Le Café Politique

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  France : Liberté, Egalité, Fraternité, Illusion ?

samedi 3 décembre 2005, par Alcaly DANSOKHO

Depuis quelques semaines, l’actualité politique et sociale de la France vit des heures bien sombres : l’émergence du problème des banlieues, comme si cela n’avait jamais existé, la confirmation par une Assemblée Nationale que la Colonisation a été positive pour l’histoire de la France et les peuples colonisés, ensuite la mise en cause d’un général français et de quelques uns de ses subalternes dans le « passage à tabac suivi de la mort d’un citoyen ivoirien », alors qu’ils étaient sous mandat de l’ONU pour la paix. De même, le procès d’Outreau, au-delà de la magistrature, montre l’incapacité des politiques à pouvoir changer si ce n’est rénover certaines institutions fondamentales pour l’émergence et la survie de toute démocratie. Ce qui est le plus dur à admettre, c’est évidemment le fait que depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, jamais les politiques de gauche ou de droite n’ont eu de telles idées réactionnaires et démagogiques sur l’état de la France, les moyens de sortir d’une crise qui fait plus penser à une véritable gangrène sociale, économique et par dessus tout politique. Le seul but,c’est d’accéder au pouvoir pour certains et d’y demeurer pour d’autres. On a une véritable impression d’être dans une république bananière dans toute son horreur tant on n’ose penser où cela mènerait ce pays. Le mot « Liberté » qui est le premier dans la devise française a été totalement occulté par nos dirigeants élus de tout bord. Il est incroyable que pour venir à bout d’émeutes dont on ne peut évidemment nier la gravité, la première chose à laquelle ils aient pensé soit celle de fermer ces quartiers où chacun sait que les pires maux couvent, n’est-ce pas ? On est à l’heure où nos élus donnent des leçons à leurs homologues américains sur la gestion calamiteuse, discriminatoire et encore moins professionnelle des dégâts causés par les ouragans de Louisiane et sur l’état de précarité de certaines couches sociales à majorité noire, hispanique mais surtout pauvres, sans emploi, illettrées qui ont pour seul but celui de survivre au quotidien sans qu’ils n’aient rien à attendre des institutions, de leurs gouvernants locaux ou nationaux. Mais pour ces élus donneurs de leçons, le retour de bâton a été douloureux : la situation décrite outre-atlantique est tout à fait comparable à ce qui s’est vu dans nos banlieues, toutes proportions gardées bien évidemment. Pour satisfaire certains électeurs, tous les moyens ont été bons, on a fait frapper à coups d’injures parfois racistes et surtout de bâtons des jeunes qui « traînaient » sur la voie publique en bas d’immeubles pour lesquels les parents paient des impôts comme tout français car on a aussi oublié qu’ils le sont et depuis longtemps d’ailleurs. On ne peut pas oublier de mentionner la justice expéditive appliquée à de soit disants « grands délinquants » qui ont vu pour la première fois un poste de police, mais ce n’est pas grave, ils auront l’occasion de le devenir en prison ou dans ces centres de rééducation qui semblent être faits pour cela, compte tenu des moyens humains et matériels mis à leur disposition ! Par contre, il est bien évident qu’un Président de la République ne peut avoir honte d’accuser les offices de HLM de ne pas faire leur travail, et par ailleurs ne s’être jamais senti obligé de répondre à toutes les convocations du juge concernant la gestion des offices de HLM de la ville de Paris et de tant d’autres affaires, dont la plus petite lui aurait valu des années de prison et une carrière politique broyée chez nos voisins anglais, allemands ou espagnols ! Il devrait, d’ailleurs, songer à entamer une réflexion sur les modifications des lois protégeant les « voyous » de la République avec son homologue italien très à l’aise aussi dans ce sujet. A propos de tout cela, certains aiment à dire que les jeunes des banlieues ne comprennent rien ou n’y font pas attention. Le voleur de mobylette ou de chaussettes dans un grand magasin, qui est l’image tout à fait fausse, dangereuse et répandue du jeune