Le Café Politique

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   L’Afrique, si proche et si oubliée.

jeudi 23 avril 2009, par François-Xavier Barandiaran

ACTE 1

L’action se passe à Dar-es-Salam, capitale de la Tanzanie. Trois semaines avant la rencontre du G20 une conférence des pays africains s’y est réunie pour étudier les nouveaux défis de la crise à l’égard de l’Afrique. Le FMI y était invité : d’après ses pronostics 22 pays sont particulièrement vulnérables dans l’Afrique subsaharienne, pour lesquels D. Strauss-Khan a élaboré un scénario de sauvetage qui requiert 25 millions de dollars, la moitié de l’argent détourné par Madoff ! Et, dans un scénario catastrophe il suffirait de 138 milliards pour 48 pays en difficulté. S’insurgeant contre l’égoïsme des pays riches, le Président du FMI a tenu ces propos : « alors que la communauté internationale trouve des centaines de milliards de dollars pour résoudre la crise, je ne peux admettre l’incapacité à mobiliser des centaines de millions pour les pays à bas revenus ». Propos de circonstance ou commencement de conversion après le rôle néfaste joué par le FMI ces dernières décades ? Le Monde, rendant compte de cette conférence, titrait le 12 mars : « Face à la crise, les dirigeants africains éprouvent crainte et colère ».

C’est que, même si les banques africaines ont été beaucoup moins touchées par les produits toxiques des subprimes, la crise actuelle laissera de lourdes traces dans ces pays : parce que les investisseurs vont les déserter momentanément ; parce que la chute de la demande de matières premières va appauvrir encore davantage ceux qui en ont ; parce que les émigrés en Europe privés de travail vont diminuer forcément leur envoi de devises… Les africains, qui ne sont en rien responsables de la crise, ont des raisons d’être en colère ! Rappel : « les 25 milliards de dollars réclamés en urgence représentent la moitié de l’aide supplémentaire promise chaque année par le G7 et jamais honorée ! »

ACTE 2

A Londres, les 2 et 3 avril 2009, saluée par des titres ronflants des médias mondiaux, la rencontre « historique » du G20 a eu lieu. Le continent africain y était représenté par un seul pays, l’Afrique du Sud. Et, ce qu’on pouvait craindre arriva : les pays pauvres en furent les grands oubliés.

Ce n’est pas ici le moment d’analyser les résultats du G20, mais je ne me priverai pas de brocarder les termes dithyrambiques employés par la plupart des médias, hypnotisés par le charisme d’Obama et le numéro de grand communicateur de notre Président. Puisque les médias ont préféré se laisser tromper par les congratulations des 20 Présidents réunis à Londres, je vais servir d’écho aux ONG qui attendent des actes. Elles savent d’expérience que les promesses du communiqué final ne signifient rien tant qu’elles ne débouchent pas sur des faits réels. Voici, par exemple, quelques extraits de la réaction du CCFD-Terre solidaire au communiqué du G20 : « Le sort des populations les plus pauvres du monde n’était manifestement pas sa priorité…alors que les paradis fiscaux coûtent 900 milliards de dollars par an aux pays du Sud, rien n’oblige les paradis fiscaux à être transparents avec les pays pauvres. Le G20 condamne un peu vite le protectionnisme…mais il ne faut pas oublier que pour les pays pauvres la protection des marchés agricoles est une condition sine qua non pour que des dizaines de millions de paysans puissent continuer à vivre de leur travail… ». Même son de cloches du côté d’ATTAC-Québec, en critiquant les conditions de prêt et les accords de Doha : « L’ouverture très large des marchés est inéquitable et met les économies de ces pays en concurrence avec celle des pays riches, une concurrence impossible à soutenir…Plutôt que d’envisager des solutions d’aide et de coopération avec les pays les plus pauvres, les dirigeants du G20 choisissent de les endetter davantage »

L’affaire est entendue. Les absents du G20, ce sont ceux qui paieront le plus durement la crise actuelle du capitalisme, à commencer par les pays africains. Même le directeur du Monde –journal si pondéré- conclut un éditorial par ces mots : « Le capitalisme fait mine de se réformer sans se remettre fermement en question…Après le sommet de Londres, les riches repartent avec leurs problèmes de riches…et les pauvres avec leur horizon de pauvres, chargés d’inégalités, de violences contagieuses et de dangereuses migrations »

D’après les conclusions du G20 le FMI doit devenir plus que jamais la plateforme centrale de sauvegarde des pays en difficulté, puisqu’on lui a alloué des centaines de milliards pour effectuer des prêts à des taux préférentiels. Mais, qui peut oublier que c’est justement le FMI qui a étranglé les pays africains en leur accordant des prêts aux taux du marché et en les poussant à privatiser les quelques structures qu’ils avaient créées pour amortir la volatilité des prix des matières premières ? En les contraignant à renoncer aux cultures vivrières au bénéfice de la production de biens d’exportation, le seul moyen pour eux de pouvoir rembourser les prêts qu’on leur accordait. Comment ignorer qu’après les révoltes contre la famine l’année dernière la FAO s’est réunie à Rome et, après de beaux discours, elle s’est séparée sans aucune proposition positive, si bien que le nombre des gens affamés dans le monde est passé de 850 millions à près d’un milliard ?

