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  Modélisation, mathématiques et incertitude

mercredi 7 octobre 2020, par Joseph Saint Pierre

La diffusion abondante de données chiffrées est souvent justifiée au nom d’une certaine rationalité scientifique, cela fait plus sérieux. Le terme d’incertitude est au contraire présenté comme une absence de connaissance et hélas parfois implicitement comme un éloignement de la rationalité scientifique. La rationalité scientifique est souvent associée à la science grecque et à l’apparition du terme mathématiques.

Il a fallu attendre le quinzième siècle pour voir émerger une connexion entre le hasard et les mathématiques. On a employé l’expression géométrie des chances pour désigner ce domaine des mathématiques avant d’employer par la suite le terme de probabilités.

La modélisation de phénomènes en prenant en compte l’incertitude se fonde sur le calcul des probabilités, on utilise le terme de phénomènes aléatoires. Le terme d’incertitude est assez générale, il y a plusieurs types d’incertitudes et une variété de phénomènes aléatoires. Le domaine du calcul des probabilités est très large et en expansion.

Il existe un très fort décalage entre les spécialistes des mathématiques des phénomènes aléatoires et le reste de la population, y compris l’essentiel des politiques ou journalistes. Ce décalage peut sembler plus fort que celui concernant les autres domaines des mathématiques. Le calcul des probabilités concerne des phénomènes très simples comme le jeu de pile ou face ou le lancer d’un ou plusieurs dés.

Les données chiffrées changent rapidement d’un jour à l’autre ou d’un lieu à l’autre, une bonne part de la variation peut être attribuée au hasard. Les données qui sont diffusées sont observées, collectées et appartiennent au passé mais on cherche souvent à estimer les données futures. Un exemple simple concerne la météorologie, les données observées peuvent aider à prévoir le temps du lendemain, il y a des méthodes sophistiquées de calcul mais il reste une part d’incertitude. Les organismes qui sont en charge de la météorologie diffuse de plus en plus souvent des données avec des marges d’erreur, des pourcentages qui correspondent à des probabilités d’apparition de tel ou tel phénomène, comme 25% de risque de pluie. L’incertitude devient plus grande lorsqu’on on tente de prévoir à plus long terme. L’incertitude peut être estimée et cela donne une information pas nécessairement très précise mais très utile. Il est préférable de savoir que les températures seront entre 15 et 18 degrés que de n’avoir aucune idée. Il y a des façons scientifiques de faire face à de l’incertitude.

Modélisation, mathématiques et extrapolation

Les modélisations mathématiques les plus simples à comprendre utilisent des opérations élémentaires, l’addition et la multiplication. Les représentations graphiques des données suggèrent implicitement des prolongements, ce qui est une modélisation mathématique implicite. Les prédictions se font en continuant à ajouter, multiplier ou en prolongeant les courbes. Ces prolongements de courbes s’appellent des extrapolations. Le mot exponentiel est souvent employé pour décrire une augmentation rapide. Ces augmentations qualifiées sont souvent restreintes à quelques jours. Ces modèles d’augmentation sont fondés sur des mathématiques qui utilisent la notion d’infini alors que dans le monde presque rien n’est infini. Multiplier par deux est une opération simple mais il est difficile de l’utiliser trop souvent. On cite souvent une histoire imaginaire sur l’inventeur du jeu d’échecs et un roi qui veut le récompenser pour cette invention. L’inventeur du jeu d’échecs demande une récompense très simple, il souhaite un grain de riz sur la première case, deux grains sur la deuxième, quatre sur la troisième, huit sur la quatrième, seize sur la cinquième etc. Le nombre total de grains riz représente 737869762948 tonnes de riz, ou 738 milliards de tonnes de riz, soit environ 1500 ans de production de riz. Cet exemple très connu est utilisé pour expliquer qu’il est impossible de prolonger très longtemps un modèle fondé sur une croissance multiplicative. De manière plus générale il est très imprudent d’extrapoler et il est important de regarder les limites, c’est-à-dire les valeurs qui ne peuvent pas être dépassées. La maladie la plus grave ne pourra pas tuer plus de personnes que la population mondiale. Les modèles mathématiques ont des validités locales qui ne sont pas nécessairement extensibles et les extensions de modèles peuvent arriver à des impossibilités.

Modélisation mathématique et ordinateurs

Les ordinateurs sont des machines qui ont été mises au point pour faire des calculs intensifs avec beaucoup de données. Même si les ordinateurs ont été conçus pour faire du calcul, ils ont désormais d’autres usages. Par ailleurs certains principes essentiels et élémentaires liés au calcul ne sont pas bien pris en compte par les ordinateurs. La prise en compte de l’incertitude et des limites sont deux exemples de situations où la connaissance des mathématiques est souvent nécessaire. Hélas la grande disponibilité des machines pour faire du calcul a permis de justifier un affaiblissement de la connaissance de certains principes de base nécessaires à la compréhension des calculs, pour une grande partie de la population.

Expertises

Il y a certes des experts en calcul mais avec un éloignement de ces experts alors que les données sont de plus en plus fréquentes. Avec l’émergence du terme intelligence artificielle on peut même percevoir une dimension magique dans les qualités attribuées aux ordinateurs. L’expertise est un sujet politique qui ne concerne pas seulement la modélisation mathématique. On peut voir des similitudes avec ce qui se passe avec l’énergie nucléaire ou les réseaux de communication avec la 5G et bien d’autres sujets. Il existe un sujet plus vaste sur la place des sciences et des techniques dans la société. Les choix scientifiques et techniques ne doivent pas dépendre des seuls experts car ils concernent souvent beaucoup d’humains, d’animaux, de végétaux etc...

Internet

Le réseau Internet a une place importante et complexe par rapport au sujet. Le réseau Internet est trop souvent représenté comme favorisant des prises de position simples ou réductrices, avec des raccourcis, des abréviations, des invectives. Le réseau Internet permet au contraire des échanges riches et contradictoires, nuancés. Le réseau permet de chercher des informations dans de très nombreuses langues et de nombreux pays. Le réseau Internet permet aussi une forme de décentralisation. En France les médias classiques sont concentrés dans la capitale et la plupart des experts sont aussi dans la capitale. Internet permet de mettre des débats, des textes accessibles sur un site web. Les cafés de discussion peuvent se trouver en province et ils peuvent contribuer à un débat décentralisé.

Conclusion

La modélisation mathématique est une partie du savoir scientifique qui peut avoir un rôle important dans des prises de décisions politiques. Il est important dans diffuser les principes de base pour éviter la pensée magique et rendre possible les critiques. Une société qui vit avec des moyens scientifiques et techniques doit rester démocratique en permettant l’appropriation de ces outils par le plus grand nombre, en ne réservant pas ces outils aux seuls experts.