humains.

On connaît les pressions des USA, par l’intermédiaire de l’OMC, pour que l’Europe ouvre son marché aux plantes transgéniques. Pour le moment, l’UE a décrété des mesures très restrictives, que -hélas !- la Commission européenne serait tentée de supprimer, et, faute de consensus, un minimum de règles s’impose à chaque pays. Des règles que la France ne respecte pas : 1000 hectares de maïs transgénique ont été planté en 2005 dans le plus grand secret et sans communication aux instances européennes. C’est le moment de créer un mouvement citoyen pour que notre pays respecte scrupuleusement ces mesures (déjà beaucoup de communes sont en train de se déclarer « zones hors OGM ») et pour que la France intervienne dans le sens d’une prohibition de la culture d’OGM en milieu non confiné et pour leur suppression dans l’alimentation. Face à tous les optimistes de la techno-bio-agriculture, qui nous prédisent pour demain des avantages qui devraient inéluctablement arriver, il vaut mieux préférer, au nom du principe de précaution, l’action de tous ceux qui militent (au fait, qu’en pensent-ils les partis de gauche et d’extrême gauche ?) pour stopper le passage en force des multinationales de l’agro-alimentaire.

P.S. : à lire sans tarder « Les OGM en guerre contre la société ».Ed. Mille et une nuits. ATTAC. 2005. Prix : 3euros.