Au G20 cette question n’était tout simplement pas à l’ordre du jour ! Quel cynisme pousse les pays riches –Europe en tête- à prétendre s’attaquer à ces problèmes, cependant qu’à travers les négociations de l’OMC à Doha on veut obliger les pays d’Afrique et d’ailleurs à diminuer les barrières douanières aptes à protéger leurs économies cacochymes contre l’ogre du Marché ? Toujours au nom des sacro-saintes lois du libre-échange.

Question pour les « matheux » : à quel taux faudrait-il prêter aux pays d’Afrique pour que le montant des remboursements dus ne soit pas plus élevé que les sommes dédiées à l’aide au développement ? Ou alors : de combien faudrait-il augmenter l’aide des pays riches ? La Commission Européenne vient de débloquer une partie de l’aide prévue pour 2009 et s’engage à respecter son objectif de porter à 69 milliards d’euros en 2010 (49 milliards en 2009) son aide aux pays en développement. Les membres du G20 s’engagent à réduire l’extrême pauvreté de 50% d’ici à 2015. Mais les mêmes promesses incantatoires avaient déjà été formulées en 2000 !

Selon les chiffres publiés par l’OCDE l’année 2008 a battu le record de l’aide au développement avec 119,8 milliards de dollars contre 103,4 en 2007. Mais cette embellie est loin de compenser le retard accumulé par rapport à l’engagement pris par les 23 pays donateurs de consacrer 0,7% du PIB à l’aide. En effet, seulement la Suède, la Norvège, le Danemark et les Pays Bas dépassent ce seuil. Les autres sont bien en deçà. Quant à la France, elle atteint péniblement 0,4%. Ainsi, l’objectif de porter l’aide à 130 milliards en 2010 est loin d’être atteint. De telle sorte qu’avec les conséquences de la crise on peut être inquiet sur la réalisation des promesses du G8 en 2005 de doubler l’aide à l’Afrique pour atteindre les objectifs du Millénaire de diviser la pauvreté mondiale par deux.

ACTE 3

Époque contemporaine. L’action se déroule entre la France et ses anciennes colonies à travers un réseau d’influences qu’on appelle la Françafrique. C’est la chronique d’une décolonisation impossible, dont la plupart de nos contemporains ignorent les entrelacements et les conséquences.

Combien sont-ils à savoir que l’association SURVIE (http://survie-france.org) a mené entre le 15 mars et le 15 avril des actions contre la Françafrique, soit la perpétuation des intérêts français en Afrique : intérêts politiques et économiques (Total, Areva, Bouygues, Bolloré, etc.) ? Cette association rappelle à notre Président que pendant sa campagne électorale il avait promis une « rupture » avec les pratiques de ses prédécesseurs, faites de clientélisme et de soutien à certaines dictatures. Or, les faits se situent dans la continuité de la politique coloniale : maintien des régimes corrompus, accords de soutien militaire, promotion de multinationales qui exploitent les matières premières (minerais, uranium, pétrole, bois) et des services (ports, chemins de fer). La France a du mal à solder sa période coloniale et à établir des liens moins opaques avec ces pays avec qui elle est liée par l’histoire et par des intérêts économique évidents. Bien évidemment, les relations de la France avec ce continent africain débordent les frontières des anciennes colonies : Angola et Nigeria pour le pétrole, Afrique du Sud pour l’industrie nucléaire…

Glanons dans l’actualité la plus récente quelques faits qui illustreront mon propos :

1) Le ministre des armées a déclaré que la France va indemniser les victimes des essais nucléaires effectués en Algérie et en Polynésie entre 1960 et 1966, en y incluant les populations locales qui ont pu être irradiées (déformations congénitales, stérilité à vie). Il a fallu 48 ans pour que la France reconnaisse sa responsabilité et envisage l’indemnisation des victimes qui restent encore en vie, « quelques centaines », d’après H.Morin. La presse algérienne conteste ce chiffre au regard des 150.000 Civils et de la contamination d’une vaste région saharienne.