banlieusard par les médias, appuyés de surcroît par toute une classe politique et certains intellectuels « nouvelle vague », a presque toutes les raisons de s’insurger quand on lui applique des peines fermes, alors que ces politiciens, tels un Pasqua, Chirac, Tapie, arrivent (s’ils en ont) à subir des sanctions avec sursis pour des faits relevant de motifs d’extorsion de fonds, de vente d’armes, d’abus de biens sociaux, de trafic d’influence, d’outrage à magistrat et la liste est longue encore. Bien sûr, il faudra tenir compte du juge qui arrive à surmonter les menaces de tout bord, les mutations dans un « garage », la dépression ou la démission pour essayer d’arriver à faire son travail. On pourrait alors se demander comment nettoyer au « kärcher » la France, quand les plus hautes institutions ou partis politiques n’ont jamais eu à se remettre en cause ou s’excuser pour le comportement navrant de certains de leurs dirigeants, bien que cela soit le minimum à attendre de la part d’individus devant diriger sous mandat, légiférer, donner l’exemple pour être crédibles et entamer un dialogue avec des personnes ne demandant que cela. La classe politique a fait état d’un manque de sang froid total allant à l’encontre de toute réflexion portant sur les maux que traverse la France. Ils essaient de faire peur à la France avec des mineurs de banlieues pour tirer le plus grand nombre de voix aux élections (c’est vrai que récupérer le pactole Le Pen- De Villiers est tout à fait intéressant même pour la gauche !). L’ironie dans tout cela, c’est que l’on peut se réjouir que ce soit des jeunes bambins qui ont brûlé des voitures ; en effet, ce sera peut-être moins drôle quand des jeunes diplômés noirs, jaunes, beurs à la recherche d’emploi depuis des mois, voire des années, des chômeurs longue durée, les licenciés pour cause de délocalisation ou rentabilité et tant d’autres mettront toutes leurs frustrations justifiées et toute la haine grandissante envers les institutions sourdes de l’Etat à se battre car tout ce qu’il leur restera ne sera qu’instinct de survie et une volonté de justice très certainement « rapide et violente ». Au lieu de proposer de vraies solutions, voilà qu’on aura un « contrat de responsabilité parentale » visant à ne pas donner certaines allocations aux parents qui n’en sont pas de bons tant il est simple d’élever des enfants dans des logements insalubres, des quartiers dans lesquels même le plus heureux des citoyens n’aimerait pas s’y promener un dimanche après-midi, car il n’y a rien à faire ou à voir, si ce n’est le désoeuvrement et la misère. Et on tiendra compte aussi des écoles, dont chaque élève qui en sort a déjà la certitude de mettre cent fois plus de temps et d’effort à trouver un travail en ayant peut-être un nom à consonance étrangère, tout en justifiant que son quartier a été un atout, tant il se sera battu pour réussir, et que les enseignants qui l’auront porté ont eu les mêmes certifications que dans n’importe quel lycée de France, par exemple. Mais, peut-être, en plus du CV anonyme, devra t-il être sans visage et sans accent à l’entretien en mettant une cagoule et un modulateur de voix ? Au lieu d’aider ces populations bien françaises, qu’il faudra bien un jour arrêter de qualifier d’origine « …. », voilà qu’on les stigmatise de plus en plus. Il est vrai qu’une autre solution de nos politiques est aussi de les aider à contenir leur violence grâce au sport dans ces quartiers, par exemple. Eh oui, les antillais courent vite, les marocains ou algériens ne sont pas mauvais en endurance, et les maliens, sénégalais, guinéens ou ivoiriens sont bons au foot alors pourquoi pas, après tout on leur doit une Coupe du Monde de Football, une Coupe d’Europe et un Championnat de France tant coloré que on ne peut être un pays où le racisme est bien présent quand on cherche un emploi, un logement ou quand on fait du stop ! Et bientôt, pour remercier les Dom Tom pour l’exotisme qu’ils apportent, en plus de la loi sur le « rôle positif de la colonisation », on pourra faire de même sur l’esclavage après tout. Par contre, les classes préparatoires, les grandes écoles d’ingénieur ou de commerce, les universités, les grandes