2) Après un premier voyage marqué par « le discours de Dakar », vertement contesté depuis par deux livres écrits par des intellectuels africains, N.Sarkozy a réalisé les 26 et 27 mars un voyage à trois pays africains. Les intérêts diplomatiques, politiques et économiques y étaient concomitants. Même, faisant allusion aux suites du génocide rwandais et aux conflits armés qui ensanglantent depuis la région des grands lacs, il a prêché la bonne parole : « S’ils organisent leur bon voisinage –a-t-il dit- les peuples d’Afrique Centrale vivront riches et en paix ».

Mais, comme souvent, derrière la diplomatie il y a l’exploitation des matières premières : métaux et produits miniers au Kivu, pétrole dans le golfe du Gabon et uranium au Niger. Arrêtons-nous sur cette dernière matière première : l’uranium devient une ressource clé dans le monde après le succès grandissant du nucléaire civil. Pas étonnant que notre Président se transforme en VRP de la technologie de pointe française –réacteur EPR- et cherche à parrainer des accords pour l’approvisionnement en uranium pour les 58 réacteurs français (pour mémoire, 434 réacteurs sont en exploitation dans le monde et 33 en construction). Dans cette grande foire d’empoigne qu’est devenue la concurrence entre pays et multinationales pour contrôler les matières premières de la planète, on ne peut que soutenir la campagne de « Publiez ce que vous payez » (www.pwypgabon.org).Il s’agit de faire publier par les multinationales les sommes qu’elles versent aux Etats détenteurs de matières premières. Transparence qui irait à l’encontre de la corruption qui s’est installée dans les classes dirigeantes de nombreux pays d’Afrique, avec le concours actif et coupable des pays occidentaux et, depuis peu, de la Chine. La France occupe une bonne place dans le palmarès des pays concernés. Or, elle, ancienne puissance colonisatrice, doit être exemplaire pour que l’Afrique décolle enfin économiquement et ne soit pas la grande perdante de la crise actuelle.

La question de l’uranium nous amène tout naturellement à parler du Niger, d’Areva et du soulèvement touareg. Je ne ferai qu’ébaucher la question, puisque, lors de notre café politique, nous bénéficierons des informations d’un témoin de première main, Aghali Mahiya. Le 6 avril dernier l’agence libyenne de presse Jana a annoncé que les autorités nigériennes et les principaux mouvements rebelles touaregs se sont engagés à œuvrer pour la paix dans le Nord du pays. Lueur d’espoir ou simple effet de communication dans ce conflit où nos médias nationaux sont d’une discrétion totale ? En tout cas la nouveauté vient du fait que les autorités de Niamey accepteraient de reconnaître les opposants touaregs et de négocier avec eux. C’est sur la toile de fond de cette rébellion armée touarègue que Sarkozy et la patronne d’Areva sont allés au Niger signer le nouvel accord d’exploitation des mines d’uranium à Imouraren. Depuis 40 ans la France avait le presque monopole. Par le nouvel accord elle devra partager avec d’autres pays, comme la Chine, les permis de recherche et payer plus cher le prix de l’uranium. Mais, cela ne peut satisfaire les tribus touarègues qui habitent ancestralement ces contrées. Ils réclament le transfert de 50% des recettes minières aux collectivités locales et la non prolifération des permis de recherche dans les zones de pâturage, moyen de vie indispensable pour ces nomades. Dépossédés de leurs terres, ils doivent émigrer. De plus, ils dénoncent la contamination générale des habitants et de tout le territoire : stocks radioactifs à l’air libre, ouvriers mal protégés, nappe phréatique polluée et même asséchée par la grande quantité d’eau nécessaire à l’exploitation de l’uranium. Au Niger, l’un des pays les plus pauvres du monde, nous trouvons un concentré du nouveau colonialisme : la France achète de l’uranium pour produire 30% de son énergie nucléaire, cependant que les troupes de Niamey qui combattent les touaregs emploient de l’armement chinois et sont entraînées par des instructeurs américains !

3) D’autres épisodes pourront être développés, dans les relations tourmentées entre la France et l’Afrique, lors du débat, comme la volonté faillie d’intervenir au Darfour, les félicitations empressées à Bouteflika réélu avec tant d’irrégularités, la piraterie sur les côtes somaliennes ou les plaintes en justice portées par Transparence International et des citoyens africains contre trois chefs d’Etat pour détournement de fonds.

Un dernier rappel : le dimanche 29 mars dernier, par référendum, les Mahorais ont décidé de devenir français à part entière. Mayotte sera, donc, à partir de 2011 le cent unième département français, à l’insu de la volonté des Comores, qui revendiquent la souveraineté sur la totalité de l’archipel, et de l’Organisation de l’Unité Africaine. Cela s’est passé il y a un mois dans la totale indifférence de la majorité de nos concitoyens.