entreprises et même les petites, ce n’est pas trop pour eux. Ce qui est bien pour eux, c’est l’entreprise du BTP, qui est un travail d’esclave de tout temps, le ramassage de poubelles, technicien de surface, agent de sécurité à Carrefour ou Auchan, le saisonnier itinérant ramassant des prunes, ou l’allocation à vie pour ceux qui n’ont pas la chance d’avoir ces métiers dont chacun d’entre nous rêve en regardant le ciel, et aussi surtout pour ne pas qu’ils viennent se plaindre en plus, car on est dans un pays privilégié où l’on peut gagner de l’argent sans travailler, n’est-ce pas ? Voilà les genres de politiques et de visions qui seront certainement à l’aube d’événements beaucoup plus violents que ce que l’on a vus jusqu’à aujourd’hui. Il est tout à fait hypocrite et dangereux de penser que la République Française, parce qu’elle peut se prévaloir historiquement d’avoir écrit les Droits de l’Homme et créé un certain modèle démocratique républicain, n’a pas les pires fantômes en son sein. En effet, la discrimination raciale à tous les niveaux est un fait avéré dans sa forme la plus ignoble avec les clichés les plus sombres tels que « je ne suis pas raciste car j’aime bien mon épicier arabe, il est sympa mais tous les autres ce sont ceux-là qui nous agressent ». Un autre exemple qui me concerne personnellement car je suis métissé français sénégalais : en arrivant en France, après avoir vécu 18 ans au Sénégal, pour y effectuer mes études supérieures, les premières questions qui me furent posées étaient du genre « comptes-tu rentrer au Sénégal et quand ? », « pourquoi tu n’es pas resté chez toi pour les études ? », « tu cours vite ? », « pour quelqu’un qui vient d’Afrique, tu parles bien le français, comment ça se fait ? » ou aussi « finalement ce F1 est déjà loué, désolé, si on trouve quelque chose, on vous rappelle (avec un grand sourire) », « vous ne faites pas partie de la clientèle habituelle, merci ». Voilà exactement, le type de racisme qui sévit en France, presque indétectable et tout aussi répugnant, car je me sens dix fois plus à l’aise en Allemagne, par exemple, où les étrangers ne sont pas les bienvenus mais au moins on le leur dit en face contrairement aux situations françaises, où l’on vous sourit en face, mais on vous poignarde dans le dos, et où l’extrême droite la plus dure et la plus « bête » d’Europe passe le premier tour des élections présidentielles avec un score jamais vu. En Angleterre ou aux Etats-Unis, ces considérations ne sont même pas abordées, la seule chose qui les intéresse, c’est ce qu’on peut faire, gagner de l’argent et si on veut travailler ; c’est déjà un mieux. De plus, le fait que l’Assemblée Nationale ne revienne pas sur le caractère positif de la colonisation montre bien que tous ces français d’origines étrangères ou tous ces immigrés sont bel et bien le produit d’une sous culture ou sous civilisation ayant besoin d’un « maître » et justifiant qu’ils soient à la marge des autres. La France et l’Etat Français n’ont toujours pas fait le deuil et le mea culpa de leur passé colonial, capable de s’inviter en Côte d’Ivoire ou dans d’autres pays pour soit disant protéger des populations qui ne vivent que les conséquences d’un passé colonial et post colonial calamiteux consistant à soutenir des régimes dictatoriaux pratiquant la torture, une « in-justice » expéditive et mortelle, appauvrissant les populations, dilapidant les richesses naturelles et « aidant » les politiciens et hommes d’affaires français à s’enrichir de plus en plus. Mais, ce n’est pas grave, Mobutu aura toujours été reçu en bel hôte à l’Elysée par tous les chefs d’Etat sur trente années ou à la Mairie de Paris, de même que Omar Bongo (réélu à 80% avec félicitations du Quai D’Orsay trois jours auparavant), Ben Ali, le Roi Hassan II, Eyadéma (mort au pouvoir tranquillement), Blaise Compaoré et tant d’autres qui ne sont pas tous en Afrique, d’ailleurs. Ce que l’on peut remarquer à la marge de cela, c’est un Etat qui devient de plus en plus policier par les propos et par les actes avec une impunité totale envers les fautes d’agents de la force publique, les banlieues peuvent être bouclées et la simple idée de vouloir se plaindre de ces gestes nous porte à être qualifiés de « racailles », d’anti-républicains ou d’incultes ne comprenant rien. On peut aussi évoquer la précarité grandissante totalement falsifiée par un décompte du nombre de chômeurs aberrant, et l’on parle bien des banlieues pour mettre un voile devant tous ces autres problèmes qui mettent à mal le quotidien de centaines de milliers de gens. Après tout, ne seraient-ils pas que des paresseux qui ne veulent pas travailler, des immigrés à renvoyer chez eux,des personnes trop figées, incapables de suivre les mutations d’une société de plus en plus sauvage et libérale ? On veut à tout prix donner des cours d’éducation civique qui, à mon sens, ressembleraient plus à un enseignement de patriotisme détestable qui consistera peut-être à reparler de « nos ancêtres les Gaulois », au lieu de faire des efforts tout simples dans l’apprentissage de la lecture de plus en plus mal maîtrisée et cela sans parler de banlieues. Ou on pourrait faire participer activement les parents, les étudiants et les enseignants à la mise en oeuvre de microsystèmes éducatifs à l’échelle locale en tenant compte de certaines spécificités (les écoles doivent être un lieu où les parents ont envie de mettre leurs enfants pour assurer leur avenir). Pour ceux qui sont en échec scolaire et qui casseraient des voitures, le gouvernement Villepin les mettrait dans une filière d’apprentissage dès l’âge de 14 ans et bientôt les chinois pourront délocaliser vers la France à leur tour pour profiter de cette jeune main d’oeuvre. Ainsi on voit bien que même les mesures dites sociales sont purement policières visent à exclure des « parasites fantômes » ou tout simplement à les mâter pour mieux les cacher dans un tiroir. Tant de choses peuvent être dites mais la première obligation des politiques serait de faire le ménage en leur sein en n’oubliant pas que rien n’avancera avec une justice à deux vitesses, une pour eux et une pour les autres. Il faudra nécessairement mettre un point final à l’histoire coloniale de ce pays en reconnaissant les erreurs et abominations que cela a causé autant par rapport à l’idée de ce qu’une démocratie doit incarner que par rapport à ces générations qui en sont issues, mais qui, même si elles sont françaises sur les papiers, n’intégreront jamais une société française injuste et hypocrite à leurs yeux, et inversement la société française ne pourra jamais être reconnaissante envers elles et les richesses qu’elles représentent. La fin d’un Etat de plus en plus policier et impuni pour ses bavures aggravant tout est aussi une condition pour que l’avenir soit plus optimiste et pour que le dialogue débute car il n’a jamais eu lieu avec ces centaines d’institutions et acteurs sociaux qui sont la preuve que les banlieues ne sont pas mortes mais vivent bel et bien malgré tout ce qu’il nous a été offert à voir ces dernières semaines à travers des images choc bien « assaisonnées » par les médias et des phrases aussi courtes que dénuées d’esprit et de bon sens de bon nombre d’intervenants. Même si la situation économique globale pourrait jouer un certain rôle, les quelques points cités ci-dessus seraient largement efficaces en rajoutant une lutte intense contre les discriminations raciales, ethniques, religieuses et géographiques qui devrait faire partie intégrante des programmes scolaires. Quant à l’école, il est inutile de rappeler son rôle primordial, peut-être les gouvernants cesseront de toujours enlever des moyens budgétaires et humains, et cela dans les zones qui en ont le plus besoin, c’est à dire les banlieues et les campagnes qui, elles, n’ont pas le luxe de pouvoir montrer qu’il y a un souffle de vie tant elles sont isolées et oubliées de tous. Si ces considérations ne sont pas prises en compte, on risque fort d’être les témoins de l’arrivée au pouvoir d’extrémistes pour une durée indéterminée car quand l’économie va mal, la peur de l’étranger n’est plus un slogan électoral mais est bien ancrée dans la conscience des concitoyens, et quand les hommes politiques n’inspirent plus confiance et que la justice devient moribonde, c’est toute la démocratie qui est en danger et ce n’est pas l’Histoire qui dira le contraire.